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Problèmes existants, limites et défis dans le système actuel

PARTIE III : POUR UN MEILLEUR SYSTÈME DE PORTE-PAROLAT EN CHINE

3.1 Problèmes existants, limites et défis dans le système actuel

Le système de porte-parolat du gouvernement américain se repose sur tout un cadre juridique relativement complet. Les États-Unis sont ainsi reconnus pour être dotés de la plus complète législation sur la liberté d’information. La législation américaine en la matière est effectivement composée de trois lois24 : Freedom of Information Act (FOIA), signée le 4 juillet 1966 par le président Lyndon B. Johnson et entrée en application l'année suivante. Fondée sur le principe de la liberté d'information, elle oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents, à quiconque en fait la demande, quelle que soit sa nationalité ; Privacy Act (PA) de 1974, qui couvre l'accès aux documents relatifs aux individus. Il permet à chacun de connaître les informations que le gouvernement détient à son sujet, de les corriger si elles s'avèrent fausses, et d'attaquer en justice le gouvernement si celui-ci les utilise d'une façon non autorisée ; Government in the Sunshine

Act, adopté en 1976 dans l’esprit d’une plus grande ouverture d’information du

gouvernement, il exige l’ouverture à l’observation publique de n’importe quelle partie de

n’importe quelle réunion de quelque service gouvernemental que ce soit, sauf de rares exceptions.

En France, la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal permet l'accès aux documents administratifs par l'intermédiaire de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Toutefois l’accès aux documents administratifs reste encore laborieux, en débit de cette loi, souvent améliorée, notamment en 2006, par une ordonnance du 6 juin sur la désignation de responsable de l’accès à l’information et de la diffusion des données publiques. L'accès aux archives du ministère de la Défense est par ailleurs restreint aux personnes détenant une habilitation de sécurité. Aux termes de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, certains lieux peuvent être couverts par le secret de la défense nationale. Cela concerne pratiquement tous les services d’archives publics relevant de l’État et permet donc des restrictions d’accès à certains documents en rendant plus difficiles les recours devant la CADA25. Aujourd’hui en Chine, le règlement relatif à la liberté d’information gouvernementale a permis d’améliorer sensiblement la transparence de l’exercice du pouvoir et une information plus ouverte des citoyens. Pour une meilleure efficacité de communication, on pourrait d’une part rendre l’application de ce règlement encore plus stricte en mettant en place des dispositifs de contrôle et d’inspection, et d’autre part combler le dispositif juridique pour mieux sous-tendre le système de porte-parolat en s’inspirant par exemple des expériences des États-Unis ou des pays scandinaves, où la transparence fait généralement loi et le secret, exception.

Par ailleurs, le BICAE, qui joue un rôle central dans la promotion du système de porte-parolat, ne peut aller au-delà de sa mission d’assistance et d’accompagnement à l’égard des institutions désireuses d’installer leur porte-parolat. Par manque d’une autorité pilotant l’ensemble des services de porte-parole, la cohérence et la qualité des paroles portées sont difficilement assurées faute de coordination renforcée.

3.1.2 Efforts de transparence à poursuivre

En Chine, dans le passé, la transparence ne figurait, parmi les principes sur lesquels s’est fondée la philosophie classique de l’administration, ni en tant que moyen ni en tant

qu’objectif. L’origine de ce phénomène se trouve dans la longue tradition de l’administration chinoise qui, constituée essentiellement d’élites se considérant les « parents du peuple », s’estimait en situation de supériorité par rapport à ce dernier. Considéré comme peu cultivé et voué à être gouverné, le peuple n’avait ni le droit de se prononcer sur les affaires administratives, ni même le droit d’en avoir connaissance dans la société féodale chinoise. Par ailleurs, les fonctionnaires ayant déjà un large pouvoir d’interprétation des lois et règlements, préféraient renforcer artificiellement la non-transparence pour consolider leur autorité auprès des administrés et accroître leur pouvoir réel. Certains profitaient de cette opacité pour chercher des avantages personnels, en cachant parfois à leur hiérarchie les mauvaises performances ou les scandales. Bien sûr, loin d’être l’apanage des fonctionnaires chinois, cette culture existe à des degrés différents dans d’autres pays et d’autres administrations pour des raisons souvent similaires, comme on peut le constater par exemple lors de la canicule de 2003 en France, ou plus récemment pendant la crise nucléaire au Japon. Dans un article intitulé « le monde va rester dur », l’ancien Ministre des Affaires étrangère Hubert Védrine a dit : « Il faut corriger une certaine culture française : on a encore trop tendance à garder l’information pour soi, pour se valoriser par rapport à la hiérarchie, et on se prive en réalité d’une marge essentielle d’influence. »26

En Chine, depuis la première affirmation officielle en faveur de la transparence administrative en 1987, beaucoup de progrès ont été enregistrés dans ce domaine, mais cette amélioration ne doit pas cacher certaines difficultés rencontrées dans la pratique. Les réactions de l’administration au cours des premiers jours du SRAS en sont une preuve éloquente.

