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5.4 Retour sur les hypothèses de départ

6.1.2 Victimation dans les écoles en REP

Comment expliquer la plus grande fréquence de victimation des élèves dans les écoles en REP ? Un premier élément à noter est que les caractéristiques des élèves dièrent entre les établissements suivant s'ils se trouvent ou non en REP (Soussi & Nidegger, 2015). Par rapport à l'ensemble du canton de Genève, il y a davantage d'enfants de milieu défavorisé dans les établissements en REP (55%) que dans les autres écoles (34%). Il y a également plus d'enfants allophones dans les écoles en REP (59%) que dans les autres établissements scolaires (39%). Dès lors, une porte d'entrée pour répondre à cette question est en lien avec des caractéristiques des milieux défavorisés.

Les pratiques disciplinaires des parents tout comme la qualité de leur supervision et de la relation qu'ils entretiennent avec leurs enfants (Esterle-Hedibel, 2006) jouent un rôle important dans le développement de comportements sociaux adaptés (Palhavan, 2002). Or, la pauvreté, la précarité de vie, le chômage avec tout le stress que cela implique sont autant d'éléments qui risquent de mettre à mal à la fois l'"échange éducatif" et le "contrôle parental" (supervision) avec pour conséquence une "incapacité croissante à repérer, nommer et sanctionner les déviances de l'enfant de manière adéquate, oscillation entre retrait et autoritarisme" (p.59) (Esterle-Hedibel, 2006).

Plusieurs recherches mettent en lien le statut socioéconomique avec les styles paren-taux. Par exemple, Ho, Laursen et Tardif (2002) arment que les parents qui ont un

6. Il est préférable de parler des "études de genre", plutôt que des "théories sur le genre", parce que certains utilisent cette terminologie pour donner l'impression qu'elles manquent de sérieux scientique

statut socioéconomique bas sont plus susceptibles d'utiliser la punition physique comme méthode disciplinaire. Dans la même veine, Dodge, Pettit et Bates (1994) montrent une relation entre le statut socioéconomique et la socialisation des enfants. Dès leur plus jeune âge, la plupart des enfants de milieu défavorisé sont exposés à des relativement hauts de-grés de discipline sévère, des niveaux élevés de violence, des niveaux élevés d'événements de vie familiaux stressants, des mères qui soutiennent les valeurs agressives de leurs enfants et qui leur orent peu de chaleur.

En retour, Heimer (1997) soutient que les enfants qui sont soumis à ce type de discipline sont plus susceptibles de s'engager dans un comportement agressif ou violent. De plus, les parents de milieu défavorisé sont moins susceptibles de désapprouver l'usage de la force physique pour résoudre les problèmes, ce qui peut conduire leurs enfants à développer une représentation favorable de la violence et de son usage pour les résoudre.

Ceci dit, deux éléments essentiels doivent encore être soulignés. Tout d'abord, il n'est pas question de déterminisme dans les pratiques disciplinaires des parents de milieu dé-favorisé, mais de risque (dans le sens d'une augmentation de la probabilité). En outre, même si les résultats présentés ci-dessus révèlent des liens entre le milieu social et les pratiques parentales, ainsi qu'entre les pratiques parentales et les conduites agressives, ils ne doivent pas être compris comme une incapacité des parents de milieu défavorisé à éduquer correctement leurs enfants, qui conduirait ces derniers à s'engager dans des comportements agressifs.

Delay et Frauenfelder (2013) distinguent des représentations diérentes de l'enfant en fonction de la classe sociale des familles. Par les classes moyennes, il serait vu comme un

"adulte en devenir" qu'il faut responsabiliser et dont la personnalité et les potentialités doivent être révélées. Le rôle des parents serait de rendre cela possible (Frauenfelder

& Delay, 2005), notamment à travers une éducation "démocratique" qui privilégie la négociation et la communication (Delay & Frauenfelder, 2013). Les classes populaires, qui ne verraient pas l'enfant comme un "adulte en devenir [...] mais davantage comme un être inachevé, immature, comme un petit animal sauvage qui de ce fait même nécessite en toute logique une certaine forme de dressage et de surveillance" (p.193), auraient une conception plus hiérarchique de l'éducation où l'enfant se doit d'obéir (Delay

& Frauenfelder, 2013).

L'importance de la discipline et de l'obéissance de l'enfant, dans les milieux populaires, serait renforcée par les conditions de vie des familles qui donneraient aux "méthodes éducatives rigides [...] un caractère de nécessité" (p.196) (espace, ressources temporelles et nancières, état de fatigue : Delay & Frauenfelder, 2013) et par la préparation de l'enfant à la hiérarchie de ses futurs rapports sociaux, notamment au niveau professionnel (Le Pape, 2009). Ainsi, les parents tendraient à reproduire, au sein de leurs foyers, les rapports qu'ils entretiendraient avec leurs employeurs et à transmettre des valeurs (respect de la hiérarchie, conformation aux règles) qui correspondraient à leur réalité sociale (Delay

& Frauenfelder, 2013 ; Le Pape, 2009). Dans cette perspective, l'éducation des familles de milieu populaire repose sur des normes qui s'écartent de celles qui sont considérées comme

"légitimes" et pourait être vue comme une mauvaise éducation, si elle était jugée selon cette vision (Delay & Frauenfelder, 2013).

