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PARTIE III : POUR UN MEILLEUR SYSTÈME DE PORTE-PAROLAT EN CHINE

3.2 Propositions pour un meilleur porte-parolat en Chine

3.2.4 Mieux communiquer en crise

Il serait intéressant d’analyser sous l’angle de la communication l’exemple du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’exemple de la canicule de 2003 en France et l’exemple du SRAS de 2003 en Chine pour essayer de dégager quelques réflexions utiles et éclairantes pour une meilleure communication en crise.

Attentats du 11 septembre 2001

- 08:45 (heure locale) le vol 11 de American Airlines parti de Boston (Massachusetts) s'écrase dans la tour nord du World Trade Center (WTC), créant un trou béant et un incendie dans le bâtiment.

- 09:03, le vol 175 de United Airlines, également parti de Boston, s'écrase dans la tour sud du WTC et explose. Les 2 bâtiments sont en flammes.

- 09:43, le Pentagone est frappé à son tour, émettant un énorme panache de fumée. L'évacuation débute immédiatement. - 11:02, Rudolph Giuliani, maire de New York, demande aux new-yorkais de rester chez eux et ordonne une évacuation de la zone sud de Canal Street.

- 13:04, Bush déclare depuis Louisiane que toutes les mesures appropriées de sécurité ont été prises. - 15:55, Giuliani communique le nombre de blessés estimé à 2100 dont 200 graves.

- 18:10, Giuliani demande aux new-yorkais de rester chez eux mercredi si possible. - 20:30, Le Président Bush s’adresse à la nation.

- 21:57, Giuliani déclare que les écoles à New York seront fermées mercredi et que davantage de volontaires sont demandés.

La première réaction du Maire de New York Rudolph Giuliani est de tenir une conférence de presse au plus tôt, afin d’envoyer au monde entier un message fort sur la situation et de décrire les efforts des secours. Dans la crise où l’émotion prime sur la raison, il suffit qu’une réponse donne l’impression de manquer d’authenticité pour que le public doute. En communiquant avec le reste du pays, dans une même émotion partagée, dans de si tragiques circonstances, Giuliani a su projeter le plus tôt possible ses administrés au-delà de l’horreur qui venait de frapper leur ville. Le ton juste qui fut le sien, sa profonde humanité tout au long de ses interventions télévisées, contribuèrent pour beaucoup à la résilience dont témoignent, depuis, nombre de Newyorkais. Le courage, la compassion et l’efficacité dont il a fait preuve dès la première heure ont fait de lui le sauveur de sa ville. Time Magazine l’a nommé l’Homme de l’année, et la Reine Elizabeth l’a ordonné Chevalier. Il est même devenu héros national, surnommé le « maire de l'Amérique ». Alors qu’il disposait d’un score de popularité au plus bas, le Président Bush s’est rendu sur le lieu des attentats et a prononcé un discours de trois minutes, dans une atmosphère pleine de gaz sulfureux. Ces trois minutes lui ont permis de redorer son blason politique, et de porter sa cote de popularité à 94% comme d’un coup de baguette magique, dépassant tous les anciens présidents américains.

Canicule de 2003 en France

- 4 août 2003: la France a chaud, très chaud. Les températures maximales sont relevées sur l'Aquitaine, avec 40 degrés sur plus de la moitié de la région. De nouveaux pics de pollution à l'ozone sont franchis en Île-de-France. Il y a alors déjà 300 morts. Assoupie, la France est en vacances. Son gouvernement aussi.

- 8 août: 1.200 personnes meurent ce jour-là en raison de la canicule. Le bilan total se monte à 3.900 décès depuis le 4 août. Alors que la situation est jugée critique dans les hôpitaux, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris annonce une adaptation de son dispositif d'accueil et de prise en charge des Franciliens, prévoyant une augmentation de la capacité des lits d'hospitalisation. La Direction générale de la Santé publie un communiqué de "recommandations sanitaires". - 10 août: "en quatre jours, il y a eu pratiquement sur la région parisienne une cinquantaine de morts dues à la chaleur", s'insurge le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France. "Au niveau de la Direction générale de la Santé, il ne se passe strictement rien. Ils osent parler de morts naturelles", accuse-t-il. - 11 août: le gouvernement est "passif et inerte" face à la canicule, accuse le Premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande. Une réunion technique se tient à Matignon pour évoquer les difficultés d'EDF. Il est alors décidé d'accorder les dérogations demandées. Dans l'après-midi, la ministre de l'Écologie Roselyne Bachelot appelle les Français au "civisme" et aux économies d'énergie. "Le moment n'est pas à la polémique", répond-elle aux critiques. "Il n'existe pas d'engorgement massif des urgences" et "les difficultés rencontrées sont comparables aux années antérieures, en dehors de cas ponctuels de certains établissements et d'un ou deux départements d'Île-de-France",

