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Vers plus de naissances en deuxième union

DISPONIBILITÉ POUR UNE REMISE EN COUPLE EN

CHAPITRE 3 T RANSFORMATIONS DÉMOGRAPHIQUES LIÉES A LA MONTEE DES RUPTURES

4. La multiplication des trajectoires complexes

4.4. Vers plus de naissances en deuxième union

L’annexe 3.6 présente le lien entre naissances et trajectoires de couple dans les différentes catégories sociales. Nos résultats rappellent ceux de Mazuy (2002) : même en ayant déjà vécu une union les femmes cadres restent un peu plus souvent infécondes. Pour les hommes des classes populaires, une partie de l’infécondité est à relier au fait qu’ils ont moins vécu en couple. De plus, il semble que les personnes sans enfant soient davantage représentées parmi celles qui vivent au moins deux unions, en particulier chez les hommes employés, les femmes cadres et tous ceux qui exercent une profession intermédiaire.

Les naissances n’ont alors pas toujours lieu dès la première union. Dans les générations âgées de plus de 55 ans lors de l’enquête, avoir son premier enfant dans une union qui n’était pas la première était très rare (Figure 3.10). Entre 0 et 5 % des premiers enfants naissaient dans ces conditions selon la classe sociale. Les comportements ont évolué, et il arrive de plus en plus fréquemment que le premier enfant ne naisse pas dans le premier couple, mais dans une union qui a été formée par la suite. Le phénomène est

visible pour toutes les classes sociales, d’autant plus pour les hommes, et pour les femmes cadres. Les générations récentes, dans lesquelles de plus en plus d’unions sont rompues sans enfant, voient jusqu’à 15 % de leurs premières naissances prendre place au sein d’une deuxième union, même s’il reste des incertitudes sur les déclarations des unions sans enfant par les femmes.

Les premières unions ont été retardées pour les générations nées depuis 1960 du fait de l’allongement des études et de la montée du chômage (Prioux, 2005a). L’augmentation de l’âge en fin d’études ne se reflète cependant pas entièrement sur la formation de la première union, notamment parce que le net laps de temps entre l’entrée dans la vie active et le début de la vie conjugale a été réduit : Galland (2000) montre que chez les bacheliers, par contraste avec les non-bacheliers, l’accès à l’indépendance, ainsi que la mise en couple, sont devenus très rapides après la fin des études. Cependant la naissance du premier enfant arrive avec un retard toujours plus marqué. Dans ce laps de temps, les cadres et les personnes en profession intermédiaire ont alors plus de possibilités de vivre une première union non-féconde rompue et d’avoir des enfants plus tard au cours d’une autre union. Il est de plus possible qu’une partie des plus diplômées aient combiné études longues et vie en couple, mais aient par contre eu leurs enfants plus tard, éventuellement dans une nouvelle union. L’annexe 5.2 montre qu’en effet, les personnes des milieux sociaux les plus favorisés sont les plus nombreuses à avoir rompu une union alors qu’ils étudiaient encore. Au total, les premières naissances dans une union qui n’est pas la première sont particulièrement fréquentes chez les femmes cadres, puisque c’est le cas pour 15 à 20 % d’entre-elles (ces chiffres pourront encore se modifier dans les générations qui ont moins de 45 ans à l’enquête). À l’inverse, les ouvrières semblent avoir plus souvent que les autres leur premier enfant dès la première union, comportement qui pourrait perdurer au moins pour les femmes nées entre 1960 et 1969.

Figure 3.10 : Proportion d’hommes et de femmes parmi ceux qui ont eu au moins un enfant dont le

premier enfant est né dans une union autre que la première,

selon leur âge et leur situation socioprofessionnelle au moment de l’enquête

0 5 10 15 20 25 né avant 1949 + de 55 ans gén 1950-59 46-55 ans gén 1960-69 36-45 ans gén 1970-79 26-35 ans né avant 1949 + de 55 ans gén 1950-59 46-55 ans gén 1960-69 36-45 ans gén 1970-79 26-35 ans homme femme %

artisan, commerç, CE, agri ouvrier employé intermédiaire cadre

Champ : hommes et femmes enquêtés qui ont déjà un enfant Source : Insee-Ined, Érfi-GGS1, 2005

