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La Vision Organisante portée par les PGI

Dans le document UNIVERSITE MONTPELLIER II (Page 85-93)

par les Progiciels de Gestion Intégrés

1.2 La Vision Organisante portée par les PGI

Le concept de "Vision Organisante" ("Organizing Vision") proposé par Swanson et Ramiller (1997) nous semble particulièrement pertinent pour prendre en compte un certain nombre de phénomènes à l'œuvre dans l'interaction entre la technologie particulière qu'est le PGI et l'organisation qui veut s'en doter.

Ces auteurs proposent une interprétation institutionnelle sur la manière dont les technologies deviennent incontournables et se diffusent dans les organisations. Pour

ce faire, ils posent qu'une communauté d'acteurs composée d'un réseau hétérogène de parties qui ont des intérêts matériels variés dans cette technologie, créent et entretiennent collectivement une "vision organisante" au sujet de cette innovation, qui est centrale pour les décisions et les actions qui affectent son développement et sa diffusion.

Cette vision organisante représente les efforts de cette communauté pour créer du sens (au sens de Weick, 1995) au sujet de cette technologie vue comme une opportunité pour l'organisation. "That organizing vision represent the product of the efforts of the members of that community to make sense of the innovation as an organizational opportunity". En faisant cela, la communauté créée et définit effectivement la technologie en question.

Les visions organisantes apparaissent parce qu'elles assurent un certain nombre de fonctions qui permettent de révéler les opportunités organisationnelles pour exploiter la technologie. Swanson et Ramiller mettent en avant trois fonctions :

‰ Une fonction d'interprétation. Lorsqu'elle émerge, l'importance d'une technologie est souvent mal comprise, les expérimentations sont limitées dans l'espace. Une vision organisante se constitue alors pour donner une cohérence et une interprétation commune à cette technologie, en suggérant quel est l'intérêt potentiel général qui peut lui être associé.

‰ Une fonction de légitimation. La vision organisante construit une rationalité de l'usage de la technologie. Elle légitime cette innovation en la rattachant à des problématiques économiques ou de management qui sont

"dans l'air du temps". Cette fonction de légitimation a donc pour objet de répondre à la question "pourquoi s'y mettre?", mais aussi "qui s'y est déjà mis?", la réputation et l'autorité de ceux qui ont franchi le pas influençant de manière normative les acteurs encore réticents.

‰ Une fonction de mobilisation. La vision organisante agit comme une force créative en attirant des ressources et facilitant les échanges sur le marché créé par la technologie. Les différents acteurs se mettent en ordre de marche : demande et offre cherchent à se rencontrer, les vendeurs commercialisent

des nouveaux produits et services intégrant cette technologie, repositionnent des anciennes compétences existantes, les journaux spécialisés servent de caisse de résonance au phénomène.

Si l'on applique ce triptyque aux PGI, nous pourrions obtenir, à titre d'exemple, des affirmations du type suivant : les PGI permettent d'obtenir une information consolidée de l'activité (Interprétation), c'est pourquoi toutes les grandes entreprises en sont désormais équipées (Légitimation) et l'offre de services autour de leur mise en place bien structurée (Mobilisation).

Figure 2 – Le concept de Vision Organisante, d’après Swanson & Ramiller (1997)

Swanson et Ramiller proposent un modèle à plusieurs étages décrivant le processus de production institutionnelle des visions organisantes. Ce modèle est reproduit ci-dessus.

Vision organisante

Invention, adaptation

d'un noyau technologique Aspects

commerciaux Adoption, Diffusion Culture des

Praticiens du SI Problématiques de

management Ressources Culturelles &

Linguisitiques

Activité Interprétative

& discursive

Communauté Structure

Sociale

Activités

& objets pratiques Traduit de Swanson & Ramiller (1997) 9

8 7

6 2 1 3 4 5

Dans le cas de la mise en œuvre d'un PGI, nous nous intéressons moins à la construction initiale de la vision organisante associée aux PGI en général, qu'à la manière dont ce discours ambiant au sujet de cette technologie favorise d'une part le processus d'adoption, et donc de facto les objectifs et la rationalité des projets PGI, et d'autre part constitue un support général à la compréhension des acteurs et à leur prise de position pendant la mise en œuvre de cette technologie.

