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Tout au long de la recherche un bon nombre de difficultés et d’obstacles se sont présentés à nous. Nous nous sommes rendus compte que la recherche comprenait un plusieurs limites également. Cependant, elle a permis de mettre en lumière un certain nombre de phénomènes sociaux inhérents au recours à la violence mais aussi aux processus de socialisation. Dans cette partie, nous tenterons d’analyser les obstacles et les limites de manière critique. Il sera dès lors possible de voir ce qu’il est envisageable de mettre en place pour une future recherche dans la continuité de celle-ci. Dans une seconde partie, nous nous pencherons sur les pistes de réponses qui ont été retenues quant à notre problématique de départ et nous reviendrons sur nos hypothèses de recherche.

7.1. Obstacles, limites, point de vue critique

Premièrement, l’une des limites de la recherche se rapporte au choix de la langue dans laquelle les entretiens ont été réalisés. Il est évident que le choix de la langue allait influencés les données obtenues lors des entretiens avec nos deux témoins. La langue maternelle des deux témoins étant l’espagnol, il aurait été envisageable voir profitable de réaliser les entretiens en espagnol. Malheureusement, il aurait été délicat de transcrire les entretiens pour nous puisque l’étudiante qui se chargeait de retranscrire ne parle pas espagnol. Le choix de faire les entretiens en français a été fait par manque d’autres recours. La méthode du récit de vie est très couteuse en termes de temps puisqu’il faut retranscrire la moindre seconde de chacun des six entretiens. La retranscription étant une étape laborieuse en elle-même, il était impossible d’ajouter une difficulté supplémentaire en procédant à la traduction des entretiens pour quelqu’un qui ne parle espagnol. Il est probable que les récits qui nous ont été relatés en français aient été plus riches s’ils avaient été racontés en espagnol. Cependant, le fait que les entretiens aient duré plus d’une heure a pu contrer cet effet, laissant le temps aux témoins de trouver leurs mots. En outre, le fait que le chercheur qui réalisait les entretiens parle espagnol couramment a également permis aux témoins de trouver leur mot en français ou à l’étudiante de retrouver certaines informations. A cet effet, un glossaire a été créé par le chercheur pour permettre à l’étudiante de comprendre la totalité des entretiens lorsque les témoins mentionnaient des termes particuliers en espagnol. La difficulté a été contournée de par ces

88 deux éléments. Cependant, pour une recherche ultérieure il serait pertinent de réaliser les entretiens dans la langue maternelle des témoins pour récolter le plus d’informations possibles. En effet, le fait que la langue choisie ne soit pas la langue maternelle de nos témoins ne limite pas les informations qu’en nombre mais également en authenticité. Une personne s’exprimant dans une langue qui n’est pas la sienne va être capable de moins de spontanéité qu’une personne maitrisant parfaitement la langue choisie pour l’entretien. Dès lors, les entretiens et leur retranscription manquent nécessairement de ces quelques passages spontanés se traduisant par des expressions communes et familières par exemple.

Une autre limite relève de la nature même de la recherche et de la méthodologie choisie. En effet, la modalité des entretiens suscite un bon nombre de problématique nous l’avons vu. Le choix de la langue, de la durée, de l’interviewer sont autant d’éléments que nous avons dû prendre en considération dans l’élaboration du projet de recherche. Une limite de la recherche serait l’entretien en lui-même et son contenu. En effet, « les récits de vie sont la vie racontée, pas la vie « réelle ». Le récit vient en quelque sorte faire écran entre le chercheur et la réalité. » (Vincent-Ponroy & Chevalier, 2018, p. 162). Le récit de vie est organisé de manière chronologique mais pas seulement. Il arrive qu’un témoin digresse en fonction de ses propres représentations et de ce qu’il perçoit comme important à partager à celui qui l’interview. Certains évènements vont être mis en avant au détriment d’autres. Le témoin est libre de choisir l’importance qu’il donne à chacune des situations qu’il nous livre.

