• Aucun résultat trouvé

prolongement dans la sociologie française

4. Problématique et hypothèses de recherche

4.2. Du questionnement initial aux hypothèses de recherche

Ce travail de recherche, qui a pour objet l’étude des évolutions identitaires de formateurs qui forment des personnes à leur ancienne profession à travers l’exemple des infirmiers qui sont devenus formateurs en soins infirmiers, a rencontré au cours de sa réalisation une accélération massive du processus d’universitarisation (Bourdoncle, 2007, 2009) des formations paramédicales. Ce dernier, initié par la déclaration de Bologne en 1999, est à l’origine d’une réforme de l’enseignement supérieur en France et touche principalement les formateurs IFSI au niveau de deux réingénieries : celle de la formation initiale infirmière en 2009 et celle de la formation des cadres de santé non finalisée à ce jour. La formation initiale

126 infirmière a été la première formation paramédicale à bénéficier d’une réingénierie en 2009, entrainant ainsi un grade licence délivré avec le diplôme d’État infirmier et le passage d’une PPO à une APC ayant possiblement impacté la posture des formateurs en IFSI. Jusqu’alors, faute de discipline universitaire dédiée, le passage par les trois cycles du LMD n’était pas possible pour les infirmiers, si ce n’est en s’orientant vers d’autres disciplines (sciences de l’éducation et de la formation, sciences de gestion, santé publique…). La poursuite du processus d’universitarisation des formations paramédicales a notamment abouti à la fin de l’année 2019 à la création de la discipline des sciences infirmières au sein du CNU-Santé (décret du 30 octobre 2019). À partir d’un questionnement initial sur les évolutions identitaires des formateurs IFSI dans le contexte du processus d’universitarisation des formations paramédicales, nous avons affiné notre objet de recherche. Le questionnement principal de cette recherche porte donc sur l’impact du processus d’universitarisation des formations paramédicales sur les dynamiques identitaires (Kaddouri, 2002) et sur la reconnaissance professionnelle (Dejours, 2003) des formateurs IFSI.

À ce jour pour devenir formateur IFSI il est nécessaire, selon l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux autorisations des instituts de formation, d’être titulaire d’un diplôme d’infirmier et d’un diplôme de cadre de santé ou équivalent. Néanmoins le statut transitoire de faisant-fonction de cadre de santé met un bémol à cette dernière condition. Cependant, actuellement, tous les formateurs IFSI ont pour point commun d’avoir exercé la profession infirmière, donc de posséder une identité héritée infirmière inhérente. Nous nous interrogeons sur l’importance actuelle de cette identité héritée (Dubar, 2010) infirmière chez les formateurs IFSI. Se perçoivent-ils encore infirmiers ou existe-t-il une rupture au niveau de leur processus biographique (Ibid.), vis-à-vis de leur identité investie dans le présent (Gravé, 2002) ?

Par ailleurs envisagée depuis 2010, la réingénierie de la formation des cadres de santé n’est toujours pas effective. Originellement séparées lors de la création du CAFIS et du CAFIM en 1958, les fonctions d’infirmier-surveillant et d’infirmier-moniteur ont été réunies dans une formation commune en 1975 conduisant au CCI. Cette volonté d’unification se poursuivra en 1995 avec le diplôme de CDS regroupant l’ensemble des formations paramédicales tout en maintenant une formation commune aux fonctions de management et de formation. Ainsi une même formation conduit à ce jour à deux métiers différents, comme indiqué dans le répertoire des métiers de la fonction publique hospitalière : celui d’encadrant d'unité de soins et d'activités paramédicales et celui de formateur des professionnels de santé. La tendance actuelle (Allal et al., 2017 ; Le Bouler, 2018) conduirait à une séparation des deux formations, symbolisée dans les travaux de réingénierie par deux référentiels d’activités et deux référentiels de compétences distincts (DGOS, 2012). Cela marquerait ainsi la fin de la

127 polyvalence entre ces deux professions paramédicales de manager et de formateur. La formation et le titre de cadre de santé seraient alors réservés aux encadrants des équipes de soins, tandis qu’un titre universitaire de niveau I serait requis pour être formateur paramédical.

Nous nous demandons alors comment est perçue par les formateurs IFSI leur possible exclusion du groupe professionnel (Bucher & Strauss, 1992) des cadres de santé ?

La quasi-totalité des IFCS a élaboré des conventions de partenariat avec les universités permettant à leurs étudiants cadres d’obtenir conjointement au diplôme de CDS un master 1 ou 2, le plus souvent en sciences de gestion. Mais actuellement l’accès au doctorat pour les infirmiers reste très limité et passe obligatoirement par d’autres disciplines universitaires. La poursuite du processus d’universitarisation a abouti en 2019 à la création de la discipline sciences infirmières au sein du CNU-Santé, ouvrant ainsi la perspective à des masters et à des doctorats en sciences infirmières ainsi qu’à des postes d’enseignants-chercheurs pour les actuels formateurs IFSI. La désegmentation programmée du groupe professionnel des cadres de santé donnerait naissance à deux groupes distincts (managers et formateurs paramédicaux) et serait alors conjointe à l’arrivée d’un nouveau corps professionnel d’enseignants-chercheurs parmi les formateurs IFSI. De plus, par le jeu des qualifications universitaires, ces derniers pourraient ne pas être tous issus de la profession infirmière comme cela est le cas actuellement pour les membres du premier collège des professeurs d’université en sciences infirmières de la section 92. Comment cette arrivée d’enseignants-chercheurs, possiblement non issus de la profession infirmière, dans le groupe professionnel (Ibid.) des formateurs IFSI est-elle appréhendée par ces derniers ?

