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2.6 Dynamique du harcèlement entre élèves

2.6.1 Causes du harcèlement

Il n'existe pas qu'une seule manière d'expliquer les causes de la violence en milieu scolaire. Plusieurs modèles théoriques, qui pourraient être intéressants dans le cadre du harcèlement entre élèves, existent. Blaya (2006) met en évidence diérents modèles so-ciologiques la "théorie des inégalités", la "théorie de la désorganisation sociale", la

"théorie de l'eet établissement" et la "construction ethnique de la violence à l'école"

et traite de l'approche par facteurs de risque. C'est dans cette dernière approche que s'inscrit le présent travail.

Approche par facteurs de risque Debarbieux (2006) met en évidence cinq catégo-ries de facteurs de risque : (a) les facteurs de risque individuels (ex. le tempérament, le TDAH, l'initiation précoce à la violence et le genre), (b) les facteurs de risque fa-miliaux (ex. la maltraitance/l'abus sexuel, la faible relation parents-enfants, le manque d'engagement parental, les pratiques punitives excessives ou uctuantes), (c) les facteurs de risque associés à l'école (ex. l'échec scolaire, les problèmes disciplinaires fréquents), (d) les facteurs de risque liés aux pairs (ex. les pairs délinquants) et (e) les facteurs de risque liés au milieu social (ex. la pauvreté, la désorganisation communautaire) (pp. 157-161 et pp.162-163). Les exemples entre parenthèses sont issus d'un tableau récapitulatif de Debarbieux (2006, p.162-163) sur la base de trois synthèses d'autres auteurs (Haw-kins, Fortin et Vitaro-Gagnon). Il s'agit de tous les facteurs de risque qui ont un eet fort dans les trois synthèses. Il écrit encore : "il n'y a donc pas une cause à la violence.

Chaque facteur à lui seul n'est en rien une explication susante. Nous sommes dans un système hypercomplexe et à la pluralité des causes il faudra bien apporter des réponses diérenciées" (p. 161).

Certes, ici, l'approche par facteurs de risque est utilisée dans le cadre de la violence scolaire de manière générale et non du harcèlement entre élèves, mais elle peut également être utilisée dans le second cas. D'ailleurs, de nombreux auteurs étudient les facteurs de risque dans le cadre de l'intimidation entre élèves (voir par exemple, Bosworth et al., 1999 ; Pepler, Jiang, Craig & Connolly, 2008 ; Saarento et al., 2013 ; Smith & Ananiadou, 2003 ; Tto, Farrington & Lösel, 2012). De plus, même si certains facteurs de risque sont spéciques à une forme particulière de violence, le plus souvent les facteurs de risque sont communs à toutes les formes de violences (Organisation Mondiale de la Santé [OMS], 2002, p.13).

L'approche par facteurs de risque et de protection est intéressante pour les phénomènes complexes dont l'explication n'est pas simple et encore moins unique (Dumas, 2013), ce qui est le cas du harcèlement scolaire (Nocentini et al., 2013). Selon Debarbieux (2006), "tout est question de combinaison de facteurs de risque dans l'augmentation de la probabilité de risque et dans la capacité de chaque individu à faire face à un événement précis" (p.154).

Selon Farrington et Baldry (2010), par dénition, des facteurs de risque prédisent une probabilité élevée pour un certain résultat tel que le harcèlement entre élèves. Pour Dumas (2013), deux concepts sont importants dans cette approche. Premièrement, l'"équinalité"

qui illustre le fait que plusieurs facteurs de risque peuvent avoir la même conséquence.

Deuxièmement, la "multinalité" qui met en lumière qu'un même et unique facteur de risque peut avoir plusieurs conséquences diérentes.

Plusieurs manières de catégoriser les facteurs de risque peuvent être utilisées, par exemple, les cinq catégories de Debarbieux (2006) citées précédemment. De leur côté, Hong et Espelage (2012) font une revue de littérature des facteurs de risque associés au harcèlement entre élèves en utilisant le modèle écologique de Bronfenbrenner. Ce travail

reprend les catégories utilisées par Cook et al. (2010) qui font la distinction entre les pré-dicteurs individuels ("Individual predictors") et les prépré-dicteurs contextuels ("Contextual predictors") pour mettre en évidence un certain nombre de facteurs de risque sans aucune prétention d'exhaustivité.

En eet, la recherche montre que le risque que des enfants deviennent les cibles d'au-teurs de harcèlement peut être prédit à partir de caractéristiques individuelles et de fac-teurs dans l'environnement immédiat des enfants (Arseneault et al., 2010). De plus, il est utile de connaitre les caractéristiques des enfants victimes de harcèlement, puisque cela augmente la capacité à identier les enfants qui sont les plus susceptibles de nécessiter l'intervention d'un adulte, parce qu'ils sont auteurs de harcèlement et/ou se font harceler par leurs camarades (Beran, 2005).

