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Remises en couples selon la situation d’activité

La formation d’une nouvelle union depuis les années

CHAPITRE 5 F ACTEURS SOCIOCULTURELS ET ECONOMIQUES DE REMISE EN COUPLE

4. L’influence de la situation d’emplo

4.3. Remises en couples selon la situation d’activité

Les hommes qui ont vécu au moins six mois de chômage pendant l’union ont moins de chances de reformer une union que ceux qui n’ont pas connu d’interruption d’emploi12 (Tableau 5.10). De même, les hommes au chômage une année donnée depuis la séparation ont moins de chances de reformer une union l’année suivante que les actifs. Chez les femmes, c’est la situation d’inactivité durant l’union qui est fortement liée à un retard dans la remise en couple : celles qui vivent une période d’inactivité pendant la première union – en début, au fil de l’union ou juste avant la rupture– sont les moins rapides à reformer une union. Les femmes qui ont traversé une période de chômage se remettraient au contraire plus vite en couple que celles qui n’ont jamais connu d’interruption d’emploi. Le temps partiel n’intervient pas significativement.

Nous n’obtenons pas de résultats significatifs concernant les changements de situation d’emploi après la rupture pour les deux sexes13. Les faibles effectifs concernés par ces variations d’après rupture sont peut-être à l’origine de la non-significativité des résultats. L’existence d’anticipations que nous avions posée en hypothèse ne peut donc pas être démontrée ici. Cependant, plusieurs comportements se compensent peut-être, par exemple l’effet d’anticipation (pas de reprise d’emploi si une remise en couple est prévue, etc.) et l’effet « lieu de rencontre », les femmes qui retravaillent trouvant plus facilement un partenaire dans le cadre professionnel (de Graaf et Kalmijn, 2003).

La forte corrélation entre la situation d’emploi et l’arrivée d’enfants dans l’union antérieure pousse à détailler la situation d’activité en distinguant selon que la première union était féconde ou pas (Tableau 5.11). Deux tendances se détachent pour les

12

Les estimateurs des autres variables sont donnés dans l’annexe 5.9. 13

Nous avons également détaillé le passage d’activité à inactivité (et vice-versa) pour les femmes, ainsi que de chômage à non-chômage puis l’inverse pour les hommes. Les résultats ne sont pas non-plus significatifs.

femmes. En premier lieu, lorsqu’elles ont des enfants, leur situation d’activité n’est pas significativement reliée à la remise en couple. Il semble donc que, plus que l’inactivité, ce soit le statut de mère qui limite la remise en couple : la surreprésentation des mères parmi les inactives suffit à expliquer les fortes disparités globales entre inactives et actives. Le moindre emploi et les éventuelles difficultés financières des mères seules ne semblent pas freiner leurs remises en couple.

En parallèle, la reconstruction conjugale des femmes sans enfant est sensible à leur situation d’emploi. Elles reforment moins souvent une union lorsqu’elles ont traversé une période d’inactivité. Il semblerait que même après la séparation, une situation d’inactivité réduise leurs chances de se remettre en couple l’année suivante par rapport à une situation d’emploi. Les inactives sans enfant reprennent moins fréquemment un emploi que celles qui n’ont pas d’enfants (Algava et al., 2007) et elles connaissent des risques diminués de reconstruction conjugale. Il est donc possible que l’inactivité traduise d’autres caractéristiques (handicap, maladie,…)14. La moindre disponibilité de ces femmes pour assurer leur rôle de conjoint et de mère pourrait alors les écarter du marché des unions.

Bien que le chômage des femmes après la rupture ne semble pas accélérer leur remise en couple, les femmes sans enfant qui ont vécu une période de chômage pendant la première union se remettraient plus vite en couple que celles qui n’ont jamais connu d’interruption d’activité. Ayant déjà fait l’expérience d’une période d’incertitude et éventuellement de précarité, elles rechercheraient peut-être une sécurité matérielle auprès d’un conjoint ou en fondant une famille. Auquel cas, pourquoi les femmes au chômage après la rupture ne se remettraient-elles pas plus vite en couple ? Leur isolement relatif peut freiner leurs projets d’union : ne fréquentant pas de lieu de travail, initiateur de rencontres de conjoints (de Graaf et Kalmijn, 2003), ni d’autres parents puisqu’elles n’ont pas d’enfants, leur réseau de sociabilité serait réduit (Clément et Bonvalet, 2006 ; Martin, 1994).

14

Nous ne pouvons démontrer cette hypothèse. Posons comme limite que l’effectif de femmes concernées est très réduit (24), dont seulement 2 sont handicapées lors de l’enquête. Cependant, la proportion d’handicapées est plus forte parmi les femmes inactives lors de la séparation que sur l’ensemble des femmes retenues dans le modèle.

Tableau 5.10 : Facteurs de la remise en couple, détail de la situation d’emploi pendant la première

union puis après la séparation femmes (modèles de durée en temps discret, effet des facteurs sur le log- hazard de se remettre en couple)

Estimation erreur std Estimation erreur s td

Situation d'emploi en début d'union

Emploi, étudiants réf. réf.