Enfin le rapport de force entre les deux segments du groupe professionnel (Ibid.) actuel des cadres de santé apparait clairement en défaveur des cadres de santé formateurs, tant par le nombre (avec un rapport d’environ un formateur pour quatre managers (Yahiel & Mounier, 2010) que par le décalage existant entre un statut de cadre qui ne correspond pas au rôle tenu par les formateurs IFSI (Guillois, 2012). Comme énoncé précédemment, bon nombre d’articles ou d’ouvrages ayant pour thème les cadres de santé n’évoquent que les cadres de santé managers et ne mentionnent même pas les cadres de santé formateurs. Nous nous questionnons alors sur la reconnaissance professionnelle (Dejours, 2003) des formateurs IFSI : se sentent-ils reconnus professionnellement ?

128 En résumé, à partir des éléments présentés ci-dessus, ce travail de recherche a pour objectif de répondre à la question principale suivante :

Quel est l’impact du processus d’universitarisation des formations paramédicales et de l’identité héritée infirmière sur les dynamiques identitaires et sur la reconnaissance professionnelle des formateurs IFSI ?

Pour ce faire, nous répondrons aux hypothèses ci-dessous. Dans la mesure où cette recherche possède un caractère largement exploratoire, nous choisissons une formulation interrogative de nos hypothèses.

Au niveau du processus biographique, quelle est la place de l’identité héritée infirmière dans les identités investies dans le présent et visées des formateurs IFSI ?

− Les formateurs IFSI se définissent-ils encore principalement comme infirmiers ou comme formateurs ? Leur identité héritée infirmière s’inscrit-elle dans la continuité ou dans la rupture au niveau de leur processus biographique ?

− Existe-t-il chez les formateurs IFSI un lien entre la présence d’une identité héritée infirmière forte et leur projet de Soi ?

Au niveau du processus relationnel, les formateurs IFSI se sentent-ils reconnus professionnellement ?

− Existe-t-il chez les formateurs IFSI un lien entre la présence d’une identité héritée infirmière forte et une reconnaissance perçue de leur activité professionnelle ?

− Comment les formateurs IFSI se sentent-ils reconnus institutionnellement en tant que segment professionnel du groupe des cadres de santé ?

− La posture professionnelle des formateurs IFSI a-t-elle évolué en accord avec l’APC découlant de la réingénierie de la formation initiale infirmière ?

Comment les formateurs IFSI perçoivent-ils le processus d’universitarisation des formations paramédicales ?

− Le processus d’universitarisation des formations paramédicales est-il perçu comme une opportunité ou comme une menace ?

− Quelles sont les craintes inhérentes au processus d’universitarisation ? Notamment l’arrivée prochaine au sein de leur groupe professionnel d’enseignants-chercheurs en sciences infirmières, qui n’auront peut-être pas exercé antérieurement la profession infirmière ?

129

− Dans le cas des formateurs IFSI actuels engagés dans un parcours de doctorat en vue de devenir enseignants-chercheurs, existe-t-il une correspondance entre leur projet de Soi pour soi et leur projet de Soi pour autrui ?

− Comment les formateurs IFSI perçoivent-ils la réingénierie de la formation des cadres de santé, les excluant possiblement de ce groupe professionnel ?

− Existe-t-il chez les formateurs IFSI un lien entre la présence d’une identité héritée infirmière forte, leur dynamique identitaire et leur perception du processus d’universitarisation des formations paramédicales ?

Notre méthodologie de recherche comporte deux démarches quantitative et qualitative qui se veulent complémentaires. Tout d’abord dans une visée descriptive, en l’absence de données sur la population des formateurs IFSI, nous réaliserons et diffuserons un questionnaire à l’ensemble des formateurs IFSI de France afin de collecter des données identitaires. Nous analyserons celles-ci à partir du cadre théorique de la double transaction de Claude Dubar (2010) en adaptant celui-ci avec la substitution de l’identité investie dans le présent aux identités visées pour les raisons évoquées précédemment. En effet, dans le cas des formateurs IFSI, les identités visées peuvent, pour une même perspective professionnelle, s’inscrire soit dans la continuité de l’identité héritée infirmière, soit dans la rupture par rapport à celle-ci. Et un questionnaire ne nous permet pas d’être plus précis sur ce point.

Puis dans un second temps dans une visée compréhensive, nous effectuerons une série d’entretiens afin d’accéder aux logiques internes des individus. Ceci nous permettra, en mobilisant les cadres théoriques de Dubar (2010) et de Kaddouri (2002), de percevoir à travers les identités visées devenues visibles, les projets et dynamiques identitaires des individus.

Ces deux démarches nous permettront également d’appréhender le processus relationnel (Dubar, 2010) des formateurs IFSI, et ce faisant d’évaluer leur perception de leur reconnaissance professionnelle (Dejours, 2003).

130