Relativement peu de gens ont leurs enfants dans plusieurs unions (Figure 3.11) : alors qu’un quart des hommes de 46-55 ans ont vécu au moins deux unions, ils sont 6 à 8 % à avoir eu des enfants dans plus d’un couple. Les employés et les ouvriers vivent le plus fréquemment plusieurs unions fécondes dans ces générations, et les cadres peuvent être légèrement décalés pour des questions de calendrier. Les femmes sont dans l’ensemble moins nombreuses que les hommes à avoir des enfants au cours de plusieurs unions. Les ouvrières connaissent particulièrement souvent plusieurs unions fécondes par rapport aux autres femmes (5 à 7 %), dès les générations nées avant 1950. Nous voyons donc qu’il existe de longue date un comportement d’unions répétées et de naissances dans ces unions chez les ouvrières. Il peut s’agir d’un élément structurel de leurs comportements de couple.

Figure 3.11 : Proportion d’hommes et de femmes qui ont vécu deux unions fécondes selon leur âge et

leur situation socioprofessionnelle au moment de l’enquête

0 5 10 15 20 25 né avant 1949 + de 55 ans gén 1950-59 46-55 ans gén 1960-69 36-45 ans gén 1970-79 26-35 ans né avant 1949 + de 55 ans gén 1950-59 46-55 ans gén 1960-69 36-45 ans gén 1970-79 26-35 ans homme femme %

artisan, commerç, CE, agri ouvrier employé intermédiaire cadre

Champ : hommes et femmes enquêtés Source : Insee-Ined, Érfi-GGS1, 2005

Au total, les cadres et les personnes qui exercent une profession intermédiaire vivent plus souvent que dans les autres catégories socioprofessionnelles plusieurs unions et ont plus souvent leur premier enfant dans une union de rang deux ou plus. À l’inverse, les ouvriers et employés vivent moins fréquemment plusieurs unions, mais lorsque c’est le cas ils ont plus souvent des enfants dans au moins deux d’entre-elles, particulièrement les femmes. Les normes en matière de naissances dans le couple semblent différentes selon le milieu social : l’union est particulièrement reliée à une naissance dans les classes populaires.

Afin de compléter cette étude, nous présentons en annexe 3.7 les graphiques qui concernent le plus l’après rupture selon le niveau d’études. Le contraste majeur dans les trajectoires conjugales apparaît entre les personnes qui ont le bac et celles qui n’ont pas le bac, bien que les comportements soient parfois plus extrêmes chez les plus diplômés (supérieur à bac + 2) et chez les personnes sans diplômes. Globalement, les traits caractéristiques des plus diplômés sont également ceux des cadres, et ceux des sans diplômes sont proches de ceux des ouvriers ou employés.

5. Synthèse et conclusion

Nous avons exposé les diverses limites du mode d’étude « rétrospectif » : problèmes de mémoire et de datation, informations socio-économiques dépendantes des événements étudiés. Nous avons fixé certains choix pour la suite, qui tentent d’optimiser l’information disponible et de minimiser les biais. Ce chapitre fournit des arguments supplémentaires pour limiter la période d’observation aux événements les plus récents possibles, afin de se préoccuper particulièrement des comportements postérieurs aux changements importants qui ont eu lieu pour les femmes entre les années 1970 et 1980. Ainsi, nous essaierons au maximum de nous en tenir aux événements qui ont eu lieu depuis 1980. De plus, nous avons fixé les variables socio-économiques que nous retiendrons pour prolonger des recherches antérieures tout en évitant les incohérences d’interprétation. Nous avons également exposé deux types de modèles d’étude des transitions, modèles de durée et régressions logistiques, qui seront utilisés tout au long de la thèse, en complément d’autres outils. Grâce à eux nous étudierons notamment les remises en couple, les séparations et les naissances dans les deuxièmes unions.

