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PARTIE III : POUR UN MEILLEUR SYSTÈME DE PORTE-PAROLAT EN CHINE

3.2 Propositions pour un meilleur porte-parolat en Chine

3.2.7 Veiller au langage

Le porte-parole s’adresse aux journalistes, mais surtout au grand public, et il sera cité dans les médias. Il lui faut donc adapter le langage, et apprendre à cultiver le naturel, la

spontanéité, voire la complicité, à parler avec des mots simples, ceux du quotidien, s’approprier parfois même les termes ou expressions à la mode.

C’est avant tout l’administration qui parle aux citoyens, et ce n’est pas le fonctionnaire qui parle au fonctionnaire. Le langage doit être clair et correct au lieu d’être uniquement compris par les fonctionnaires. En France, l’administration est devenue parfois tellement « compliquée » avec des sigles souvent illisibles, des jargons techniques, des expressions allusives qu’en 2005, le Secrétaire d’État à la réforme de l’État a fait publier Le Petit Décodeur, dictionnaire de 3000 mots de l’administration traduits en langage clair. En Chine, l’administration a aussi ses « codes », et par facilité des choses, il est tentant de reprendre les termes administratifs pour expliquer et commenter l’action gouvernementale. Il faut donc éviter d’utiliser les formules « jargonnesques », les lourdeurs technocratiques et trouver des mots simples, évocateurs pour expliquer au public des réalités complexes. Il convient de reformuler les phrases compliquées pour que le message circule plus facilement. Voici une déclaration sur la réforme de la procédure pénale faite en mars 2010 : « Faire de la modification du statut du parquet un préalable à la réforme est un présupposé idéologique ou l’habillage d’une volonté d’immobilisme », il conviendrait peut-être de la simplifier pour mieux passer le message. Il importe aussi d’adapter son langage en fonction de la circonstance : en temps de crise, les mots pèsent lourd. Une déclaration exprimant du respect, de l’empathie ou de la compassion envers les victimes sera un signe de la prise en charge de la dimension affective de la crise. Pour des questions concrètes avec des chiffres, il convient d’y répondre par des éléments précis. Par exemple, sur la question : « Où sont passés les 429 milliards d’euros du plan chinois (face à la crise financière mondiale) ? », voici la réponse d’un responsable : « sur les 4000 milliards de yuan investies dans l’économie chinoise, pas un centime n’a été investi dans des secteurs en surproduction, et pas un centime n’a été investi dans l’immobilier. »… « Les investissements ont été principalement dirigés vers le bien-être du peuple, pour la création d’entreprises autonomes, pour la reconstruction après le tremblement de terre, etc. ». Il paraît bien utile d’avancer quelques projets concrets avec des chiffres précis dans la réponse pour être plus convaincant et pédagogique.

Dans l’exercice de pouvoir, il convient de bannir les termes qui risquent de dresser, les groupes sociaux les uns contre les autres, les citoyens contre l’État. Un peu comme en France où on a cessé d’appeler certaines minorités « romanichels », « racaille à nettoyer au karcher » et autres, dans la province du Yunnan, les autorités viennent d’interdire des

termes comme « forces diaboliques », « personnes ignorantes de la vérité », etc. Les porte-parole sont invités dans ce cas à veiller particulièrement aux termes utilisés pour ne pas stigmatiser tel ou tel groupe social.

Ce n’est qu’avec la confiance et l’intérêt des médias que le porte-parole renforce l’impact médiatique de son message. Il convient, pour ce faire, de débarrasser ses paroles des formules creuses, des tournures ronflantes et de veiller particulièrement au problème de la langue de bois. Voici un exemple intéressant :

34 Sur la langue de bois

Après la sortie en 2006 du livre « Promis, j’arrête la langue de bois » de M. Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement Villepin, Françoise Laborde l’invite à son émission Les Quatre Vérités, sur France 2, le 3 avril 2006, en pleine crise du contrat première embauche (CPE), voici leur dialogue :

Françoise Laborde : Est-ce que le CPE n’a pas été suspendu pour ne pas vexer Villepin ?

