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Les prémices de la théorie des représentations sociales sont attribuées à Durkheim qui introduit le concept de représentations collectives, en 1898, et le distingue des repré-sentations individuelles (Baggio, 2011 ; Moscovici, 2012 ; Moscovici, 2014). La notion de représentation collective a fortement marqué la science sociale en France, avant de qua-siment disparaitre pendant près d'un demi-siècle (Moscovici, 2012). Il faut attendre le début des années 1960 pour que l'étude des représentations connaisse un second soue avec la naissance du concept de représentation sociale, développé par Serge Moscovici dans un texte paru en 1961, La psychanalyse, son image et son public (Baggio, 2011).

Dans cet ouvrage, Moscovici (2014) dénit la représentation sociale comme "une moda-lité de connaissance particulière ayant pour fonction l'élaboration des comportements et la communication entre individus" (p.26) et comme "un corpus organisé de connaissances et une des activités psychiques grâce auxquelles les hommes rendent la réalité physique et sociale intelligible, s'insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien d'échanges, li-bèrent les pouvoirs de leur imagination" (pp.27-28). Une dénition similaire est donnée par Jodelet (2012) qui dénit la représentation sociale comme "une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social" (p.53).

Plusieurs auteurs mettent en évidence la diculté à dénir le concept de représentation sociale (Deschamps & Clémence, 2000). Pour Moscovici (2014), si la réalité des repré-sentations sociales est facile à saisir, ce n'est pas le cas du concept. Et pour Grize (2012), il est même "nécessaire d'éviter les questions de dénition" (p.184), parce que "l'étude de représentations est déjà susamment complexe pour qu'il soit sage de ne pas commencer par celle des représentations de représentations" (p.185). Dès lors, ce travail se restreint aux dénitions données ci-dessus tout en sachant que d'autres auteurs peuvent donner des dénitions diérentes, d'autant plus qu'il existe diérentes approches des représentations sociales (Baggio, 2011). Par conséquent, la suite du propos vise à souligner certaines caractéristiques de la théorie des représentations sociales dans le but d'apporter quelques éléments de compréhension de cette notion et mettre en évidence son intérêt dans le cadre du harcèlement entre élèves, sans aucune prétention d'exhaustivité. Tout d'abord, les représentations sociales renvoient à des connaissances de sens commun (Aebischer &

Oberlé, 2012 ; Plivard, 2012) et s'expriment dans la vie quotidienne. Ainsi, "elles circulent, se croisent et se cristallisent sans cesse à travers une parole, un geste, une rencontre, dans notre univers quotidien. La plupart des rapports sociaux noués, des objets produits ou consommés, des communications échangées en sont imprégnés" (Moscovici, 2014, p.39).

Ces représentations sont sociales, parce qu'elles sont partagées, mais elles le sont "avant

universelle (Deschamps & Clémence, 2000). Ainsi, Aebischer et Oberlé (2012) notent : Ces recherches montrent que le sens ainsi construit, les interprétations qu'en donnent les uns et les autres, ne sont pas nécessairement consensuels. Les représentations so-ciales ne sont pas également partagées par tous les individus d'une société. Elles sont produites, partagées et portées par des sous-groupes qui socialisent leurs membres à partir d'enjeux et d'intérêts parfois conictuels. (p.170)

Dans le cadre de cette étude, l'aspect de la théorie des représentations sociales qui semble, a priori, le plus intéressant est leur potentiel pouvoir explicatif des diérences entre enseignants dans le repérage et l'intervention en cas de harcèlement entre élèves.

En eet, "les représentations et les perceptions fonctionnent comme un système d'inter-prétation de la réalité qui régit les relations des individus avec leur environnement social.

Elles déterminent leurs comportements et leurs pratiques et orientent les actions et les relations sociales" (Vultur, 2005, p.98), cela correspond aux fonctions d'orientation des représentations sociales qui guident les pratiques et les comportements (Abric, 2011).

Ce travail s'intéresse notamment à la manière dont le fait de se représenter le monde comme un endroit juste ou non inuence les attitudes et les pratiques des enseignants vis-à-vis du harcèlement entre élèves.

