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écrire à l’université : évaluer la diversité des pratiques

3.2 Modélisation des attitudes scripturales

3.2.4 Chercher à simplifier / à complexifier

Nous avons déjà abordé cet aspect en disant qu’une des façons d’en faire « plus que nécessaire » était de complexifier exagérément une réponse. C’est ce que l’on observe par exemple dans il conquérirera301.

Là encore, nous nous situons dans un continuum entre simplifier et complexifier. Ce qui est intéressant dans cette opposition, c’est qu’elle marque selon nous des représentations différentes de la langue. Quand il ne sait pas, le locuteur peut avoir tendance à appliquer la règle générale qui prévaut dans ce cas (il conquérira). Il a alors une conception de la langue comme un système de règles à appliquer. Mais il peut aussi avoir comme image de la langue un ensemble d’exceptions, de contre-exemples et de cas particuliers. Alors il aura tendance à inventer une irrégularité (il conquierera par exemple). Dans ces deux cas, les réponses peuvent s’interpréter en termes fonctionnels, parce qu’elles sont les signes de l’application d’une règle générale, ou d’une règle particulière ; mais elles n’indiquent pas selon nous la même attitude devant la langue, cette attitude étant ici très liée aux représentations qu’ils ont de la langue. Que l’on soit tenté par la régularité du système ou par son irrégularité ne traduit pas ainsi selon nous la même image que se font les étudiants de la langue.

Notons que dans notre situation, la tentation envers l’irrégularité est accentuée par le fait que nous sommes dans une évaluation normative au moyen de questions « à trous ». L’étudiant sait que dans ce type d’évaluation, on évalue surtout la connaissance des « pièges » de la langue, des exceptions. Ainsi encore une fois, la complexification des réponses n’est pas seulement le signe d’une incompétence : les étudiants manifestent par là une véritable compétence sociolangagière.

Ainsi pour nous, les attitudes linguistiques sont au centre des pratiques parce qu’elles sont liées à la mise en œuvre des compétences et à leur acquisition. En d’autres termes, écrire ne requiert pas seulement des capacités cognitives et sociales mais un certain positionnement des locuteurs qui dépend de leurs représentations et qui entre en jeu dans la restitution des connaissances, mais aussi dans leur acquisition.

Il nous reste maintenant à modéliser ces axes de variation, et à les intégrer à notre modèle d’altérité. Encore une fois, comme nous l’avons souligné à la fin du chapitre précédent, cette modélisation est bien une façon de nous « aider à penser », en articulant les attitudes les unes aux autres. Si nous reprenons le schéma d’altérité posé

Caméléon Ours dans le chapitre précédent, nous pouvons passer d’une modélisation des formes d’altérité à une modélisation des attitudes scripturales. Il reste alors à placer les phénomènes linguistiques observés. Pour cela, nous pouvons reprendre chacun des types d’étudiants posés.

Le dandy pour commencer ne conteste pas la norme. Par contre, il est dans une attitude divergente par rapport à la normalité : il est dans une recherche d’originalité, de distinction, qui se manifeste par son hypocorrection. Le snob ensuite veut apparaître le plus normal possible, et manifeste alors une attitude que l’on pourrait appeler de conformisme. En même temps il ne se sent pas légitimement propriétaire de la norme. Cette tension se manifeste par son insécurité linguistique et identitaire. Le caméléon se situe quant à lui dans un rapport de convergence : il veut apparaître normal et ne conteste pas la norme. Cela se traduit par un conformisme et une attitude que l’on pourrait dire de « normativisme ». L’ours enfin est en divergence à la fois parce qu’il revendique sa singularité et refuse d’être « comme les autres », mais aussi parce qu’il conteste la norme même de l’institution. Sa divergence par rapport à la norme ne se manifeste pas comme pour le snob par de l’insécurité, mais davantage par un refus de la norme. Par rapport à la normalité, il se situe comme le dandy dans une affirmation de sa singularité, dans une tendance à l’originalité.