Après une rupture, les hommes se remettent toujours plus rapidement en couple que les femmes. On observe cependant que les chances des hommes et des femmes de reformer une union se sont rapprochées depuis les années 1970. Les probabilités brutes de reformer une union ont en effet augmenté chez les femmes alors qu’elles ont stagné voire diminué chez les hommes. Pas plus précoces, les séparations ont touché davantage les unions « éphémères », non-mariées ou sans enfants (chapitre 2). Chez les hommes, la multiplication de ce type d’unions rompues, peu spécifiques en termes de chances de reformer un couple, n’a pas compensé le ralentissement général des remises en couple, et l’a même légèrement amplifié. Chez les femmes en revanche, l’accélération et la hausse générale des remises en couple qui a surtout eu lieu entre les années 1970 et 1990 est expliquée aussi bien par la variation des caractéristiques de la population séparée que par une augmentation « toutes choses égales par ailleurs » du risque de remise en couple. Ce peut être la modification plus générale du contexte matrimonial et le changement progressif de la place des femmes dans le couple qui leur ont permis de former plus facilement une nouvelle union. La meilleure acceptation de la remise en couple et de la famille recomposée en général a notamment pu jouer. Dans un pays en transformation comme l’Italie, une évolution similaire s’observe dans les cohortes récentes de séparation (Meggiolaro et Ongaro, 2008). Les auteures avancent l’idée que les femmes

« apprennent à vivre les nouvelles formes familiales au cours du temps » (p. 1927), mais surtout que c’est le changement du contexte « traditionnel » vers un contexte plus moderne qui facilite cette transition.

Chez les hommes, un recul « structurel » des remises en couple serait à noter depuis les années 1980. Le léger ralentissement peut être en partie dû à des questions conjoncturelles, par exemple aux plus grandes difficultés financières traversées récemment, liées notamment à la montée du chômage. Il est possible également que la prédilection croissante pour l’indépendance exposée dans la théorie de l’individualisation limite le réengagement après une rupture. Le léger recul récent des remises en couple chez les femmes est dû aux changements de la forme des unions rompues, car elles se remettent moins vite en couple après des unions courtes ou cohabitantes, à âge comparable. Les « nouveaux comportements conjugaux » ne se traduisent en effet pas par une hâte plus grande à reformer un couple, au contraire. Nous approfondissons le lien entre caractéristiques socio-économiques ou passé familial et remises en couple dans le chapitre 5, et détaillons les contrastes entre les hommes et les femmes.

La transformation plus générale des comportements conjugaux a entraîné une nette hausse du nombre de personnes qui vivent des trajectoires « complexes ». Alors que vivre au moins deux unions est de plus en plus répandu, les premières naissances en deuxième union et les naissances réparties sur plusieurs unions ont beaucoup augmenté.

De plus, de nets contrastes se remarquent selon l’appartenance sociale. Les hommes employés restent éloignés de la vie de couple et des naissances en général, et ils vivent aussi plus rarement plusieurs unions. Cependant ils ont plus fréquemment leurs enfants dès la première union et vivent aussi souvent que les autres hommes plusieurs unions fécondes sauf dans les générations nées avant 1950. Les femmes cadres restaient souvent à l’écart de la vie familiale dans ces générations anciennes, mais elles ont développé depuis des comportements particulièrement forts d’unions répétées et d’unions rompues sans enfant. Alors que chez les ouvrières et les employées, vivre plus d’une vie de couple et connaître des naissances réparties sur plusieurs unions existait de longue date, chez les femmes cadres ces comportements ne se sont développés que récemment mais avec force. De plus, il semblerait que chez les hommes et les femmes des professions intermédiaires et chez les femmes cadres, les unions successives soient plus développées à chaque âge, mais que vivre plusieurs unions fécondes reste moins fréquent que dans les autres groupes sociaux. Notamment, ils ont plus souvent leur premier enfant dans la deuxième union.

Grâce à cette description des trajectoires familiales, nous voyons finalement que les générations les plus récentes ont été touchées par des comportements de couple que l’on pourrait nommer « nouveaux ». Les comportements qui se répandent chez les plus qualifiés diffèrent en effet des familles recomposées présentes de longue date dans les milieux populaires : on assiste à une forte hausse des ruptures de premières unions non- fécondes, plus qu’à une augmentation exceptionnelle de la proportion de personnes qui vivent plusieurs unions fécondes. La suite de la thèse nous permettra d’approfondir les comportements après la rupture selon les caractéristiques individuelles, et nous étudierons notamment la survenue d’enfants après une union non féconde.

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