• Aucun résultat trouvé

l’hétérogénéité des étudiants : diversité sociale, diversité linguistique et échec universitaire

1.2 Du constat d’échec à son explication

1.3.2 Variation selon l’attitude des locuteurs

Nous avons discuté jusqu’ici des explications que nous pouvions donner à la variation sociolangagière. Nous souhaiterions à présent, pour répondre à notre volonté de mettre en rapport la construction identitaire de nos étudiants et leurs pratiques (voir introduction générale), nous intéresser à un cas particulier de variation sociolangagière : la variation selon l’attitude des locuteurs.

Il convient donc en tout premier lieu de remarquer que le terme d’attitude ici n’est pas pris au sens des jugements épilinguistiques, des opinions que les locuteurs se font d’une langue ou d’une variété de langue. Nous parlerons ici d’attitudes pour désigner la manifestation dans l’écriture de la relation que l’individu entretient avec son groupe d’appartenance et avec ceux qui lui sont extérieurs. En réalité toutefois, il y a bien un lien entre les attitudes que nous proposons d’étudier et les attitudes épilinguistiques : la particularité de notre approche tient au fait que nous nous proposons de dégager les attitudes des locuteurs non pas par une analyse de contenu de leurs propos, mais par une analyse de leurs pratiques linguistiques en situation.

En réalité, le lien entre les attitudes, les positionnements des locuteurs et leurs pratiques linguistiques est souvent établi, et il n’est pas nouveau de dire que les pratiques linguistiques des locuteurs dépendent aussi de leur position dans la situation, de leurs rôles mais aussi de la façon avec laquelle ils incarnent leurs rôles. Notre idée est toutefois d’aller un peu plus loin, puisque nous proposons d’introduire dans une analyse formelle de pratiques linguistiques la recherche d’indices traduisant ces rôles et les modes d’incarnation de ces rôles.

Telle est donc la dimension que nous avons voulu ajouter pour l’analyse de la variété des pratiques des étudiants. Sur ce point, notre hypothèse est que les pratiques langagières, même les plus indépendantes de la situation d’énonciation qui les produit – la copie d’étudiant, nous le verrons, est le jeu d’une énonciation indépendante de la situation de production –, et même les plus brèves148, permettent une analyse non seulement en termes de compétences, mais aussi en termes d’attitudes.

Il nous reste à définir comment distinguer ce qui relève de la compétence sociolangagière et ce qui relève des attitudes dans les pratiques linguistiques. Nous serions tentée de proposer ici une première définition des attitudes, qui s’appuierait en

147 op. cit. p.13.

partie sur l’idée que l’élaboration d’un message linguistique tient à des composantes psychologiques du destinateur telles que sa volonté, son intention, son choix… Cela nous amènerait à poser qu’il y a intervention d’une attitude chaque fois qu’il y a un choix à réaliser – entre des mots, entre des structures syntaxiques, entre des structures de texte… –, et à rejoindre ainsi une définition de ce qu’est le style149. Toutefois, il nous semble qu’une telle définition ne rend pas bien compte de ce qui relève pour nous des attitudes des locuteurs dans leurs pratiques. En particulier, dire que les attitudes entrent en jeu chaque fois que le scripteur est devant un choix ne permet pas de montrer la complexité du lien qui existe entre les stratégies du scripteur et ses pratiques linguistiques. Or ce qui nous intéresse, c’est bien de faire le lien entre les stratégies possibles des locuteurs et leurs pratiques linguistiques. En d’autres termes, il s’agit de voir comment ce que nous appellerons les formes d’altérité chez les locuteurs – les possibles positionnements qu’ils peuvent adopter – participent à l’explication de la variation des pratiques linguistiques. C’est pourquoi, plutôt que d’anticiper sur une définition des attitudes que nous pourrions clairement opposer aux compétences sociolinguistiques, nous proposons de nous interroger d’abord sur les stratégies possibles d’altérité chez les étudiants.