Bien que la possibilité d'identier les victimes et les auteurs de harcèlement à partir des facteurs de risque présente une certaine utilité (Beran, 2005), certaines recherches sug-gèrent que cela pourrait également avoir des eets pervers. En eet, des études montrent que les attentes à l'égard d'autrui sont susceptibles de le pousser à adopter des compor-tements qui sont en conformité avec elles (Pelletier, 2006). Ce phénomène est appelé de diérentes manières (Trouilloud & Sarrazin, 2003) : eet des attentes, eet Pygmalion (Rosenthal & Jacobson, 1968) ou encore prophétie qui s'autoréalise (Merton, 1948). Il peut s'appuyer sur des croyances erronées comme sur des faits réels (Pelletier, 2006). Par conséquent, un eet pervers possible serait que des élèves que les enseignants identient comme auteurs ou victimes potentiels de harcèlement soient renforcés dans leur position ou en deviennent réellement. De plus, certains auteurs suggèrent que le fait d'attribuer une étiquette à une personne entraine un risque de stigmatisation (Lacaze, 2008 ; Link

& Phelan, 2001 ; Vienne, 2004). Par conséquent, un second eet pervers de cette iden-tication des élèves serait que certains d'entre eux soient catalogués comme harceleurs, par exemple, avec le risque qu'ils soient discriminés par leurs enseignants, voire par leurs camarades. Dans le cadre du harcèlement, Iudici et Faccio (2014) mettent certains de ces risques en évidence :

In addition, the theoretical matrix of interactionism suggests that the attribution of the role of bully may activate processes labeling and oversimplication of reality (Lemert, 1981, Becker, 1973), radicalize the stigma, and freeze the possibilities of change as well as repositioning of the boy and his actions. (p.4427)

Facteurs de risque individuels Plusieurs facteurs de risque individuels d'être au-teurs de harcèlement sont présents dans la littérature. Certains chercheurs mettent en évidence le genre (Wolke et al., 2001), la mauvaise conduite, la colère, les croyances favo-rables à l'usage de la violence (Bosworth et al., 1999), l'agressivité (Nocentini et al., 2013 ; Olweus, 1995), une faible empathie (Farrington & Baldry, 2010 ; Gini, Albiero, Benelli &

Altoè, 2007 ; Rigby & Cox, 1996 ), un faible autocontrôle (Unnever & Corneel, 2003),

le désengagement moral (Pepler et al., 2008), la consommation d'alcool et de tabac, une mauvaise perception du climat scolaire, la capacité à se faire des amis (Nansel, Overpeck, Pilla, Ruan, Simons-Morton & Scheidt, 2001), l'hyperactivité-impulsivité, une faible réus-site à l'école (Farrington & Baldry, 2010 ; Nansel et al., 2001), un statut socioéconomique bas (Pereira, Mendonça, Neto, Valente & Smith, 2004 ; Wolke et al., 2001), de faibles compétences sociales, des croyances et attitudes négatives par rapport aux autres et des dicultés à résoudre les problèmes avec les autres (Cook et al., 2010).

Dans les facteurs de risque individuels d'être victimes de harcèlement, certains auteurs mettent en évidence l'âge (García & Margallo, 2014 ; Smith et al., 1999 ; Sumter, Baum-gartner, Valkenburg & Peter, 2012), le genre (Nansel et al., 2001 ; Wolke et al., 2001), l'anxiété sociale (Saarento et al., 2013), une faible estime de soi, la solitude, la dépression (Graham & Bellmore, 2007), un moins bon fonctionnement social, de faibles compétences sociales (Haynie et al., 2001), être issu d'une minorité ethnique ou sexuelle (LGBT), les problèmes de santé, les troubles du développement ou de l'apprentissage (Hong & Espe-lage, 2012) et un statut socioéconomique bas (Pereira et al., 2004 ; Wolke et al., 2001).

Olweus (1995) décrit les caractéristiques typiques des victimes de la manière suivante : Briey, the typical victims are more anxious and insecure than students in general.

They are often cautious, sensitive, and quiet. Victims suer from low self-esteem ; they have a negative view of themselves and their situation. If they are boys, they are likely to be physically weaker than boys in general (p.197).

Facteurs de risques contextuels Une grande partie de la recherche sur les facteurs de risque associés au harcèlement entre élèves porte sur les facteurs individuels (Bradshaw, Sawyer & O'Brennan, 2009), plutôt que sur les facteurs contextuels (Cook et al., 2010).

