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2. Cadrage théorique

2.1. Contexte socio-historique de l’Amérique Latine

L’Amérique Latine reste encore actuellement l’une des régions du monde les plus touchées par la violence. Son histoire de manière générale démontre en outre qu’elle est présente dans le milieu de la politique et du social. Dans l’ensemble des pays on retrouve des formes de violences notamment au sein des mouvements contestataires qui ont émergé au cours du siècle dernier pour se prolonger jusqu’a l’heure actuelle.

La diversité des violences d’un pays à l’autre, voire entre les villes et les provinces d’un même pays, n’empêche ni une compréhension commune du phénomène dans l’ensemble de la région, ni la généralisation du profond sentiment d’insécurité éprouvé par les citoyens latino-américains, qui ont l’impression de pâtir d’une absence de protection. (Garibay, 2008, p. 37)

Face au sentiment d’insécurité grandissant dans diverses régions du continent, un certain nombre de mouvements contestataires ont vu le jour avec à leur tête différentes figures iconiques. Nous allons voir dans cette partie en quoi ces mouvements ont consisté et comment ils se sont développés, certains pour renverser l’ordre établi et d’autres pour finir par s’éteindre.

Afin de circonscrire les témoignages qui nous ont été livrés, il est primordial de définir un espace-temps et de présenter le contexte dans lequel ont évolué nos deux témoins. Pour ce faire nous allons tenter de retracer divers mouvements politiques ayant vu le jour et s’étant développé en Amérique Latine dès les années 1950.

[En effet] en Amérique latine, le moment révolutionnaire (les « trente glorieuses » de la révolution) s’étend de la Révolution cubaine (1959) à la chute du mur de Berlin (1989), qui précède de peu la défaite électorale des sandinistes au Nicaragua, le reflux des guérillas et les accords de paix en Amérique centrale (mais aussi avec certains groupes armés en Colombie). (Le Bot, 2013, p.40)

Nous nous baserons sur cette temporalité pour présenter le contexte socio-historique en lien avec les récits de vie de nos témoins. Le contexte socio-historique est fondamental pour appréhender les phénomènes sociaux que nous cherchons à mettre en évidence à partir des récits de vie. Nos deux témoins se sont engagés dans des mouvements contestataires de gauche et ce sont ces mouvements que nous allons essayer de retracer dans cette partie.

8 C’est à Cuba que le régime de gauche le plus significatif a vu le jour en 1959 avec l’arrivée au pouvoir - lors de la Révolution Cubaine - de Fidel Castro (1926-2016). La révolution cubaine avait dans un premier temps un caractère nationaliste avant de se revendiquer « Communiste » à partir de 1965. Le but initial de la révolution était alors de renverser une dictature soutenue par les États Unis alors au pouvoir sur l’île et de rétablir une démocratie. Ce n’est qu’à la suite de la victoire de la Révolution Cubaine que des réformes seront entamées pour progressivement amener le pays à un régime Communiste en 1965. La Révolution Cubaine conduit l’île, en janvier 1959, à la victoire des guérilleros cubains face à Fulgencio Batista (1901-1973) qui est renversé. Le régime de Batista, soutenu par le gouvernement américain, est balayé par le mouvement mené par Fidel Castro et Che Guevara (1928-1967). En 1961, c’est après le débarquement de la baie des Cochons où les exilés cubains ont tenté d’envahir Cuba - avec le soutien militaire des États-Unis - que le gouvernement cubain décide de s’allier à l’URSS dans un effort nationaliste. La victoire de la Révolution Cubaine, mais également la défaite du débarquement, va constituer un véritable changement de paradigme non seulement pour la gauche latino-américaine mais également pour tous les latino-américains ayant une sensibilité de gauche. La gauche latino-américaine va alors valoriser cette Révolution Cubaine qui prouve que les États-Unis peuvent être mis en échec. La lutte latino-américaine pour l’émancipation va avoir un certain nombre de figures et de personnalités iconiques à sa tête : Fidel Castro, Ernesto Che Guevara ou encore Camilo Cienfuegos (1932-1959). Forte de cette première victoire, la résistance armée cubaine va progressivement se développer et engendrer une politique d’aide internationaliste à tous les mouvements révolutionnaires dans le monde entier. Cette volonté de s’exporter à l’international émane en partie d’Ernesto Che Guevara qui a voulu étendre l’idéologie qu’il défendait. En atteste cette citation : « il faut créer deux, trois, plusieurs Vietnam pour obliger l'impérialisme à disperser ses forces. » (Extrait du discours lu en août 1967 à la Conférence de Solidarité des Peuples des Trois Continents à la Havane). Ces figures révolutionnaires vont entraîner des mouvements à travers toute l’Amérique Latine avec par exemple les guérillas en Colombie, le Front Sandiniste de Libération National au Nicaragua (FSLN pour Frente Sandinista de Liberación Nacional), le Mouvement pour le Socialisme en Argentine et en Bolivie (MAS pour Movimiento Al Socialismo) ou encore le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR pour Movimiento de Izquierda Revolucionaria). Ces mouvements contestataires se sont développés « la plupart du temps face à des régimes autoritaires et répressifs, dans un contexte d’inégalités sociales croissantes et de crise économique de grande ampleur. » (Goirand, 2010, p.446). Ces organisations militantes ont comme point