Chômage 0,12 -0,24 0,156 -0,19

Inactivité -0,486*** -0,17

Situation d'emploi pendant l'union

Pas d'interruption réf. réf.

Au moins six mois temps partiel -0,179 -0,12

Au moins six mois chômage -0,325** -0,16 0,196* -0,12

Au moins six mois inac tivité -0,3** -0,13

Situation d'emploi l'année précédant la rupture

Temps plein, emploi court réf. réf.

temps partiel -0,097 -0,15

chômage -0,315 -0,26 -0,079 -0,19

inactivité -0,303** -0,15

Situation d'emploi après la séparation, l'année précédant l'observation^

Emploi^ réf. réf.

Chômage^ -0,368* -0,20 0,023 -0,16

Inactivité^ -0,077 -0,16

Changement de situation d'emploi après séparation

Emploi avant s ép., pas d'emploi^ -0,263 -0,23 0,234 -0,19

Emploi avant s ép., emploi^ réf. réf.

Pas d'emploi avant s ép., pas d'emploi^ -0,422 -0,40 0,063 -0,22

Pas d'emploi avant s ép., emploi^ réf. réf.

Hommes Fem mes

^ : Variable dépendante du temps qui caractérise la situation d’activité à chaque durée d’observation depuis la rupture.

***, **, * : Significatif à moins de 1 %, 5 %, 10 %. Contrôles : Communs au modèle général.

Champ : Hommes et femmes qui ont connu entre 1990 et 2003 la séparation d’une union ayant duré au moins deux ans.

Tableau 5.11 : Facteurs de la remise en couple, détail de la situation d’emploi et des enfants

Situation d'emp loi p endan t l'un ion

Pas d'interruption réf. réf. réf. réf.

Au moins six mois temps partiel -0,299 -0,182 -0,071 -0,15

Au moins six mois chômage -0,623*** -0,221 0,084 -0,228 0,422** -0,182 0,062 -0,148

Au moins six mois inac tivité -0,867*** -0,314 -0,201 -0,139

Situation d'emp loi après la séparation, l'année précéd ant l'observatio n^

Emploi^ réf. réf. réf. réf.

Chômage^ -0,403 -0,265 -0,325 -0,314 -0,046 -0,299 0,037 -0,194

Inactivité^ -0,63* -0,348 0,062 -0,181

Estimation (erreur std) Estimation (erreur std)

Hommes Femmes

Pas d'enfant Enfants Pas d'enfant Enfants

^ : Variable dépendante du temps.

***, **, * : Significatif à moins de 1 %, 5 %, 10 %.

Contrôles : Communs au modèle général (sauf enfants qui sont dans l’interaction ici).

Champ : Hommes et femmes qui ont connu entre 1990 et 2003 la séparation d’une union ayant duré au moins deux ans.

Les hommes chômeurs sans enfant qui ont connu au moins six mois de chômage pendant l’union ont des chances amoindries de se remettre en couple par rapport aux actifs, et ceux qui ont des enfants des chances équivalentes. L’on sait déjà que le chômage des jeunes retardait la première mise en couple. Ces résultats semblent confirmer que chez les hommes, notamment lorsqu’ils n’ont pas (encore) d’enfants, le chômage constitue un handicap pour se mettre en couple et fonder une famille, ce qui ne serait pas le cas chez les femmes.

Ces résultats semblent poser le chômage comme un indicateur des rôles sexués. Pour l’homme, ce ne serait pas le chômage en tant que tel qui retarde la remise en couple, mais le fait qu’il l’écarte de son rôle d’« homme gagne-pain ». Cette situation aurait un effet déstabilisant aussi bien pour lui, en le rendant moins sûr de son « droit à l’union », que pour l’éventuelle candidate pour laquelle il dérogerait à son rôle de pourvoyeur du couple. Chez les femmes, le couple serait synonyme de sécurité et celles qui ont déjà connu des périodes de difficulté y seraient d’autant plus attachées.

5. Synthèse et conclusion

Nous nous étions posé certaines questions méthodologiques auxquelles nous avons apporté des éléments de réponse au cours de ce chapitre. L’utilisation de la variable de PCS des personnes au moment de l’enquête a des limites dues aux changements possibles de PCS dans la trajectoire. Cependant on retrouve les mêmes tendances en contrôlant selon la PCS du père : le milieu d’origine n’a pas d’influence sur les « risques » de remise en couple pour les femmes et une influence croissante chez les hommes. De plus, les autres indicateurs du modèle ne sont pas modifiés par le contrôle par l’une ou l’autre de ces variables. Utiliser niveau de diplôme ou catégorie socioprofessionnelle donne des résultats très proches d’estimation des remises en couple, mais la PCS apporte quelques informations supplémentaires, notamment sur la « spécificité » ouvrière. En dernier lieu, les estimateurs d’une régression sur les remises en couple dans les cinq années après la séparation et d’un modèle de durée sont apparus comme très « proches » : ils sont significatifs dans les mêmes grandeurs et de même signe. Les différences portent donc plus sur les niveaux que sur la vitesse de remise en couple.