Nous l’avons vu avec l’exercice des « turning points » (c.f. Tableaux 2 et 3), les évènements sont modulés et il n’est pas toujours évident de voir exclusivement au travers des entretiens, lesquels sont les plus importants dans un parcours de vie. Le témoin donne une structure ou un ordre engendrant une certaine continuité à son discours mais également une cohérence utile à la compréhension du récit. Dès lors, « tout récit est sélection, remaniement sa propre temporalité, "mise en intrigue" (Ricoeur, 1983) » (Vincent-Ponroy & Chevalier, 2018, p. 162-163). Le fait de privilégier certains événements va nécessairement conduire à en omettre d’autres. La liberté narrative qui leur est donné peut donner lieu également à des déformations dans la manière de raconter un événement, conscientes ou non. Certains passages vont être censurés ou omis volontairement ou involontairement, d’autres vont être enrichis voire romancés. Le récit qui nous parvient donc ne représente pas nécessairement la réalité, les faits sont parfois oubliés ou remaniés. C’est un biais qui existe et qu’il faut prendre en considération dans l’analyse des entretiens. Néanmoins, si le récit de vie peut parfois donner lieu à une transformation de la réalité il permet également de conserver une forme

89 d’authenticité. C’est cette authenticité qui va nous permettre dans l’analyse d’appréhender au mieux les phénomènes sociaux, d’autant plus lorsque l’on se situe dans une démarche comme étant acteur dans une dynamique individuelle en interaction constante avec le collectif (Charmillot & Dayer, 2007).

Cela étant dit, l’entretien reste néanmoins une modalité pertinente pour ce travail de recherche malgré quelques biais. Cela d’autant plus « dans la mesure où le sujet consent à participer à l’enquête, il est présumé de bonne foi, ce qui a priori limite le risque de récits inventés, ou tronqués, qui pourraient nuire à l’étude. » (Vincent-Ponroy & Chevalier, 2018, p. 162-163).

Finalement, les limites qui ont été observées ont pu être contournées ou relèvent d’un choix assumé. Il convint néanmoins de les garder en mémoire lors de l’analyse des données et de les prendre en considération dans une recherche ultérieure.

7.2. Pistes de réponses retenues aux questionnements et retour sur les hypothèses

La première hypothèse a été confirmée. L’analyse des retranscriptions a permis de mettre en évidence des pistes de réponses quant aux origines des formes de violence politique.

En effet, l’hypothèse est que les actes de militance de nos deux témoins trouvent leurs origines dans différents facteurs à différents niveaux. L’explication de la violence est dès lors multifactorielle. Pour mieux appréhender cette piste de réponse, il était intéressant de résumer les observations que nous avons faites :

Tableau 4 : Analyse de la violence politique sur trois niveaux

Niveaux Facteurs Manuela Bruno

90

Cognitifs - Cadres cognitifs de crise - Cadres cognitifs de crise Moraux - Sentiment d’injustice - Sentiment d’injustice

- Honneur militaire

Pour chacun des niveaux, il a été possible de trouver plusieurs facteurs mettant dès lors en avant les causes du recours à la violence politique. A ces derniers s’ajoutent au niveau micro des facteurs dits « moraux » qui ont été révélés dans les entretiens des deux témoins. Le sentiment d’injustice est la conséquence directe des facteurs situationnels du niveau macro.

Leur impact se traduit de manière personnelle chez nos deux témoins. L’honneur militaire a également un rôle important dans le parcours de vie de Bruno, honneur qui a touché directement à sa morale et joué un rôle dans la transformation de ses représentations de l’ordre. Tous ces facteurs, tous niveaux confondus et entremêlés, sont explicatifs et donnent une idée des différents dysfonctionnements qui ont mené nos deux témoins à ajuster leur conduite et à s’orienter dans des activités sociales en lien avec leurs repères identitaires et leurs représentations de l’ordre. Ceux-ci, en plus des facteurs explicatifs mentionnés plus haut, légitiment l’engagement des témoins dans la militance et plus généralement leur ligne de conduite tout au long de leur parcours de vie. En outre, les facteurs sont en partie responsables de l’engagement politique de nos deux témoins mais peuvent également expliquer la militance armée dans leur pays d’origine et dans d’autres de manière plus globale.

La seconde hypothèse concernait les processus de socialisation et soutenait que ces processus - et plus spécifiquement à la période de l’enfance - auraient une incidence sur les choix des conduites des deux témoins notamment lorsqu’ils décident de s’engager dans la militance.

Nous avons vu que l’environnement familial a joué un rôle important dans l’acquisition de repères identitaires. Manuela a été influencée par la carrière et l’engagement de son père dans la politique de gauche tandis que Bruno quant à lui, s’est rapidement dirigé vers une carrière

91 militaire. Leurs parcours les distinguent de par la remise en perspective des repères identitaires qu’ils ont effectuée ou non. Si Manuela a vu ses repères identitaires confortés par les observations qu’elle a réalisée tout au long de sa vie, ce n’est pas le cas de Bruno. Ce dernier a vécu une forme de violence symbolique venant ébranler les repères identitaires qu’il avait construits jusqu’alors lorsque sa hiérarchie lui a donné l’ordre d’être prêt à tirer sur des civiles dans un contexte de grève. Cela vient confirmer la troisième hypothèse, selon laquelle les témoins ont dû remettre en question et réajuster leurs représentations de l’ordre une fois qu’elles ont été ébranlées dans un contexte de violence symbolique. Cependant, cela n’a été vrai que pour l’un des deux témoins. Les processus de socialisation qui existaient jusqu’alors ont dû se réajuster pour correspondre à la nouvelle ligne de conduite.