2.1.1 Croyance en un monde juste

Dans une revue critique de la littérature, Furnham et Procter (1989) traitent d'une théorie qui est le plus souvent appelée l'hypothèse du "monde juste". L'idée de base de cette théorie est que les personnes sont motivées à croire que le monde dans lequel elles vivent est juste : les gens étant récompensés pour leurs bonnes actions et rétribués négativement pour leurs méfaits (Furnham, 2003 ; Lerner & Miller, 1978). Formulée par Lerner en 1965, sa préoccupation centrale est la tendance des personnes à blâmer les victimes de malheurs (Furnham & Procter, 1989). Selon Lerner (1977), l'hypothèse du monde juste s'inscrit dans un dilemme : donner du sens au fait qu'une même personne peut présenter une profonde compassion face à la sourance d'une autre personne, alors qu'à d'autres moments, elle réagit avec indiérence à des cas de misère égale ou supérieure et, d'autres fois encore, elle fait volontairement sourir.

Les personnes se distinguent, entre autre, quant à leurs croyances sur la justice du monde. En eet, pour certains, "nous vivons dans un monde juste [où] il arrive aux gens ce qu'ils méritent et [où] les gens méritent ce qui leur arrive", alors que cela n'est pas vrai pour d'autres (Vallerand, 2006, pp.426-427). Dalbert (2009) arme que "des études ont montré une relation positive entre la [croyance en un monde juste] et le fait de trouver justiés des désavantages graves (par exemple, en dépréciant la victime)". Or, la tendance à croire en un monde juste est également une variable de personnalité qui peut permettre de diérencier entre les secouristes ("aiders") et les personnes qui n'aident pas (Bierho,

Klein & Kramp, 1991). D'après ces auteurs, elle fait partie des caractéristiques de la personnalité altruiste.

Certains résultats supportent donc l'hypothèse selon laquelle le rejet et la dévaluation d'une victime de la sourance sont principalement basés sur le besoin de l'observateur de croire en un monde juste, ce qui a pour conséquence de faire que le rejet apparait principalement lorsque ce besoin n'est pas satisfait en attribuant des méfaits à la victime (Lerner & Simmons, 1966). Mais, d'autres facteurs doivent encore être présents pour que la victime soit blâmée :

One of these is that the observer believes the suering he sees will probably continue in one form or another the suering is not a single, relatively isolated event in the victim's life. The other required element is that the observer is powerless to help the victim given that he acts within the rules of the system in which the event takes place (Lerner & Simmons, 1966, p.204).

En résumé, parfois il y a une association positive entre la croyance en un monde juste et le fait d'aider les victimes (ex. Bierho et al., 1991), parfois il n'y en a pas (ex. Correia & Dalbert, 2008). En fait, les comportements, dans lesquels les personnes s'engagent, vont d'aider la victime ou la dédommager, à une rationalisation psychologique du destin de la victime, par exemple, en percevant son sort comme mérité et, donc moins injuste, à cause de son caractère indigne (Hafer & Bègue, 2005) ou de sa responsabilité perçue (Kogut, 2011). Ainsi, les victimes de viol peuvent parfois être l'objet de blâme et de mépris (Pugh, 1983) et le fait qu'elles portent des tenues provocantes ("reveling clothing") tend à faire percevoir une moindre culpabilité de leurs auteurs (Mancini &

Pickett, 2015). De même, les personnes séropositives tendent à être considérées comme des "victimes innocentes" (transfusion) pour lesquelles l'aide sociale est indispensable ou comme des "coupables blâmés" (homosexualité, toxicomanie) pour lesquels cette aide est moins justiée, en fonction du mode de contraction du sida (Apostolidis & Cordival, 1995, cités par Gosling, 1996).

Les propos de Vallerand (2006) permettent d'éclairer l'ambivalence des comportements qui découlent de la croyance en un monde juste. Selon cet auteur, il existe plusieurs normes de réciprocité, d'équité, de responsabilité et de justice qui n'ont pas toujours d'in-uence sur le comportement d'aide. Il donne plusieurs explications à cet état de fait dont deux sont particulièrement pertinentes ici. Premièrement, il peut y avoir des conits entre diérentes normes. Deuxièmement, comme les normes sont générales, elles ne peuvent pas s'appliquer à toutes les situations.

La croyance en un monde juste peut être un cadre intéressant dans le contexte du harcèlement entre élèves, puisque, selon Elias et Zinsd (2003), les victimes d'intimidation sont souvent blâmées, presque comme si elles en étaient les auteurs.