assure le ministère de la Santé Jean-François Mattei, qui répond au journaliste depuis son lieu de vacances. Il annonce plus tard la mise en place d'un numéro vert pour donner les règles de prévention contre la chaleur et la déshydratation. - 12 août: c'est le pic de la vague de décès, avec 2.200 morts en une journée (10.600 victimes en chiffres cumulés). Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin dénonce les "polémiques partisanes" et défend l'action de son gouvernement contre les conséquences de la chaleur. Le PS déplore une "communication fébrile et dérisoire".

- 14 août: la DGS avance un premier chiffre de 3.000 décès liés à la vague de chaleur. Il y en a en fait déjà plus de 12.000. Face à l'encombrement des morgues, funérariums et autres, les Pompes funèbres générales doivent rappeler du personnel et installent quatre tentes réfrigérées en banlieue parisienne. Alors que les urgentistes se disent toujours en colère, M. Raffarin interrompt ses vacances pour présider une réunion interministérielle. Jacques Chirac "suit de près l'évolution de la situation", assurent ses services.

- 16 août: alors que le mercure redescend presque partout sous les 30 degrés, M. Raffarin, malgré les critiques sur le manque de réaction des pouvoirs publics, assure que le "temps est à la solidarité, pas à la polémique" en réaffirmant son soutien à Jean-François Mattei.

- 18 août: M. Mattei juge "plausible" l'hypothèse de 5.000 morts dus à la vague de chaleur, avant de critiquer la Direction générale de la Santé. Mis implicitement en cause, le Pr Lucien Abenhaïm, Directeur général de la Santé, démissionne. - 21 août: alors qu'Hubert Falco avoue que la canicule a "certainement" tué une dizaine de milliers de personnes en France, Jacques Chirac rompt son silence à l'issue du conseil des ministres de rentrée. Il promet que "tout sera fait" pour tirer les enseignements de cette catastrophe sanitaire. Le chef de l'État annonce que le gouvernement présentera en octobre un plan pour remédier aux "insuffisances" mises en lumière par la canicule. Le Pr William Dab succède au Pr Abenhaïm à la tête de la DGS.

- 30 août: Jean-François Mattei se dit "bouleversé mais pas abattu", et affirme qu'"il n'a rien à cacher" et a "le souci de comprendre ce qui s'est passé pour que cela ne se reproduise plus".

- 6 novembre: le commandant Jacques Kerdoncuff, de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, fait état devant la commission d'enquête parlementaire de consignes de la préfecture de police de Paris de ne pas "diffuser de message alarmiste et de ne pas donner le nombre de morts" le 8 août.

- 19 novembre: Lucien Abenhaïm publie "Canicules. La santé publique en question" (Fayard), dans lequel il met en cause un Jean-François Mattei qui "n'a pas voulu voir la réalité en face".

Pendant l’été 2003, les Français découvrent les effets meurtriers d’une canicule que nul n’avait prévue, plus de 10 000 morts en quinze jours. Comment une telle catastrophe sanitaire a-t-elle pu se développer « à petit pas » dans un pays pourtant « suradministré », étroitement maillé au niveau de ses territoires par un réseau de services déconcentrés, de collectivités décentralisées disposant de compétences conséquentes en matière sociale et sanitaire, le tout coordonné par une institution préfectorale particulièrement efficace ? Beaucoup dénonce à l'unisson l'inaction, voire l'incurie des services publics. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement a peut-être très mal communiqué avec tous ses interlocuteurs, et en particulier avec la population. Les rapports d’enquête sur la canicule pointent une communication tardive et inadaptée. Cette mauvaise communication n’est certes pas nouvelle, mais ici elle est flagrante. Pour Lucien Abenhaïm, directeur général de la Santé démissionnaire, ses services et lui-même ont été livrés à «la vindicte publique» par son supérieur dont le principal souci était de minimiser une crise en continuant coûte

que coûte à annoncer que l’on se situait «dans une fourchette étroite de 1 600 à 3 000 décès, en dépit des estimations de l’Institut de veille sanitaire fixant le nombre de décès entre 6 000 et 7 000». «Certains acteurs, détenteurs d’une information qu’ils ne comprenaient peut-être pas, ont cédé à des réflexes administratifs courants en ne la partageant pas».32

SRAS de 2003 en Chine

- 27 novembre 2002 : Le Réseau mondial d'intelligence santé publique (RMISP) détecte le début d'une épidémie de grippe en Chine.