9 commun d’être apparues en réponse à des problématiques sociétales favorisant la croissance des inégalités socio-économiques et la crise économique.

Les mouvements observés en Amérique Latine dans les années 1970-1990 ont tous été évoqués dans la littérature sous l’appellation de « mouvements populaires ». Cela revient à réfléchir sur les causes sociétales à la base même de l’émergence de ces mouvements. Les organisations sont composées à la fois de militants issus du milieu paysans mais également des classes ouvrières voire moyennes. « L’expression de « mouvement populaire de base » désigne donc des mobilisations principalement menées par des citadins pauvres, parfois des paysans, dont les revendications très hétérogènes se sont organisées autour de la question des conditions de vie, des services publics et des droits sociaux. » (Goirand, 2010, p.448-449).

Les populations vivaient les discriminations et les inégalités en termes de droits sociaux et de privilèges comme quelque chose d’injuste. C’est dans ce contexte que les mouvements populaires sont apparus au travers de toute l’Amérique Latine à la fin des années 1970.

« Dans l’ensemble du continent, des mouvements de contestation se sont organisés au sein des milieux populaires, dans différents secteurs : crèches associatives, coopératives alimentaires ou soupes populaires, le plus souvent organisées par des femmes ; protestation contre la vie chère et demande d’accès aux soins médicaux au Brésil ; opposition à la politique de destruction des bidonvilles à partir de 1977 » (Goirand, 2010, p.449). Les populations civiles revendiquaient alors leurs droits et l’exprimaient en recourant à la militance.

Un élément en particulier a contribué à la naissance et la croissance de ces mouvements populaires à cette époque : en effet, les églises catholiques ont joué un rôle prépondérant dans l’organisation des mouvements contestataires et dans la formation des jeunes militants. On trouve par exemple des évêques ou des prêtres dans les rangs des mouvements d’oppositions aux régimes autoritaires. Camilo Torres Restrepo (1929-1966) est un prêtre qui était militant de gauche dans l’Armée de libération nationale (ELN pour Ejército de Liberación Nacional) en Colombie. Ainsi, l’Église était impliquée dans ce type de militance et « à partir de 1968 et de la conférence des évêques latino-américains de Medellín qui, en août, a défini "l’option pour les pauvres", les Églises nationales ont ouvert un espace d’opposition politique, inexistant auparavant. » (Goirand, 2010, p.450). Elles ont eu une influence notable sur les différents mouvements en Amérique Latine.

Au Chili, le Mouvement de la gauche Révolutionnaire (MIR) est un mouvement politique d’extrême gauche qui voit le jour en 1965. L’Unité populaire comme d’autres partis de

10 gauche ont porté Salvador Allende (1908-1973) au pouvoir en 1970. Le Parti Socialiste prend le pouvoir par les élections. Le Chili est le deuxième pays d’Amérique Latine à avoir eu un gouvernement de gauche. La gouvernance de Salvador Allende avait fait des réformes sur des bases révolutionnaires. Après trois ans, l’armée dirige un coup d’État contre le gouvernement. Augusto Pinochet (1915-2006) prend le pouvoir quelques semaines plus tard. « Le coup d’État sanglant de septembre 1973 confirma une grande partie de la gauche latino-américaine dans la nécessité du recours aux armes. » (Le Bot, 2013, p. 41). Dans la même région, on peut également nommer le Frente Patriótico Manuel Rodríguez (FPMR) dans les luttes armées. Il s’agit d’un mouvement de gauche marxiste-léniniste qui s’est opposé au régime de Pinochet dès les années 1980