Une autre raison de découragement pour la prise de parole en public, qui n’est pas la moindre, tient au comportement de certains médias. Il arrive qu’il y ait un grand écart entre l’interview et le reportage, au risque d’être néfaste pour l’interviewé. Comme le chat échaudé craint l’eau froide, on n’est pas du tout encouragé à parler davantage par la suite.

3.1.3 Le professionnalisme du porte-parole laisse à désirer

À la différence des pays occidentaux où les porte-parole sont souvent des communicants professionnels ou d’anciens journalistes, le porte-parole en Chine est généralement un officiel de haut rang (directeur de communication, directeur d’études politiques, secrétaire

général du gouvernement local…), qui accumule des fonctions importantes dans l’institution. Le cumul des fonctions présente plusieurs avantages, mais engendre aussi des contraintes.

S’agissant des avantages, ce dispositif permet au porte-parole d’avoir plus de facilité sur la collecte d’informations, la prise de décision et les relations avec les autres services, d’assurer l’autorité de l’information délivrée et de réagir plus vite et de manière plus fiable. Par exemple en Chine comme en France, le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères est aussi directeur de la communication. Le cumul des fonctions favorise l’unité de la communication au service d’une même ligne de diffusion. Le réseau des conseillers et attachés de presse des ambassades, représentations permanentes et consulats à l’étranger, qui regroupe des services de presse dans plus de 200 missions diplomatiques et consulaires et représentations internationales pour la Chine, et 215 services de presse à l’étranger pour la France, permet de relayer efficacement le message dans tous les pays du monde. À ce titre, le refus de la France de suivre l’aventure guerrière en Irak a été argumenté et diffusé partout dans le monde grâce au réseau des postes français à l’étranger sur la base d’une information retransmise par la Direction de la communication et de l’information du Ministère27. Cette organisation permet de palier de trop fréquents changements de responsables et d’assurer une permanence institutionnelle.

Pourtant, une telle organisation n’est pas exempte d’inconvénients. Il convient tout d’abord de trouver un équilibre entre ces différentes fonctions, celle de porte-parole ayant tendance à être très prenante et chronophage au détriment des autres responsabilités. Notamment, l’officiel de haut rang qui assume ces fonctions doit être parfaitement conscient de la différence de rôle, et veiller constamment à éviter toute confusion. Il arrive que certains porte-parole gèrent les relations avec la presse dans un esprit propre à un responsable administratif, sans s’en rendre compte. Certaines conférences de presse sont devenues conférences « tout court », au cours desquelles les porte-parole s’habituent à lire des notes préparées, sans être capable d’en extraire des éléments simples, proches et originaux, plus conformes à la valeur journalistique, et donc plus probable d’être repris et publiés. Souvent au profit de leur autre responsabilité administrative, certains officiels ont relégué leur fonction de porte-parole au second plan. Certains n’organisent pas assez de conférences de presse. Parfois, le porte-parole ne souffre pas d’être sous le feu de questions pointilleuses ou de critiques incisives et s’en irrite parfois, ce qui n’aide en rien à

27 Denis SIMONNEAU, « La diplomatie publique », Paris, Documentation française, « La communication publique en pratiques », 2008, p. 43-46.

une bonne relation avec les médias.

Le porte-parole doit avoir professionnellement recours au langage courant afin de rendre le message accessible à une multiplicité d’auditoires. Il peut répéter les mêmes messages, les démultiplier et les expliciter. Cette permanence est nécessaire pour conforter la crédibilité de la parole publique. Pour assurer la continuité du discours et éviter les ruptures, le porte-parole doit disposer de la mémoire de l’expression publique. Il doit se souvenir de ce qui a été dit au fil des années. Il lui appartient aussi d’apprécier l’opportunité de faire évoluer la formulation des messages28.

Qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle ou d'un événement susceptible de dégénérer en crise (accident de travail, fermeture d'usine, affrontement avec des groupes de pression, etc.), les administrations sont de plus en plus fréquemment appelées à répondre aux questions des médias. Face à cette réalité incontournable, comme le messager importe autant sinon davantage que le message, il faut impérativement que le porte-parole soit crédible, efficace et convaincant. Depuis 2003, diverses formations de porte-parole ont été organisées en Chine pour leur enseigner des principes et des techniques visant à maîtriser les règles de base de la communication sous toutes ses formes (téléphonique, en duplex, en studio, points ou conférences de presse, etc.) Il arrive que certains porte-parole, à cause d’un emploi du temps très chargé, n’aient pu suivre correctement les formations, et ces dernières deviennent parfois un pur formalisme pour certains. Les formations n’ont pas une même qualité homogène suivant les institutions, et freinent l’amélioration des qualités professionnelles des communicants, ce qui est un vrai handicap.

3.1.4 Communication incomplète sur le fond comme sur la forme

Sur le fond, on constate une communication incomplète en termes de contenu. En Chine, les conférences de presse sont souvent organisées autour des thèmes fixés à l’avance par l’institution en fonction de l’actualité, ce qui toutefois est une pratique courante dans beaucoup de pays. Cependant, les porte-parole y expliquent et commentent beaucoup les communiqués, règlements, statistiques ou activités majeures du gouvernement. Les éléments délivrés favorisent une vision positive, et parfois l’autocritique insuffisante sur un dysfonctionnement éventuel, bien qu’il y ait eu un réel travail de redressement, donne l’impression d’un manque d’équilibre. Il arrive que certains dossiers soient éludés ou superficiellement évoqués à cause des sensibilités trop fortes. Par crainte d’inquiéter le

public ou de l’entraîner dans une facilité de pensée vu la complexité de l’affaire en cours, certains porte-parole au niveau local se contentent d’effleurer le sujet et s’arrêtent aux apparences sans l’approfondir, ce qui conduit au contraire le public à s’interroger davantage sur ce qui est derrière.

« Il est tout à fait pertinent d’avoir un ton positif et de ne pas exagérer l’aspect sombre des choses. »29 Mais il faut aussi faire face courageusement aux problèmes. Aujourd’hui, le gouvernement chinois devrait être plus confiant en affrontant les critiques. Le développement économique et le progrès social qu’il a accomplis en un temps record parlent d’eux-mêmes et peuvent soutenir la comparaison avec les autres pays sur bien des plans. Cependant, face aux problèmes induits par une croissance fulgurante, il convient pour les porte-parole de répondre à temps, de faire preuve d’initiative face aux attentes d’information du grand public sur les dossiers qui suscitent un intérêt général dans la société, de bien expliquer les actions des institutions et de maintenir un haut niveau d’information sur les efforts constants du gouvernement pour résoudre les problèmes rencontrés dans les meilleurs délais. Sinon, le système de porte-parolat pâtira d’une communication incomplète et d’une perte de crédibilité.

Sur la forme, on constate un manque de communication réciproque. Le porte-parolat s’inscrit dans une communication institutionnelle, c’est donc aussi une activité de relations publiques. Il est de ce point de vue essentiel d’avoir des interactions avec les médias et les publics et de privilégier une bonne relation professionnelle. Cependant dans la pratique, certains porte-parole n’ont pas suffisamment tenu compte des centres d’intérêts des médias lors des conférences de presse, au cours desquelles ils se contentent de lire des notes préparées, sans un degré d’appréhension propice à répondre aux questions. Malgré l’obligation de publier les coordonnées des porte-parole dans les divers départements ministériels du gouvernement, susceptibles d’être en permanence 24/24 et 7/7, les journalistes rencontrent parfois des difficultés pour les joindre au téléphone en urgence. Dans l’ensemble, les séances de questions-réponses occupent aujourd’hui une part de plus en plus importante dans une conférence de presse du gouvernement central comme dans les collectivités locales, parfois même dominante dans de nombreux ministères comme MAE. Pour les deux conférences de presse hebdomadaires de ce dernier, sauf quelques annonces et commentaires sur les activités diplomatiques des dirigeants chinois,

le reste du temps est réservé exclusivement aux questions des journalistes. Mais très souvent, les porte-parole devraient avoir des échanges préalables plus importants avec les journalistes. Certains services se contentent d’informer les médias du bilan d’étape ou des actions futures sans engager réellement d’échanges. Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose à cacher, mais cela révèle plutôt un manque d’habitude, ou simplement un sens de communication pas encore assez développé. Les retours et propositions des médias sur ce genre de pratiques n’ont d’ailleurs pas suffisamment été pris en compte, la communication restant parfois « à sens unique », ce qui ne contribue pas à l’amélioration du porte-parolat. En effet, en dehors des activités formelles comme les conférences de presse, les réceptions à l’égard des journalistes, il existe d’autres occasions pour passer le message comme les échanges sur Internet, l’interview, le communiqué de presse, les conversations en tête-à-tête, les réunions de travail, les repas non officiels ou de travail, les voyages officiels, etc. Les porte-parole chinois se limitent parfois aux conférences de presse aux dépens d’autres plateformes riches et variées, alors qu’il serait plus intéressant de développer une communication réciproque lors d’une activité non formelle.