- Début février 2003 : Le bureau de l'OMS à Beijing apprend qu'une «maladie contagieuse étrange» frappe Guangzhou et y fait de nombreuses victimes.

- 9 février : Des habitants dans le Sud de la Chine se ruent à l’achat des produits prétendus lutter contre le SRAS. rapport à l'OMS

- 11 février : Le Ministère chinois de la santé adresse un . Entre le 16 novembre et le 9 février, un syndrome respiratoire aigu a touché 300 personnes et entraîné 5 décès dans la province du Guangdong. La première conférence de presse est organisée à la municipalité du Guangzhou sur le SRAS

alerte internationale au sujet des cas de pneumonie atypique

- 12 mars : L'OMS lance une , suite à l'apparition de formes sévères de pneumonie au Vietnam, à Hongkong et dans la province du Guangdong.

- 19 mars : Zhang Wenkang, Ministre de la Santé, déclare que le SRAS au Guangdong est sous contrôle.

- 26 mars : Les autorités sanitaires reconnaissent pour la première fois que le SRAS dépasse la province du Guangdong. - 3 avril : Lors de la conférence de presse, Zhang Wenkang déclare que la Chine est en sécurité, que le SRAS y est bien sous contrôle et que Beijing compte seulement 12 cas de pneumonie atypique.

- 9 avril : Remise en cause du « contrôle efficace » : des bruits circulent que l’on compte 60 cas rien qu’à l’hôpital 309 à Beijing. L’OMS demande à Beijing d’améliorer son système de notification du SRAS.

- 20 avril : Conférence de presse à Beijing: M. GAO Qiang, vice-ministre de la santé, annoncent 339 cas probables de SRAS jusque là non mentionnés, ce qui porte le total en Chine à 1 959. «Après l’apparition du SRAS, le ministère de la Santé n’a pas établi à temps un système unifié pour collecter, compiler et rapporter les données sur l’épidémie», a notamment déclaré Gao Qiang. Dans le même temps, M. ZHANG Wenkang, ministre de la santé, et MENG Xuenong, maire de Beijing, sont démis de leurs fonctions au sein du Parti par le Comité central. Mme WU Yi, vice-premier ministre, prend en main cette affaire, et elle est nommée ministre de la santé le 26.

- 21 avril : Le Ministère de la Santé se met à communiquer quotidiennement le nombre de cas et de décès du SRAS au lieu d’une communication tous les cinq jours.

- 23 avril : L'OMS étend ses recommandations de ne pas voyager à Beijing ni à la province du Shanxi. Toronto, qui figurait également dans la liste, en est retirée le 29 avril.

- 26 avril : Le Premier Ministre WEN Jiabao annonce la mise en place d’un centre national de commandement de la lutte contre le SRAS et lance une mobilisation générale.

- 25 juin : L'OMS retire sa recommandation d'éviter Beijing dans le voyage, dernière région encore frappée par une telle mesure (24 juin 2003).

La communication dans les premiers jours de la crise du SRAS nous a servi de « contre-manuel » : absence, « no comment », démenti, refus d’informer, mise en cause de ceux qui informent, et pire encore, des déclarations décrédibilisantes : « Je peux vous l’assurer : tout est sous contrôle ». L'absence d’une communication rapide sème la zizanie au sein des publics et donne lieu à des spéculations allant largement au-delà de la réalité.

32 Patrick Lagadec et Hervé Laroche, « Retour sur les rapports d’enquête et d’expertise sur la canicule de l’été 2003 », mai 2005, Publications de la MSH-Alpes

Quand la maladie s’est déclarée, la première réaction des autorités locales a consisté à éviter qu’elle ne suscite des troubles. Malheureusement, à l’inverse de ces bonnes intentions, on assiste plutôt à l’intérieur du pays à l’affolement des citoyens qui se plaignent du désintérêt des autorités pour leur santé, et à l’extérieur, à l’assombrissement de l’image du pays. Après une première période de réserve, face à un risque réel de dérapage et à de fortes pressions intérieures et extérieures, le gouvernement chinois a choisi la transparence et la coopération internationale. Madame WU Yi a ainsi dit qu’ « il fallait s’excuser de la communication insuffisante entre le gouvernement et les médias, et que le gouvernement chinois devait faire preuve de franchise et de sens de responsabilité ». Une fois la situation éclaircie, la population a aussitôt retrouvé son calme et sa confiance en l’administration. La capacité de réaction et de mobilisation de la société chinoise a été impressionnante par la suite, ce qui a changé radicalement la lutte contre l’épidémie et mis un terme à sa propagation.