De plus, l'environnement social des enfants ne se limite pas aux interactions familiales (Fontaine, 2003). Le quartier peut également jouer un rôle dans le développement des conduites agressives. Ainsi, dans un rapport mondial sur la violence et la santé de l'OMS (2002), il est écrit :

Un taux de mobilité résidentielle élevé, autrement dit des déménagements fréquents, l'hétérogénéité de la population, ou sa grande diversité, et un "ciment" social quasi inexistant dans les communautés, ainsi qu'une forte densité démographique sont autant d'exemples de ces caractéristiques et chacune est associée à la violence. De même, les communautés qui connaissent des problèmes tels que le trac de stupé-ants, un taux de chômage élevé ou un isolement social général (par exemple, les gens ne connaissent pas leurs voisins ou ne participent pas à la vie communautaire locale), risquent plus également d'être confrontées à la violence. La recherche sur la violence montre que les risques de violence sont plus importants dans certains contextes communautaires que dans d'autres par exemple, dans les quartiers pauvres ou délabrés, ou encore là où le soutien institutionnel est minime (p.14).

Dès lors, les enfants de milieu défavorisé sont potentiellement plus exposés à de la vio-lence dans leur quartier (Blaya, 2006) et au sein de leur famille. Pour Eccles et Gootman (2002), les jeunes de quartiers défavorisés sont susceptibles de faire l'expérience d'envi-ronnements chaotiques à la maison, à l'école et dans les rues ce qui peut faciliter les conduites agressives des enfants qui y sont exposés (Blaya, 2006). Les élèves se trouvant dans les établissements scolaires des quartiers les plus défavorisés sont également plus à risque d'être exposés à des violences (Debarbieux, 2006). En eet, celles-ci ne s'arrêtent pas aux portes des écoles qui, s'insérant dans un contexte (quartier, environnement so-cial) plus ou moins propice à leur éclosion, sont soumises à l'inuence de facteurs externes (Blaya, 2006) ; elles sont aussi "le reet de ce qu'il se passe dans la communauté exté-rieure" (p.71). Ainsi, une des variables qui corrèle le plus fortement à la victimation des élèves est, pour Blaya (2006), le fait de vivre dans une communauté qui se caractérise par sa précarité, sa désorganisation et par son acceptation de la déviance et de la violence.

Par conséquent, la plus grande fréquence des actes agressifs entre élèves dans les écoles en REP est très probablement liée, en partie, à des facteurs sociaux et familiaux.

Néanmoins, pour certains auteurs, les facteurs scolaires sont autant importants, voire davantage. Autrement dit, les arrière-plans socioéconomiques et familiaux n'expliquent pas tout : "le fonctionnement scolaire peut induire des comportements délictueux. Il y a un eet établissement dans la construction de la violence qui ne peut être réduite à une

état de fait est défendu par Debarbieux (2015) : si toute la violence scolaire pouvait être expliquée par des facteurs socioéconomiques et externes à l'école, alors tous les établisse-ments scolaires qui s'inscrivent dans un contexte social identique devraient être exposés au même type de violence, ce qui n'est pas le cas.

Soule et Gottfredson (2003, cité par Debarbieux, 2015) montrent qu'un des facteurs qui explique le plus l'augmentation de la victimation est le manque de stabilité des équipes éducatives. Or, la stabilité des équipes, malgré son importance, serait moins grande dans les milieux plus diciles, ce qui expliquerait en partie les taux plus élevés de violence dans les établissements scolaires situés dans des quartiers défavorisés (Debarbieux, 2015).

Néanmoins, cette explication ne semble pas être applicable au canton de Genève, puisque, le rapport d'évaluation du REP de 2014 huit ans après son introduction met en évidence qu'il n'y a pas plus de changements d'établissement en REP qu'en dehors et que la plupart des enseignants restent dans la même école (Soussi & Nidegger, 2015).

D'autres facteurs peuvent jouer un rôle dans l'"eet établissement". Carra et Fag-gianelli (2003) mettent en évidence que celui-ci est d'autant plus favorable que les règles scolaires sont connues et appliquées par tous le manque de clarté des règles et l'injustice dans leur application est le facteur qui explique le plus l'augmentation de la victimation avec l'instabilité des équipes (Soule & Gottfredson, 2003, cité par Debarbieux, 2015) qu'il y a une bonne cohésion au sein de l'équipe, que les attentes de réussite scolaires sont fortes pour tous les élèves et qu'il y a un fort sentiment d'appartenance à la communauté scolaire de la part des élèves comme des adultes. Il se peut qu'il y ait des manques, au sein des écoles en REP, sur un ou plusieurs de ces éléments, ce qui pourrait expliquer la plus grande fréquence de victimation des élèves. En conclusion, il est possible que la fréquence de victimation des élèves en REP soit plus élevée, parce que le fonctionnement actuel de ces établissements ne permet pas de compenser les facteurs de risque, sociaux et familiaux, des quartiers dans lesquels ils se trouvent.