La littérature nous a démontré que :

La résilience est un processus multifactoriel issu de l’interaction entre l’individu et son environnement, comprenant des variables internes au sujet (structure psychique, personnalité, mécanismes défensifs...) et des variables externes (caractéristiques de l’environnement socio-affectif). (Anaut, 2005, p. 7)

La quatrième hypothèse soutenait que les processus de mentalisation seraient observables dans les entretiens et nous permettraient de mieux appréhender la capacité de résilience des deux témoins. Cela s’est confirmé dans l’analyse des entretiens. A cela s’ajoute le fait que nous avons également pu voir les étapes qui suivaient les évènements traumatisants et constater l’intégration sociale mais aussi le (re)construction des témoins de manière plus générale. Or, « la résilience peut donc se définir comme incluant : a) le ressaisissement de soi après un traumatisme ; b) la (re)construction ou le développement normal en dépit des risques ; et c) un rebond psychologique avec une force mobilisable dans d’autres circonstances. » (Anaut, 2005, p. 8). On le voit clairement dans les derniers entretiens réalisés. Bruno est actif dans la politique dans son pays d’accueil et il explique :

Et j’ai une militance politique avec le secteur de gauche qu’on essaie de pousser pour aller plus encore à gauche mais de manière plus intelligente dans le sens de de pas aller

« gnagnagna » tout le temps se se plaindre mais de de dans le sens de, étudier, proposer des choses viables, des modifications viables, des modifications qui impliquent en même temps euh le jeune médecin privé qui vit de son salaire hmm ? Que euh la petite-moyenne entreprise, homme qui a 3 ou 5 employés, une camionnette, qui font des nettoyages à gauche à droite ou le travailleur qui simplement conduit un camion pour aller distribuer tel ou tel truc ou etc., etc. (Extrait du troisième entretien de Bruno)

92 Son discours démontre non seulement un développement normal mais également un rebond psychologique. Bruno remobilise son engagement dans un tout autre contexte. De même, on retrouve un discours proche dans le dernier entretien de Manuela. Elle souligne son implication dans la politique dans son pays d’accueil.

Mais voilà avec maintenant avec la possibilité de d’être [de la nationalité du pays d’accueil] il y a des portes qui s’ouvrent aussi pour ça et je pense que mon engagement politique aussi qui n’était pas aussi fort que mon père mais que je continue toujours un peu à être en lien avec ce qu’il s’est passé en [pays d’origine] bien sûr parce que il y avait mon père qui restait là-bas mais parce que j’ai cru toujours aussi, et je pense que c’est une force, dans la paix en [pays d’origine] et qu’on doit chercher la paix et améliorer les conditions sociales et je pense que ça quand (elle rit)...jusqu’à la mort je vais avoir aussi ça et c’est comme quelque chose qui me qui me guide un petit peu. Et que je trouve que c’est ma force aussi. Et avoir eu que voilà un bagage de travail et une profession hmm ça aussi même si je ne peux pas la exercer totalement mais oui il y a une partie de ça que qui m’a aidée, et les valeurs. (Extrait du troisième entretien de Manuela)

Comme Bruno, Manuela explicite sa mobilisation dans son engagement dans son pays d’accueil. Les informations dont nous disposons quant à sa situation - conformément à ce que cet extrait témoigne - souligne une pleine implication dans la politique puisqu’aujourd’hui elle est élue au conseil municipal de la ville où elle réside. Ces différents éléments démontrent une forte intégration sociale dans le pays d’accueil supposant une bonne capacité de résilience. En outre, Manuela évoque elle-même la résilience dont elle fait preuve. Elle la définit comme le fait d’« arriver à un endroit et s’adapter et essayer de sortir »en précisant

« moi je le fais depuis 15 ans et je l’ai fait à plusieurs reprises et dans ce sens il y a la force aussi, de la force aussi... ». (Extrait du troisième entretien de Manuela). Les processus de mentalisation sont donc observables dans les entretiens conformément à nos attentes.