Ces trois exemples sont assez parlants et montrent que la communication a un rôle crucial dans la crise et que la rapidité et la fluidité de l’information sont un préalable au succès :

- La communication a un rôle crucial : L’absence de communication a des

conséquences graves, comme dans les premiers temps de la canicule ou du SRAS, et il est à craindre que l’arrivée de crises de plus en plus surprenantes et déstabilisantes ne déclenche des mécanismes de non-information, en redonnant toute leur place aux logiques du secret. L’image des autorités publiques et la confiance de l’opinion publique à leur égard s’en trouveraient ainsi compromises. Au début du SRAS, on a assisté à un échec de l’information : avant que les informations officielles ne paraissent dans les médias, 40,9% de citadins avaient déjà pris connaissance de la maladie, à travers différents canaux : rumeurs (56,7%), téléphone (19,4%), et Internet (14,2%)33. Ceci a créé une confusion parmi la population qui, par la suite, s’est affolée et a adopté des comportements irrationnels comme le stockage du riz et du sel. En revanche, dès qu’il a corrigé cette erreur en tenant régulièrement des conférences de presse retransmises en direct à la télévision, le gouvernement a pu très vite reprendre le contrôle de la situation et regagner la confiance du public. Dans la crise, la bonne ligne de conduite consiste donc à dire : « Plus c’est grave, plus il faut informer ». Informer n’est pas une concession mais une exigence en temps de grande menace. Certes, cela exige de très sérieux travaux, des expérimentations avec des démarches ouvertes et innovantes. Une communication active, comme celle de Giuliani,

33 Selon une enquête sur la réaction du public au SRAS, menée par l’Université de Nankin et le Centre du sondage de l’opinion publique de Nankin, 2003.

s’avèrent cruciale pour bien orienter la population en crise, et fructueuse pour les communicants.

- La rapidité et la fluidité de l’information sont un préalable au succès de la

communication : Une des clés de la communication de crise est le recueil d’informations

valides, et ceci avant toutes les autres. Être le premier à posséder l’information permet de devenir la source privilégiée des médias, de faire autorité et d’accroître naturellement la crédibilité. On peut ainsi jouer un rôle de premier plan dans le cycle de la communication autour de la crise. Il faut donc rester maître du temps : dans la phase aiguë du début de la crise, il est utile de proposer des « points de presse » où tous les médias sont conviés. Lorsque la crise s’installe, occuper le terrain médiatique dans la durée est également important. Il s’agit de ne pas relâcher son attention, et de rester toujours la source d’informations nouvelles et signifiantes, limitant ainsi les rumeurs et les sources non-vérifiées. La fluidité du système « recueil – communication » est aussi un facteur clé de réussite. Le succès de la communication lors du 11 septembre repose sur la culture de travail en réseau, tandis que dans les cas de la canicule et du SRAS, les autorités publiques ont toutes avoué avoir rencontré des difficultés dans la collecte des données. La communication lors de la tempête de 1999 en France en est un bon exemple : EDF a fourni directement l’information aux médias, de façon coordonnée, du terrain jusqu’aux citoyens. L’information brute (nombre de foyers reconnectés, planification…) venait valoriser l’information « sensitive » traduite par l’effort des hommes sur le terrain. Il est à noter aussi qu’il s’agit d’un rare cas de crise où l’ensemble de la population pouvait vérifier directement la présence de l’entreprise sur place (assimilation des efforts des agents d’EDF à ceux d’équipes de secours).

La capacité de communication en temps de crise du gouvernement chinois s’est beaucoup améliorée à travers les accidents successifs de ces dernières années. Mais la Chine a encore un long chemin à faire. Les moyens de communication sont encore dans un stade primaire à défaut d’un plan stratégique général et à long terme, d’où l’importance de perfectionner sans cesse les plans de communication de crise et la formation en la matière. Il est aussi nécessaire de « scénariser » la communication en plusieurs étapes qui respectent la progression de l’événement, bien qu’il soit difficile de trouver des recettes toutes faites, gravées dans le marbre.