Néanmoins, certains facteurs contextuels apparaissent également. Dans une méta-analyse, Cook et al. (2010), relèvent cinq catégories de facteurs contextuels, soit l'environnement familial et de la maison, le climat scolaire, les facteurs communautaires, le statut des pairs ainsi que leur inuence.

Dans les facteurs de risque contextuels d'être auteurs de harcèlement, certaines études mettent en évidence le manque de désapprobation perçue par les élèves des en-seignants vis-à-vis de l'intimidation (Saarento et al., 2013), un environnement familial caractérisé par le conit et une faible supervision parentale, une perception négative de l'atmosphère de l'école et une inuence négative des facteurs communautaires et des pairs (Cook et al., 2010).

La taille de l'établissement scolaire, la maltraitance à la maison (Bowes, Arseneault, Maughan, Taylor, Caspi & Mott, 2009), la taille de la classe (les élèves qui sont anxieux sont plus susceptibles d'être victimes de harcèlement dans de petites classes, alors que les élèves qui sont rejetés par plusieurs de leurs camarades sont plus susceptibles d'être victimes de harcèlement dans de grandes classes) (Saarento et al., 2013), la surprotection

parentale dans certains cas (Smith, 2014), le rejet (Saarento et al., 2013) et l'isolation par les pairs, ainsi que le fait de venir d'environnements communautaires, familiaux et scolaires négatifs (Cook et al., 2010) sont des exemples de facteurs de risque contextuels associés à l'implication des élèves dans le harcèlement en tant que victimes.

De plus, les enfants qui ont des problèmes avec leurs voisins sont plus susceptibles que les autres d'être impliqués dans du harcèlement, mais uniquement en tant qu'auteurs-victimes (Bowes et al., 2009).

Même s'il est vrai que l'approche par facteurs de risque est intéressante pour approcher la complexité associée à l'origine des situations de harcèlement entre élèves, elle présente néanmoins certaines limites (voir par exemple, Blaya, 2006, pp. 75-76) et il n'y a pas d'unanimité entre tous les chercheurs pour tous les facteurs de risque. Farrington & Baldry (2010) concluent d'ailleurs une revue des facteurs de risque individuels pour le harcèlement entre élèves de la manière suivante :

Unfortunately, there are few consistently demonstrated individual risk factors for school bullying. Children who are aggressive, disruptive or antisocial tend also to be bullies, but all of these types of behavior probably reect the versatility and per-sistence of antisocial behavior. The most important individual risk factor (or group of risk factors) is clearly hyperactivity-impulsiveness. Also, low empathy (especially low aective empathy) is clearly related to bullying. Other ndings are more contro-versial. Low intelligence and low school achievement are probably related to bullying but this is not certain. Depression and low self-esteem may be related for girls but not for boys. It is unclear whether bullies are unpopular and rejected, and whether they tend to be relatively tall and strong. (p.11)

Finalement, dans certains cas tels qu'une faible estime de soi ou une dépression, il n'est pas évident de savoir si le facteur de risque est à l'origine du harcèlement entre élèves ou s'il en est une conséquence (Farrington & Baldry, 2010), puisque la majorité des études sont de nature corrélationnelle (Smith, 2014, p.104). Pour Blaya (2006), d'ailleurs, "une des faiblesses majeures de l'approche par facteur de risque est qu'elle ne permet pas de déterminer quels sont les facteurs qui sont la cause et ceux qui sont la conséquence du comportement observé" (p.75). De plus, le harcèlement est lui-même un facteur de risque pour la violence ultérieure dans la vie (Tto et al., 2012).

Autres explications Certains auteurs ont souligné le rôle de la motivation adaptative pour expliquer le harcèlement, en faisant valoir que l'intimidation peut être considérée comme un moyen inapproprié d'atteindre un but socialement valorisé, tel que le leadership au sein d'un groupe (Gini, 2006). C'est, par exemple, le cas de Pellegrini (2002) qui arme que l'eort des adolescents pour le leadership et le statut auprès de leurs pairs est un facteur de motivation important pour l'agression. La composante instrumentale ("instrumental component") du harcèlement est aussi mise en évidence par Olweus (1994).

De leur côté, Pepler et al. (2008) comprennent le harcèlement comme un problème de relation où les enfants qui intimident apprennent à utiliser le pouvoir et l'agression pour causer de la détresse et contrôler les autres. Ces résultats rejoignent ceux de Nocentini et al. (2013) qui soulignent que la compétition pour la domination sociale contribue à l'escalade du harcèlement. Olweus (1994) relève également le fort besoin de pouvoir et de domination des harceleurs. Finalement, de même que le traitement de l'information sociale pourrait également être lié à l'implication dans le harcèlement (Huré, Fontaine &

Kubiszewski, 2015), de même il existe encore très probablement d'autres explications qui n'ont pas été abordées dans le cadre de ce travail.