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2. Cadrage théorique

2.3. Les origines de la violence

2.3.1. Violence symbolique et physique

Avant de s’intéresser aux causes de violences ou du moins aux facteurs qui sont en jeu, il est primordial de se pencher sur la définition même de la violence. La violence représente un acte presque banalisé de nos jours. Il est impossible de passer une journée sans entendre parler d’un acte de violence quelque part dans le monde. Comme le souligne Hartmann (2014) le terme de violence « désigne aussi bien la violence physique "qui conduit à la blessure corporelle d’autrui" que le moyen de forcer certaines actions ou certains comportements particuliers ; il fait également référence, métaphoriquement ou par analogie, à la violence dite structurelle ou symbolique. » (p. 301). Dans ce sens, la violence n’est pas différenciée d’autres phénomènes tels que la soumission, la contrainte ou encore l’influence d’un tiers sur un autre. Ces phénomènes s’y rapprochent compliquant par conséquent la définition de la violence et nécessairement le travail d’analyse des sources de la violence.

Nous pouvons cependant constater que ce qui rapproche toutes ces notions est l’aversion qu’elles provoquent dans nos sociétés voire le rejet mais aussi et surtout la souffrance de celui qui en est la victime. Ainsi, « ce qui autorise à rassembler sous le concept unique de violence des actes qui ont une matérialisation physique et d’autres qui n’en ont pas, c’est donc la souffrance subjective de celui qui subit. » (Braud, 2003, p. 35).La violence, aussi large qu’en soit le spectre, est considérée comme indésirable et punie dans l’ensemble des collectivités lui donnant ainsi un caractère transversal. Il est donc difficile d’appréhender la violence dans un contexte car la notion même de violence reste floue et rattachée à un bon nombre d’éléments et de facteurs. Il convient de se distancier de toutes ces considérations pour pouvoir se pencher sur la violence en termes de phénomène sociologique. Dans cette perspective, « une sociologie générale de la violence [...] aurait avant tout à appréhender son objet d’étude comme un phénomène social émanant d’un rapport constitutif entre "extériorité" et

"intériorité", partant ainsi d’une obligation réciproque entre la société et l’individu [...] » (Hartmann, 2014, p. 302). La violence comme phénomène social est donc le résultat d’une dichotomie franche entre la société et l’individu avec ses caractéristiques.

23 La violence est toujours une action sociale liée à des structures et des relations sociales, culturelles et économiques complexes, entendues ici comme diverses formes d’ordres sociaux, et c’est uniquement au sein de ces ordres sociaux que les individus trouvent eux-mêmes les moyens de devenir des acteurs sociaux ayant recours à la violence physique. (Hartmann, 2014, p. 302)

Comme mentionné plus haut, la violence est indissociable d’un contexte, ici la société, mais également d’un acteur, ici le sujet social. Un phénomène violent est toujours à mettre en lien avec un cadre social et un individu.

Ainsi, « on ne peut développer de réflexion sur les rapports entre violence et ordre social sans mettre d’abord en évidence le fait qu’une forme d’ordre social [...] constitue un enjeu de lutte sociale, et peut donc être confrontée au problème des conflits de forme violente. » (Hartmann, 2014, p. 310) L’ordre social peut être l’objet de conflits et par conséquent d’actes de violence. Cependant, il existe plusieurs formes de violence qu’il convient de différencier à la lumière du concept d’ordre social.

[La violence structurelle] « résulte du fait que les normes culturelles, juridiques, institutionnelles exercent une pression qui engendre "une différence négative entre les possibilités d’accomplissement et leur réalisation effective » [Galtung, 1972] ; sous couvert de rationalité, ce sont en réalité les dominants qui imposent, de façon déguisée, leurs préférences et placent ainsi les dominés en situation d’infériorité. (Braud, 2003, p.

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Ici, les normes trop élevées empêchent les individus d’atteindre leurs objectifs faisant obstacle par la même occasion à l’accomplissement personnel. Ces normes, valeurs ou objectifs sont édictés par l’État ou par les classes dominantes notamment plaçant les citoyens en position d’infériorité. Il y a donc une notion de hiérarchie avec les concepts de « dominants » et de

« dominés ». Cependant, pour ce texte, nous ne retiendrons que le terme de violence symbolique pour regrouper la violence dite structurelle ou douce comme proposé par Hartmann (2014). Il convient néanmoins de ne retenir de ces définitions que la violence symbolique telle qu’elle est le plus souvent définie, et relative à l’ordre social. Par conséquent, aux vues des différentes formes de violence, il est fondamental de considérer les actes de violences comme pouvant revêtir plusieurs caractéristiques et être en mesure d’analyser les conflits en fonction de ces différentes formes. Nous l’avons vu, d’un côté selon Hartmann (2014), nous avons les formes de violences qu’il nomme structurelle, symbolique

24 ou encore douce. Cette forme de violence est directement à rapprocher de l’ordre social puisque c’est elle qui est à l’œuvre dans l’ordre de représentation. De l’autre côté, Hartmann (2014) définit les violences physiques. L’auteur affirme dès lors que« l’analyse sociologique du rapport entre modernité et évolution de la violence repose tout d’abord sur une analyse du rapport mutuel entre violence symbolique et violence physique, autrement dit : entre ordre social, légitimité et violence [...] » (Hartmann, 2014, p. 311). En effet, les formes de violences et notamment l’expression et le mode d’apparition des violences dites physiques sont à analyser en lien et en rapport avec l’apparition et le développement de « formes légitimes du contrôle consacré à l’action social » (Hartmann,2014, p. 311).