Jean-François Copé : Encore une fois, l’idée sur le CPE, c’est de prolonger ce qui a été évoqué par Dominique de Villepin depuis pratiquement trois semaines, qui est de dire « Écoutez, sur les difficultés que vous soulevez, cela provoque effectivement des inquiétudes, des interrogations, de ceux qui manifestent comme de ceux qui ne manifestent pas »… FL : Ça, c’est de la langue de bois…

JFC : Attendez, non, non. C’est pas de la langue de bois. La vérité, c’est quoi ? C’est que sur ces sujets Dominique de Villepin […] a dit à plusieurs reprises : « Je suis prêt à travailler avec tout le monde. La main est tendue. »

FL : Il a dit aussi ni retrait ni dénaturation… Or, franchement, elle [la loi] est dénaturée sur le CPE… C’est pas la loi qu’il voulait…

JFC : Je vous propose de vivre la suite des événements ensemble. Le problème, aujourd’hui, est de faire une étape après l’autre. […]

FL : Combien de fois Dominique de Villepin a-t-il menacé de démissionner si sa loi n’était pas promulguée ? JFC : Alors, là, honnêtement, je n’en ai strictement aucune idée. Et, à ma connaissance, non, je ne crois pas. […] FL : Est-ce une victoire ou un échec pour Dominique de Villepin ?

JFC : […] Personne n’imagine qu’en quelques minutes ou en quelques heures on sorte d’une période aussi difficile. Moi, je vais vous donner le fond de ma pensée. Dans ces périodes-là, il y a toujours la tentation de dire qui a gagné, qui a perdu. Laissons cela, si vous le voulez bien, aux livres d’Histoire…

FL : Ça, c’est très langue de bois…

JFC : … On verra bien le moment venu. Non, mais, attendez, c’est pas ça, la langue de bois.

Tout y est : l’esquive répétée comme la formule stéréotypée à l’appui du message gouvernemental. Le retrait du projet CPE est annoncé après dans les termes euphémisants de la langue de bois : « Les conditions nécessaires de confiance et de sérénité ne sont pas réunies ni du côté des jeunes ni du côté des entreprises pour permettre l’application du contrat première embauche. »

Le Général de Gaulle a rompu avec la langue de bois en prononçant, le 24 juillet 1967 depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal, « Vive le Québec libre ! », ce qui a

34 Christian DELPORTE, Une histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion, octobre 2009, chapitre 12 – Promis, j’arrête la langue de bois

provoqué une tempête politique et médiatique. Franc-parler ou gaffe ? Au fond, la langue de bois apparaît à l’homme public comme l’armure la plus efficace contre l’imprudence qui déclenche la tempête dans l’opinion, contre l’impair qui suscite l’indignation bruyante de son détracteur, la désapprobation de la presse, la réprimande de ceux qui lui faisaient confiance, contre le faux pas qui ruine, parfois provisoirement et souvent définitivement, l’ascension des responsables publics les plus prometteurs. Tout ceci est d’ailleurs aussi vrai pour d’autres personnes dans divers milieux socioprofessionnels ou vies privées, cela fait partie des règles du jeu de nos sociétés modernes35.

Rivarol a dit : « la raison se compose de vérités qu’il faut dire et de vérités qu’il faut taire ». Tout le monde est responsable de la langue de bois et tout le monde la pratique ? Heureusement peut-être, sinon la vie serait un enfer et le monde, la négation de toute civilisation. Pourtant, il convient toujours de réduire la langue de bois tant que la vérité est bonne à dire… Une autre tendance de « Parler vrai » revient à « parler people ». Le raisonnement est élémentaire : je parle comme vous, donc je suis des vôtres, je vous comprends, j’exprime ce que vous pensez et, je dis la vérité que les autres vous cachent. Enfin, l’apparence de sincérité, la chaleur que le porte-parole exprime, la sympathie qu’il suscite comptent presque autant que son message dans certaines circonstances. Chacun sait bien qu’un geste, un regard, un sourire en disent parfois bien plus long que les mots. Sans parler des silences qui parfois affirment le contraire des mots et des gestes.