Par parallèle avec ce modèle, les différents éléments que l'on retrouve dans le cas du PGI pourraient être les suivants, que nous allons chercher à développer en conservant le "sens" de construction propre au modèle élaboré par Swanson et Ramiller :

‰ Le discours de la communauté. Les acteurs formant cette communauté (éditeurs, consultants, entreprises utilisatrices, intégrateurs, presse spécialisée puis générale, "gourous" du management, informaticiens, chercheurs en gestion …) se sont accordés à un moment donné pour donner vie aux PGI (d'abord ERP, voir le Chapitre 1 qui rappelle l'émergence du phénomène). Alors que les progiciels eux-mêmes existaient déjà depuis un certain temps, la "vision organisante PGI" n'est apparue que plus tard, le temps que soit élaborée une première version du discours sur l'usage de cette technologie. Comme le soulignent les auteurs, l'acronyme ERP - PGI, qu'ils appellent "buzzword" (que l'on pourrait traduire par un "mot-concept"

qui émerge du brouhaha, des conversations), est un point d'ancrage fort de cette vision, qui autorise la diffusion du discours auprès des différents publics concernés. Ainsi sont apparus "BPR", "DataWarehouse", Client-Serveur" ou encore "Place de marché électronique", etc., dont se sont emparés les acteurs de la mode technologique (Caldas et Wood, 1999).

‰ La structure de la communauté et les aspects commerciaux. Les objectifs variés, parfois sous-tendus par des arrières-pensées mercantiles, des acteurs de la communauté contribuent à former une vision organisante protéiforme. Chaque groupe souhaite apposer sa touche à ce discours environnant : ainsi les journalistes spécialisés par exemple, vont chercher à collecter des témoignages, des informations sur les mises en œuvres de PGI, les problèmes qui ont surgi, avec l'objectif de répondre aux attentes d'un

lectorat en manque d'information et de références (qui a fait quoi? et que s'est-il passé?). Il y a une compétition, source de conflits, pour savoir quel est le sens à donner in fine à la technologie cible du discours : le PGI permet-il le contrôle total des processus de gestion de l'organisation ? D'aucuns soutiendront que oui, d'autres que non, changeront d'avis, etc. Des individus ou des groupes (sociétés savantes par exemple) s'affronteront pour obtenir une "autorité cognitive" ou une "domination interprétative" (Gutting, 1984 et Meindl et al., 1994; cités par Swanson et Ramiller, 1997) dans ce domaine.

‰ La culture des praticiens du Système d'Information. Une des sources du langage commun qui va porter la signification du discours est la communauté des spécialistes du Système d'Information (avec celle du management et des affaires, autre pourvoyeur d'un lexique à vocation organisationnel), précisément parce que le PGI est issu du monde des technologies et du Système d'Information. Les professionnels du Système d'Information partagent une culture commune, à la fois basée sur des compétences et connaissances théoriques, comme sur des expériences issues de l'animation de leur domaine. De plus, ils peuvent considérer la technologie cible de la vision organisante comme étant partie prenante de leurs objectifs professionnels. Ils vont vouloir, ou devoir, acquérir une compétence sur le fonctionnement d'un PGI, participer à le mettre en place, maîtriser certains aspects techniques particuliers de son exploitation, etc.

Ainsi vont-ils participer eux-aussi, en fournissant les concepts de Système d'Information concernés par les PGI (bases de données relationnelles, architecture Client/Serveur, etc.), à l'élaboration de la vision organisante. Ils interviennent essentiellement comme des experts, capables de confirmer ou d'infirmer le potentiel de la technologie et ainsi la légitimer aux yeux des

"profanes". Il est à ce titre important de noter que l'essor des PGI n'a pu avoir lieu que lorsqu'un consensus suffisant s'est manifesté pour affirmer que les PGI étaient au point, débarrassés de leurs défauts de jeunesse.

‰ Les problématiques du management. Pour les auteurs, ce sont les préoccupations managériales qui fondent la pertinence fondamentale de la vision organisante dans le domaine économique. Dans le domaine des

technologies cependant, la rationalité économique d'une innovation n'apparaît pas toujours clairement à ses débuts. Les problématiques du management sont disjointes, pour leur élaboration au moins, de la sphère des technologies, elles peuvent donc se construire à charge ou à décharge lorsqu'il s'agit d'une technologie particulière. Ainsi pour les PGI, souvent associés au concept de BPR, la question n'est pas tranchée, chez les acteurs du management tout du moins, de savoir si le PGI peut favoriser ou provoquer un BPR, ou au contraire nuire à la flexibilité de l'organisation (voir notre discussion infra).

‰ L'adaptation d'un noyau technologique. Il s'agit ici de rappeler que la vision organisante est relative à l'application organisationnelle d'une technologie et donc mélange à la fois des artefacts techniques (ordinateurs, télécoms, réseaux, etc.) avec des pratiques et des formes organisationnelles.

Comme l'expose le modèle, il y a réciprocité (flèches 6 et 7) entre vision organisante et technologie car "la vision organisante à la fois donne une signification à la technologie, mais aussi est remise en cause en permanence par le potentiel latent et évolutif de celle-ci" ("the organizing vision both gives meaning and significance to the technology, and is challenged by the technology's latent and evolving potential"). C'est à ce niveau que va se construire (avec les éléments du discours des spécialistes du Système d'Information et du management) la signification pratique de la technologie.