En guise de conclusion de ce chapitre, soulignons que notre terrain est traversé par de nombreuses formes d’hétérogénéité, et de nombreux axes de variation. Pour autant, notre projet est bien de donner du sens à cette hétérogénéité, en regardant en particulier les caractéristiques sociales, identitaires ou représentationnelles qui expliquent le mieux la variation linguistique rencontrée. Mais il s’agit aussi dans notre travail de prendre en compte la complexité de cet objet de recherche, complexité que résume Bautier150 à travers sa définition des pratiques langagières.

« La notion de pratique langagière conduit à penser le langage non seulement en tant qu’activité toujours simultanément cognitive, sociale, et bien sûr linguistique (puisqu’elle s’accompagne de la mobilisation et de l’élaboration de formes lexicales, syntaxiques, textuelles) et langagière, mais aussi en tant que production hétérogène dans laquelle se trouvent obligatoirement présentes les dimensions culturelles, sociales, langagières, tout à la fois singulières (propres au sujet qui les produit) et partagées (propres au groupe qui les reconnaît et en a élaboré les formes) et, de ce fait, normées. »

Ce que fait en réalité le test d’entrée à l’université, c’est qu’il se présente comme une évaluation de la seule dimension linguistique des pratiques langagières. Une telle réduction nous semble pourtant impossible, parce qu’il est impossible de distinguer les différentes dimensions des pratiques langagières, et qu’aucun évaluateur ne peut tenir compte de la seule dimension linguistique. Notre idée en d’autres termes, c’est que

149 Garmadi, op. cit. p.96. 150 op. cit. p.127.

même dans un test de langue, toute variation linguistique est une variation sociale – au sens le plus large bien sûr. Sur ce point aussi, nous rejoignons Bautier151 :

« L’emploi des formes linguistiques semble davantage être l’effet d’une représentation que les sujets ont des situations plutôt qu’une quelconque compétence linguistique stable. (…) Dès lors les différences linguistiques constatées, et qui sont au demeurant réelles, peuvent être renvoyées au rapport des locuteurs au langage et aux situations. »

Ainsi nous pouvons poser que le test d’entrée à l’université, malgré les exigences extrêmement stéréotypées et normatives, ne mesure pas simplement une distance normative à travers les compétences de locuteurs, mais aussi une distance sociale. De ce point de vue, lorsque nous parlions précédemment des stigmates que le test mesure, il s’agit bien ici d’indices de compétence / incompétence, mais aussi de stigmates sociaux, parce que les mauvaises réponses dans les tests n’indiquent pas seulement une incompétence (l’étudiant ne sait pas que conquérir au futur se dit conquerra), mais aussi un décalage de pratiques culturelles (l’étudiant n’a pas assez lu ou écrit, il n’a pas assez baigné dans la culture dominante).

En parlant d’altérité et d’attitudes, c’est finalement à cette distance sociale que nous faisons référence, en ne la considérant pas seulement comme une différence de

positions sociales, mais aussi de positionnements par rapport à la communauté d’appartenance et de référence. Ce qui nous intéresse à travers cette notion, c’est finalement la façon qu’ont les locuteurs de vivre leur distance sociale. En opposant hétérogénéité et altérité, nous n’en sommes toutefois qu’à une question de départ très générale, et il convient de décrire plus précisément comment analyser l’altérité en général, et chez les étudiants en particulier (chapitre 2).

Dans le chapitre 3, nous nous intéresserons à différents aspects des pratiques linguistiques, pour déterminer comment distinguer parmi elles attitudes et compétences. En cherchant à dégager tout particulièrement les zones d’émergence dans les pratiques linguistiques des questions d’altérité, nous serons amenée à définir plus précisément ces deux notions, et à poser un modèle d’analyse de la variation dans les copies du test.

Notre démarche est donc résolument sociolinguistique : en cherchant d’abord à dégager des axes pertinents de variation linguistique, et en les corrélant ensuite à différents facteurs sociaux au moyen d’enquêtes macro et microlinguistiques. Les chapitres 2 et 3 nous permettent de construire une grille de description de la variation, que nous testons empiriquement dans les parties 2 et 3, en croisant les axes de variation linguistique avec certaines caractéristiques sociales des locuteurs. Notre

objectif général est ainsi d’ajouter à la description des pratiques linguistiques des éléments d’explication de la variation linguistique dans les copies des étudiants.

chapitre 2

la diversité des étudiants : construction d’un modèle