[Ainsi] les différentes modalités de la « violence » n’existent pas au-delà de nos formes d’organisation sociales et politiques ; elles ont toujours été inscrites dans les procédés d’un « framing » social, c’est-à-dire à la source de la signifiance sociale mais également à l’endroit de la genèse des rapports de violence symbolique. (Hartmann, 2014, p. 311) Comme explicité, la violence est indissociable d’un contexte social et la violence physique n’échappe pas à cette règle. Cette dernière est à situer par rapport à l’apparition et au développement de la violence symbolique autrement dit de la genèse de l’ordre social.

Cela étant dit, ce n’est pas parce que la violence est indissociable de l’ordre social que ce dernier explique de manière générale l’apparition de la violence. En effet, « les conditions de vie et l’organisation de la vie sociale et politique ne constituent certainement pas des causes de la violence et des émeutes au sens des sciences naturelles, mais forment un cadre social, politique et culturel dans lequel leur apparition est plus probable. » (Groenemeyer, 2006, p.

477). Si l’ordre social permet l’apparition de violences notamment physiques, il n’est pas un critère exclusif d’apparition de violence mais bien un facteur parmi d’autres. Dans son article, Groenemeyer (2006) détaille ce postulat à partir des émeutes qui ont fait rage en France dans certains quartiers. L’auteur démontre que les émeutes trouvent souvent leurs origines dans l’organisation sociale même des quartiers où elles ont lieu, et plus spécifiquement les quartiers défavorisés. L’auteur relève que « cette attribution de sens suit plusieurs schémas d’interprétation différents : chômage et exclusion, ségrégation urbaine, mauvaises conditions d’habitat et "déprivations relatives" comme causes qui donnent aux émeutes un caractère de l’expression de la question sociale ». (Groenemeyer, 2006, p. 478). Ces soulèvements ont un caractère social dans la mesure où ils sont l’objet de « "discriminations ethniques" ou [de]

"racisme", et les conflits qui y sont attachés, portent sur l’idée d’un déficit de l’intégration sociale ; "désorganisation sociale" et "déclin de l’institution" [rendant] les émeutes

25 compréhensibles comme l’expression de déficits de la socialisation et du contrôle social. » (Groenemeyer, 2006, p. 478). Les discriminations de type ethnique et culturelles sont à la base des émeutes qui ont eu lieu dans certains quartiers défavorisés. En outre, les conflits qui entourent ces émeutes démontrent une problématique plus profonde quant à la société en traduisant un déficit de l’intégration sociale entraînant une forme de désorganisation sociale voire un déclin institutionnel. Ces phénomènes relatés par Groenemeyer sont consécutifs d’un ordre social détérioré où l’intégration et la socialisation ne se font plus. Et où l’on note une baisse du contrôle social.

[Ce type d’émeute et plus généralement] nous apprennent que la concentration de la précarité pourrait mener à des configurations sociales spécifiques, qui développent une certaine affinité pour faire émerger cette violence.[...] Même si les événements violents, leur développement et leur dynamique dépendent souvent d’une occasion ou de raisons banales, ils montrent des régularités sociales et symboliques qui peuvent être expliquées sociologiquement dans le cadre de l’organisation sociale. Dans cette perspective, la façon d’exprimer la colère (ou le plaisir), les logiques, les cibles d’actions, les formes symboliques de l’expression et la constellation sociale d’acteurs en conflit constituent les éléments centraux d’analyse. (Groenemeyer, 2006, p. 479)

Nous l’avons vu, la violence physique peut trouver ses origines dans la violence symbolique.

Un contexte donné, avec ses particularités et caractéristiques peut expliquer l’émergence de violences de type physiques telles que des émeutes. Il est possible de relever des régularités et de percevoir la violence symbolique comme donnant naissance à des phénomènes de violences. En outre, les concepts de violence symbolique et physique convergent non seulement par le fait qu’elles trouvent leurs origines dans l’ordre social mais encore par les conséquences qu’elles engendrent. En effet, « ce qui autorise à rassembler sous le concept unique de violence des actes qui ont une matérialisation physique et d’autres qui n’en ont pas, c’est donc la souffrance subjective de celui qui subit. » (Braud, 2003, p. 35). Les formes de violence toutes natures confondues impactent le sujet qui les subit, ce qui se traduit par de la souffrance. Braud ajoute (2003) « outre son éventuelle incidence corporelle, elle comporte toujours une dimension proprement psychologique : l’anxiété de se sentir vulnérable, le sentiment diffus (ou trop éclatant) d’être mis en infériorité » (p.35). Si l’ordre des représentations est transformé lors de l’apparition de violences physiques et/ou symboliques, l’individu se voit également transformé. Il existe des violences physiques et symboliques

26 différentes et c’est pourquoi il est pertinent de se pencher sur les formes qu’elles peuvent prendre.