Les questions liées aux fonctionnalités, à la fiabilité, aux capacités, puisent ici leurs fondements pratiques. Ceux-ci ne sont pas suffisants pour donner corps à une vision organisante porteuse, comme dans le cas de la programmation orientée-objet par exemple, qui fût longtemps cantonnée à ce stade technologique, sans acquérir pour autant le statut d'innovation à l'usage incontournable.

‰ Adoption et diffusion. Le processus de diffusion de l'innovation est auto-alimenté par le discours des acteurs qui adoptent ou vendent la technologie sur laquelle celle-ci est fondée. L'accumulation des expériences de mise en place de PGI a eu pour effet, à la fin des années 1990, d'une part de contribuer à l'élaboration de la vision organisante PGI, d'autre part d’attirer l'attention sur les risques de ces projets, et par conséquent a constitué un

facteur de progrès dans la connaissance et la maîtrise du processus, tout en venant enrichir et altérer la vision organisante initiale du PGI.

Ce nouveau cadre conceptuel nous apparaît donc particulièrement pertinent pour retranscrire un certain nombre des relations qui semblent exister entre les différents acteurs du domaine PGI. Il a une grande valeur explicatrice et s'insère particulièrement bien dans le cadre théorique général que nous avons retenu pour étudier la mise en place des PGI, celui de la théorie de la structuration appliquée aux technologies dans les organisations

(voir Section II). En effet, le cadre de Swanson et Ramiller, au travers de son concept majeur, la vision organisante d'une technologie, accorde une grande importance aux interactions réciproques entre technologie et structures sociales.

2.LES PROPRIETES INVOQUEES DES PGI

Le déterminisme dans l'effet des technologies sur une organisation pose qu'une fois un certain nombre de conditions réunies, des transformations prévisibles et inéluctables se feront jour. La technologie est de ce point de vue une variable indépendante motrice du processus de changement organisationnel. Les variables expliquées sont des caractéristiques de l'organisation, telles que: limites (frontière), forme (niveaux, découpages), degrés de formalisation, de spécialisation, de standardisation, coordination, centralisation, processus, opérations, décisions, communication, culture, etc. (Reix ; 2002, p88).

Les indices d'une telle perspective se lisent dans les termes employés, qui placent la technologie dans le rôle d'un agent causal, capable de transformer les organisations directement par l'absolue nécessité d'utiliser les technologies. Ainsi on se réfère à la technologie comme une force, un impératif ou encore un pilote (Robey, 1997).

Nous allons voir quels sont les champs déterministes auxquels sont traditionnellement rattachés les PGI. Pour aborder cet aspect, il semble intéressant de structurer le problème de l'effet des PGI, si l'on se place dans le courant déterministe, sous la forme de l'alternative suivante :

‰ la transformation est subie : les propriétés particulières des PGI sont à l'origine d'un certain nombre d'effets sur des variables descriptives de l'organisation (structure, forme, …)

‰ la transformation est volontaire, délibérée : il s'agit alors d'une vision ingéniérique du PGI, considéré comme un moyen au service de la réalisation des objectifs stratégiques de l'organisation.

Nous pouvons remarquer que la perspective ingéniérique ci-dessous est une forme du déterminisme technologique, renversée en quelque sorte, mais pour laquelle les liens de causalités sont effectivement présents.

La question du changement organisationnel provoqué par l'installation d'un PGI a été évoquée dans le Chapitre 1, au cours duquel nous avons présenté un certain nombre d'impacts sur l'organisation : impact sur les tâches - importation de routines préconçues et "optimales" ("One Best Way"); impact sur les compétences des collaborateurs et leurs métiers - conceptualisation de la fonction, refonte des modes de collaboration inter – métiers et inter – individus (modification des identités professionnelles); impact sur les structures de pouvoir - redistribution du pouvoir au gré des phénomènes émergents de centralisation – décentralisation, de la redéfinition des métiers, des fonctions et des rôles, etc.

Le PGI peut être considéré selon deux perspectives distinctes, même si elles sont imbriquées. D'une part, le PGI, outil particulier porteur de propriétés spécifiques propres à améliorer le degré d'intégration de l'organisation (et ce quel que soit le processus d'implantation). D'autre part, le PGI, outil technologique, prétexte déclencheur et support d'un processus de changement organisationnel (comme tout outil de gestion à disposition du management; David, 1998).

Afin d'illustrer ces points de vue, nous allons respectivement considérer les aspects des PGI liés à la cohérence (liens entre processus et unicité du référentiel de données) et aux modes de contrôle.

Dans le document UNIVERSITE MONTPELLIER II (Page 85-93)