Pour terminer, nous pouvons revenir à la question de départ de notre travail : à l’évaluation que l’on peut faire de la variation linguistique dans les copies d’étudiants. Tout d’abord, celle-ci peut être évaluée selon le mode scolaire, qui produit une interprétation de la diversité, qui donne à l’hétérogénéité des pratiques un sens. Ainsi l’évaluation scolaire tend à produire des différences entre les locuteurs à partir de l’évaluation ponctuelle de leurs pratiques. Dans le test, chaque réponse est évaluée séparément, et la note correspond à la moyenne des évaluations ponctuelles. Chaque

Figure de référence : la norme, la normalité Snob Dandy conformisme, insécurité linguistique et identitaire distinction, originalité, hypocorrection conformisme, normativisme originalité, refus de la norme

pratique est évaluée selon sa conformité à la sur-norme : quand la réponse correspond à la forme correcte, elle est évaluée comme JUSTE ou CONVENABLE, sinon elle est FAUSSE. Ainsi, pour déterminer l’évaluation que fait le test de la diversité, nous pourrons étudier les résultats au test de façon d’abord statistique. Ce que nous nous demanderons donc pour commencer, c’est : Quelle image le test donne-t-il de la

diversité des étudiants ? Comment ceux-ci se trouvent-ils hiérarchisés ?

L’évaluation scolaire n’est toutefois qu’une des façons d’évaluer la diversité, à laquelle nous pouvons opposer une évaluation linguistique. A chaque réponse donnée, il conviendra donc de déterminer les compétences sociolangagières acquises ou qui font défaut. Mais nous voudrions surtout concentrer notre analyse des pratiques sur les attitudes linguistiques qu’elles révèlent de la part des locuteurs. La difficulté d’une telle approche tient sans doute au fait qu’on ne peut désintriquer compétences et attitudes dans les pratiques. Comme nous l’avons déjà noté, l’insécurité linguistique est en partie liée à une incompétence : l’étudiant peut seulement penser à tort ne pas savoir, mais il peut aussi réellement ne pas savoir. A l’inverse, il convient de remarquer que l’incompétence entraîne assez naturellement de l’insécurité linguistique, surtout dans un test d’entrée à la faculté de Lettres et Sciences humaines. Le risque alors, c’est de n’observer de l’insécurité que dans les cas d’incompétence, et de la sécurité linguistique que dans les cas de compétence. La solution que nous proposons pour pallier cette difficulté, c’est de construire à partir d’évaluations ponctuelles des attitudes linguistiques une évaluation globale du locuteur.

Finalement, nous considérerons donc chaque réponse comme le symptôme d’une attitude linguistique. Mais ce n’est que le passage des symptômes au diagnostic qui nous permettra de définir l’attitude générale du locuteur. Cela suppose l’hypothèse que les attitudes linguistiques sont relativement stables tout au long de la situation d’évaluation, et qu’elles ne changent pas selon les types de compétences évaluées. C’est là une hypothèse assez forte qu’il nous faudra tester.

Ainsi à une description de l’évaluation scolaire des pratiques (chapitre 4) nous ajouterons une évaluation des mêmes pratiques en termes d’attitudes (chapitre 5). Notons que l’évaluation scolaire et la nôtre sont fondées sur la même idée, que les pratiques linguistiques produites dans le test sont des symptômes. Pour l’évaluation scolaire, elles sont les symptômes de l'ignorance de la sur-norme, pour nous elles sont les symptômes des attitudes des locuteurs face à la norme et à la normalité.

Une fois posés ces deux « diagnostics » de l’hétérogénéité, nous chercherons ensuite d’une part à les comparer, d’autre part à les expliquer. Si la comparaison est relativement simple, puisqu’il nous suffira de regarder si les différents types d’étudiants dégagés ont des résultats significativement différents au test, l’explication de cette diversité suppose que nous recourions à des données extérieures.