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L’engagement dans une forme de militance armée est une réponse à un phénomène social beaucoup plus vaste. Ce travail de recherche nous a permis de mettre en évidence la nature multifactorielle de la violence et plus spécifiquement de la violence dite politique. En outre, quelque que soit la forme de la violence, cette dernière vient toujours en réponse à des phénomènes sociaux en interaction avec des facteurs personnels mais également

93 environnementaux. Si la violence apparait par moments comme une solution face à une désorganisation sociale toujours plus poussée entrainant des injustices, elle ne vient pas toujours réparer la société. En effet, Bosi (2012) observe que « le recours à la violence peut aussi renforcer l’opposition étatique aux groupes armés, stabiliser l’ordre qu’ils essayaient de remettre en cause et susciter une répression physique accrue. » (p. 185). Dans l’histoire de l’Amérique Latine cela s’est vérifié, avec un durcissement des politiques répressives menant, dans les plus extrêmes des cas, même à l’apparition d’unités de combat visant à éliminer les acteurs contestateurs du projet étatique, y compris les civils. Cependant, c’est un risque que beaucoup sont ou ont été prêts à prendre. Manuela décrit assez bien cette nécessité de s’engager dans la militance armée et par conséquent de s’opposer à l’ordre existant.

Euh bon le respect des lois bah ça veut dire qu’il faut savoir de de quelles lois de quoi on parle tu vois ? Parce que finalement si on va parler de...et je le dis par rapport le le groupe là le groupe qui se révolte et que parce qu’ils ont les armes ils n’ont pas le droit etcetera etcetera mais qu’est-ce qui se passe en [pays d’origine] ? Pour moi en tout cas l’explication de qui existe encore des groupes armés [...] Rebel. Bah c’est parce que finalement on veut faire d’une autre façon et on a et on veut une société avec des justices sociales et il n’y a pas la possibilité de faire en suivant les les lois, en faisant partie de la vie politique parce que on nous empêche de faire, de dire et de participer à cette vie politique, alors s’il n’y a pas la démocratie et si on ne peut pas participer dans la politique ouvertement, alors il faut trouver la façon de le faire, mais si on doit infliger [enfreindre] les lois. (Extrait du troisième entretien de Manuela)

Finalement, dans un contexte de violence, où la démocratie et l’organisation sociale est plutôt faible, il n’existe qu’une seule réponse à ceux qui veulent faire entendre leur voix : la militance armée. L’apparition de la violence est donc à mettre systématiquement en lien avec une activité sociale, un contexte donné mais également des représentations et de repères identitaires propres à chacun. Lorsqu’il s’agit d’analyse la violence, il convient avant tout de prendre en considération un processus dynamique et interactionniste entre l’individu avec ses représentations (le niveau micro), la société en termes d’organisation et de structure, d’institution mais également de culture (le niveau méso), dans une temporalité donnée et limitée en termes situationnels, communicationnels et organisationnels (le niveau méso). Par ailleurs, lorsque l’on s’intéresse à un parcours de vie en particulier, il est possible de déterminer ce qui à pousser un individu à s’engager dans la militance armée en se penchant sur les processus de socialisation mais également d’individualisation. Dans une société

94 moderne où l’individualisme prime, les sujets deviennent acteurs de leur propre vie. C’est l’auto-déterminisme et l’accomplissement personnel qui va donner une ligne de conduite à un individu. Il s’agira pour lui de légitimer ses schèmes d’actions en recourant à ses propres repères identitaires et à ses représentations de l’ordre. Les changements de direction dans la ligne de conduite sont à mettre en lien avec un ébranlement de ces repères identitaires.

Le récit de vie s’est révélé être le meilleur choix pour ce projet de recherche et nous a permis de mettre en lumière les capacités de résilience des deux témoins. L’exercice de mentalisation a permis d’appréhender au mieux les affects des témoins face à l’adversité notamment dans des situations extrêmes voire traumatisantes.

[Or] Fonagy (1994), qui a utilisé dans un premier temps le terme de fonction auto-réflexive [...] qu’il définit de manière originale. Il utilise le terme de « fonctionnement autoréflexif » pour définir la mentalisation et rendre compte « de l’aptitude à prendre en considération les états mentaux de l’autre dans la compréhension et le déterminisme de son propre comportement » (De Tychey, 2001, p. 61).

La modalité des entretiens orientés vers le récit de vie permet également de donner du sens à ce que l’on a vécu. L’exercice de mentalisation auquel se sont pliés nos deux témoins n’est pas des plus évidents cependant il « s’agit de conférer un sens à la blessure. » (Anaut, 2005, p. 9). Lorsque l’on demande à Manuela ce qu’elle a pensé de ces entretiens elle explique son ressenti de manière détaillée et qui laisse percevoir cette production de sens à partir du vécu.

C’est vrai que ça, passer un peu la vie en trois heures (elle rit), c’est pas si évident que ça, c’est...de se soumettre à cet euh... parce que c’est des choses aussi qui finalement dans le le quotidien on ne s’arrête pas à penser...moi je ne me suis arrêtée à penser parce que le quotidien prend le dessus, ça veut dire que il faut faire les choses, il faut continuer, il faut vivre mais c’est très intéressant de faire ça, surtout peut-être de se écouter soi-même en train de dire des choses, chose que je ne fais pas toujours. Et sur des thématiques qui touchent beaucoup, pas seulement... qui me touchent beaucoup, pas seulement par ma propre vie mais par mes proches. (Extrait du troisième entretien de Manuela)

Il semble que la recherche ait porté ses fruits et a permis de mettre en avant un certain nombre d’éléments quant aux problématiques posées initialement. Les entretiens et leur analyse ont apporté des réponses aux questions liées aux phénomènes de violence mais sont également venus éclairer les processus de résilience et de socialisation. En outre, l’exercice a aussi

95 permis de voir le travail qui a été fait par les témoins en termes de mentalisation et d’autoréflexion. Le choix des entretiens a été pertinent dans cette perspective. Pour de futures recherches, il serait intéressant d’approfondir le ressenti des témoins quant aux différents événements de vie pour pouvoir développer la question de la résilience. Le nombre de témoin est également source de question. Un troisième profil serait intéressant à intégrer à l’analyse et permettrait de faire des liens voire des constats. Le fait d’avoir trois témoins viendrait enrichir les données et permettrait une analyse plus poussée. Il faudrait néanmoins faire attention que ce profil respecte un certain nombre de critères de façons à avoir un parcours similaire à celui des deux autres (pays d’Amérique Latine, époque, engagement dans un mouvement militant, ...). Par ailleurs, un certain nombre de questions se sont ouvertes au travers de l’analyse des entretiens et de leurs retranscriptions. On pense notamment à la question du genre et de l’ethnie. Malheureusement, les entretiens ne présentent que peu de données par rapport à ces questions. Il serait envisageable d’approfondir ces questions dans un entretien dédié spécifiquement et uniquement à ces problématiques et notamment pour déterminer la place de la femme dans la militance armée mais également les différenciations qui existent au niveau des ethnies dans la lutte armée.

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