3.1.5 Communication de crise

Épidémies de SRAS, de vache folle, de grippe aviaire, de grippe H1N1, tremblement de terre, tempête de neige, accidents miniers, inondations et sécheresses de grande envergure… La Chine n’est pas, bien entendu, un pays qui n’a jamais connu de crise : au contraire, elle en a vécu beaucoup, mais ce n’est qu’aujourd’hui, où elle entre de plain-pied dans la communauté des pays ouverts et qui se veulent modernes, que la question de gestion de crise se pose dans toutes ses dimensions : politique, économique, culturelle, écologique et autres. L’administration chinoise est donc appelée à se réformer pour répondre à ce défi.

Le rôle de la communication dans la gestion de crise est incontestable ; le problème n’est pas de dissoudre la crise dans un discours lénifiant en arborant un sourire médiatique, mais de donner une information sérieuse permettant à chacun de mieux se repérer et de mieux exercer ses responsabilités à son niveau, y compris pour un simple citoyen. Cela n’est possible que si une base de confiance lie l’émetteur et le récepteur. Or précisément, notre culture de la crise s’appuie souvent largement sur une culture de la suspicion : « S’ils savent, on est perdus ! »30.

Un autre problème se pose avec la rapidité de l’information. En situation de crise, nous assistons à la dictature du temps, avec l’enchevêtrement de plusieurs tempos, entre le temps de la gestion de crise, le temps de la communication vers les différents publics, le temps politique et la « tyrannie » du temps médiatique. Polymorphe, le temps est contraint, raccourci, rare, insaisissable et donc précieux en situation de crise. Communiquer rapidement, dans une concurrence accrue de l’information avec les nouvelles technologies, vers de multiples acteurs, de façon cohérente est un impératif. Cependant un vieil adage chinois dit : on ne peut porter un jugement définitif sur le défunt qu’après seulement la fermeture de son cercueil. Dans la culture politique chinoise, la tradition veut que tant qu’une affaire n’est pas bien instruite, étudiée et finie, il convient de ne pas se prononcer là-dessus, un peu à l’image du porte-parolat du Ministère français de la Justice, qui s’interdit de commenter les affaires en cours, comme le recommande le proverbe français : dans le doute, abstient-toi. Notamment sur les crises publiques ou incidents majeurs, même si les autorités interviennent assez tôt et y travaillent énormément, on est parfois enclin à attendre pour les porter à la connaissance du public lorsque l’affaire est concluante ou que la situation est sous contrôle. Vue l’importance de l’inégalité du niveau d’éducation de la population, les autorités essaient de ne pas affoler les publics ou déclencher des comportements moutonniers. Ce souci est tout à fait louable et compréhensible, mais le problème aujourd’hui, c’est que l’information circule tellement vite à une échelle si vaste que tout le monde ne peut y rester indifférent.

L’incendie du bâtiment de la Télévision centrale de Chine (CCTV) en 2009 est une bonne illustration. Un spectaculaire incendie s'est déclaré le 9 février à 20h27 dans un bâtiment rattaché à la nouvelle tour de la CCTV dans l'Est de Beijing. Internet a été plus vite que les télégrammes des agences de presse dans cette affaire : quelques minutes après le début de l’incendie, des images impressionnantes commencent à circuler sur Internet. Plus tard, des photos sur Picasa, des blogs, des vidéos sur YouTube, de grands forums et portail sont disponibles, à la portée de tous. Ce sera seulement quelques heures plus tard que les agences comme l’AFP commenceront à publier des dépêches, tandis que le service compétent chinois publiera l’information un peu tardivement. Bien qu’avec davantage d’éléments, résultats précis d’enquêtes et une part consacrée à l’héroïsme d’un pompier intoxiqué par la fumée, la communication officielle a laissé un sentiment de réactivité insuffisante.

3.1.6 La réforme administrative reste à approfondir

Le porte-parolat n’est pas l’affaire personnelle du porte-parole, et un porte-parolat efficace compte sur une bonne coordination entre tous les services et personnes impliqués dans l’action de communication. Souvent, dans une administration centrale chinoise comme dans ses services déconcentrés, il n’y a pas de réseau de communicants détachés ou nommés dans les différentes directions. Sans une meilleure répartition et une meilleure coordination des compétences au niveau central et entre les niveaux central et local, il est difficile pour le porte-parolat d’aboutir à une information plus rapide et plus ouverte.