Au Nicaragua, le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) va prendre les armes contre le gouvernement dictatorial dirigé par Anastasio Somoza Debayle (1925-1980). Le mouvement prend la suite de la militance armée d’Augusto Caldròn Sandino (1895-1934), un dirigeant des mouvements guérilleros du Nicaragua qui s’opposa au gouvernement lequel bénéficiait du soutien militaire des États-Unis. En 1978, le FSLN, après plusieurs années de lutte, finit par s’installer dans le palais présidentiel, prenant au passage des membres du gouvernement en otages. Somoza est alors renversé et supplanté par le FSLN et des soulèvements de la population. Des grèves généralisées vont mettre à mal le gouvernement de Somoza renforçant peu à peule FSLN. Lors d’une de ces grèves, un citoyen américain sera tué et la scène - alors filmée par des caméras - sera retransmise sur de nombreuses télévisions en direct. L’incident diplomatique incitera le gouvernement des États-Unis à se retirer et à ne plus soutenir Somoza. Ce dernier finira par fuir le pays en 1979 laissant le pouvoir au FSLN.

En 1984, Daniel Ortega (1954-aujourd’hui), représentant du FSLN, est élu président. Opposé à son élection, le gouvernement américain met en place un embargo et finance des groupes armés opposants. Finalement, c’est 1990 que le FSLN perd les élections face à un Parti d’Union Libérale que soutenait le gouvernement étasunien. En 2006, Daniel Ortega est à nouveau élu en qualité de président.

Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia pour FARC) aussi appelées l’armée du peuple (Ejércitodel Pueblo) vont être à la tête d’une multitude d’actions visant à renverser le pouvoir faisant du mouvement la principale guérilla dans le pays. En 1985, les FARC vont créer l’Union Patriotique à l’issue d’un dialogue de paix sollicitant un cessez-le-feu entre les FARC et le gouvernement. Cette première tentative de dialogue va donner l’impulsion à la création de l’Union Patriotique.

11 Cependant, de nombreux dignitaires, partisans et sympathisants de ce Parti seront assassinés et ce malgré la signature du cessez-le-feu. Le mouvement des FARC va progressivement gagner en force pour aboutir à une puissance militaire importante dans les années 1990. Un second dialogue de paix se fera à la fin des années 1990. Une zone démilitarisée est créée en accord avec le gouvernement. Le président Andrés Pastrana (1954-aujourd’hui) accorde aux FARC le contrôle d’une zone géographique de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Le dialogue de paix s’enclenche, mais les FARC et le gouvernement ne parviennent pas à un accord. Le mouvement va profiter de cette zone de paix pour y installer ses campements.

C’est finalement en novembre 2016, qu’un accord de paix est signé entre le gouvernement et les FARC. Cet accord stipule que les FARC doivent déposer les armes peu à peu pour aboutir à un désarmement total. Dans ce but, l’accord permet aux militants démobilisés de retourner à la vie civile avec des aides financières afin de faciliter leur intégration. Néanmoins, une insécurité certaine est observée puisque de nombreux anciens militants ont été assassinés jusqu’en 2019. Certains anciens combattants ont repris les armes mettant en cause le respect de l’accord ratifié en 2016 par le gouvernement.

Progressivement, ces mouvements populaires ont dû se transformer pour s’adapter à une réalité en constante évolution. D’abord, à la fin des années 1970, l’on assistait à la relative démocratisation de certains régimes autoritaires. Un autre facteur de changement dans ces mouvements contestataires se résume au phénomène d’« épuisement des idéologies et des groupes révolutionnaires qui défendaient la lutte armée » (Goirand, 2010, p.450). Et finalement, la crise économique de 1982 a également engendré des changements pour ces organisations militantes. Les moyens s’amenuisant, certains mouvements n’ont pas eu d’autres choix que de se dissoudre.

Peu à peu, les mouvements militants vont perdre de la vigueur dans les différentes régions d’Amérique Latine.

Prost (2008), résume :

En Colombie, la violence des FARC finit par entraîner une lassitude générale au tournant des années 2000. Enfin, les erreurs des révolutionnaires eux-mêmes. Le régime sandiniste accepta le verdict défavorable des urnes, et le régime cubain se laissa user par le temps. La gauche latino-américaine s’est caractérisée par sa division, une partie refusant l’aventure révolutionnaire. (p. 63)

A l’heure actuelle, les mouvements révolutionnaires se sont donc atténués. De manière générale, les guérillas et autres mouvements se sont dissous pour laisser place à des

12 mouvements « moins centrés sur l’État-nation, plus sociaux, culturels et éthiques que politiques, dans lesquels les jeunes et les femmes jouent un rôle décisif » (Le Bot, 2013, p.57).

De plus en plus, les régimes autoritaires tendent à s’effacer pour laisser place progressivement à la démocratie. L’Amérique Latine est en transformation vers un mouvement d’unification des différentes régions et de mondialisation.