Les caractéristiques de l’union antérieure influencent les chances de reformer une union, mais comme nous l’avions vu dans le chapitre 3, les ruptures d’unions courtes ou

cohabitantes ne provoquent pas davantage de remises en couple. Ce sont au contraire les ruptures d’unions longues ou mariées (pour les femmes) qui aboutissent le plus rapidement à une remise en couple. Le développement des unions « éphémères » ne semble donc pas hâter les remises en couple, et il n’y a pas de mouvement généralisé d’accélération après la rupture de ce type d’unions. Les personnes mariées ou qui ont vécu une première union longue donnent à l’inverse l’impression d’être plus orientées vers le couple et reforment à âge égal plus fréquemment un couple.

Il semblerait que des questions « culturelles » marquent plus les remises en couple des femmes que des hommes : les femmes nées à l’étranger ou qui pratiquent une religion se remettent légèrement moins souvent en couple, peut-être parce qu’elles y sont « traditionnellement » moins portées, ou parce que la rupture constitue un revers plus important à leurs yeux. Pourtant, les personnes qui avaient connu un premier mariage direct, souvent considérées comme plus traditionnelles, ne se remettent pas moins vite en couple que celles qui se sont mariées après avoir cohabité. C’est peut-être leur aversion pour les unions non-mariées qui les mènerait à moins reformer une union libre. En effet, de Graaf et Kalmijn (2003) montrent que les personnes ayant une religion se remarieraient autant mais que leurs chances de reformer un couple seraient significativement atténuées par rapport aux autres. Ils supposent que c’est parce qu’elles rejettent la cohabitation hors mariage par conviction.

Au-delà de la « tradition », qui semble contraindre davantage les femmes que les hommes, existent des « préférences » individuelles pour la vie de couple, qui mènent certaines personnes à reformer plus fréquemment un couple : les personnes qui ont montré le plus d’affinité pour la famille et ont vécu une première union longue, ou ont été mariées pour les femmes, sont également celles qui se remettent le plus fréquemment en couple. Si ces personnes adoptent également plus souvent des formes d’unions particulières (mariage, enfants, pas de séparation…), nous pourrons alors parler avec plus d’assurance de « préférence » pour la famille. Des contraintes désavantagent cependant certaines personnes pour reformer un couple. Par exemple, la présence d’enfants qui contraint les femmes peut contrebalancer leur affinité éventuelle pour la vie conjugale.

La remise en couple est marquée par les caractéristiques sociales et économiques des séparés. Notamment, le lien entre situation de couple et groupe social ou situation d’emploi reflète les attentes sociales envers les hommes et les femmes.

Les hommes des catégories sociales les moins élevées se remettent plus lentement en couple, bien que les conditions financières d’après-rupture leurs soient probablement moins favorables. On peut également interpréter cet effet comme l’indicateur d’une plus

grande facilité pour les hommes mieux dotés socialement de retrouver une partenaire. Le chômage continue à être synonyme, pour les hommes, de déstabilisation conjugale et de périodes prolongées de solitude, et semble favoriser leur mise à l’écart des institutions sociales (travail, mais aussi famille). Le rôle social d’« homme gagne-pain » dont ils sont empreints rendrait leur remise en couple plus sensible à leur situation d’emploi, comme l’étaient les comportements conjugaux de leur première union (Commaille, 1999 ; Ékert- Jaffé et Solaz, 2001).

Nous avons montré dans le chapitre 3 que les « nouveaux » comportements de couple ont modifié les contrastes sociaux de trajectoire familiale. Chez les femmes, on n’observe plus aujourd’hui de remises en couple rapides dans les milieux défavorisés. Meggiolaro et Ongaro (2008) montrent que l’emploi de la femme perd de son importance en tant que facteur de la remise en couple dans un contexte plus « moderne » (Italie du Nord), alors que l’absence d’emploi reste synonyme d’une plus grande fréquence de remises en couple dans un contexte « traditionnel » (Italie du Sud). La France a déjà vécu cette transition, et les comportements « modernes » de recomposition conjugale annulent les différences observables sur le plan social par le passé.

Finalement, les femmes travaillent moins pendant les unions fécondes, mais cette dépréciation de leur pouvoir économique ne semble pas avoir de conséquence pour la formation d’un nouveau couple : ce ne sont pas l’inactivité ou le temps partiel entraînés par la présence d’enfants des femmes qui seraient reliés à de moindres remises en couple, mais plutôt la présence d’enfants en elle-même. De plus, les femmes ouvrières ou employées ne sont plus aujourd’hui celles qui se remettent le plus rapidement en couple, ce que l’on pourrait attribuer au développement plus fort des unions multiples chez les femmes cadres, qui viendrait contrer la tendance globale au ralentissement des remises en couple. Alors que l’avenir des reconstructions conjugales se joue plutôt sur le plan de l’emploi pour les hommes, il semble se jouer davantage autour des enfants pour les femmes.

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