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écrire à l’université : évaluer la diversité des pratiques

3.3 Déterminations externes

Dire que la variation linguistique peut s’expliquer par des facteurs externes suppose que l’on fasse l’hypothèse que les productions linguistiques s’inscrivent dans le temps, qu’elles sont le produit de l’histoire de leurs auteurs. Le test de ce point de vue peut être interprété comme la photographie des pratiques des étudiants à un moment donné. Il permet deux directions de recherche :

1. On peut se demander en quoi le « passé » explique ce présent. On s’interrogera alors sur les origines et les caractéristiques des auteurs qui permettent d’expliquer les pratiques présentes.

2. On peut se demander en quoi les pratiques observées aujourd’hui ont une valeur prédictive, c’est-à-dire qu’elles permettent de prédire la réussite des étudiants en fin d’année.

3.3.1 L’explication de la variation

Il nous a semblé important de voir comment les pratiques linguistiques pouvaient s’expliquer à partir de la diversité sociale des étudiants. Il ne s’agit donc pas seulement d’expliquer la variation, mais de comparer nos deux modes d’évaluation de cette variation du point de vue de leurs corrélations avec certaines caractéristiques sociales des étudiants. En d’autres termes, ce qui nous intéressera sera d’abord de montrer s’il existe ou non des corrélations statistiques entre les notes des étudiants au test et certaines caractéristiques sociales, entre le diagnostic d’altérité que nous établirons et ces mêmes caractéristiques sociales. Mais notre objectif sera également de déterminer lequel des deux diagnostics est le plus fortement corrélé à chacune des caractéristiques sociales.

Il reste à se demander comment diagnostiquer la diversité sociale des étudiants : quels critères sociaux doit-on prendre en compte pour expliquer la variation diastratique ? Pour cela, nous utiliserons d’abord les indicateurs traditionnels que sont les PCS (Professions et Catégories Sociales, anciennes CSP de l’INSEE) du parent en charge de l’étudiant ; elles présentent l’intérêt de combiner niveau d’étude, revenu et profession302. Nous y ajouterons le baccalauréat de l’étudiant et son âge, qui nous permettra de déterminer le nombre de ses redoublements. Nous y ajouterons également le genre de l’étudiant, parce que ce critère produit selon nous une différenciation sociale dans notre corpus – le fait que 70% des inscrits soient des filles en est le signe évident. Enfin, nous ajouterons la discipline choisie par l’étudiant. Prolongeant les réflexions menées précédemment sur ce point (voir supra, §3.1.1.3), nous poserons que celle-ci peut expliquer la variation linguistique non seulement en termes de

302 Ce critère, comme le note Gadet (op. cit. p.4) pose le problème de produire une conception harmonieuse et

hiérarchique de la société, en niant les conflits entre les groupes sociaux. Nous ne pourrons éviter cet écueil, même si nous verrons que nos résultats montrent effectivement un clivage socioculturel fort que l’on peut interpréter comme le résultats d’un véritable conflit.

compétences sociolangagières – les étudiants choisissent, ou aiment en général les disciplines dans lesquelles ils réussissent – mais aussi en termes d’attitudes – les goûts culturels sont liés aux valeurs accordées aux pratiques culturelles et linguistiques. Cette première analyse nous permettra de voir comment la variation linguistique peut être déterminée par la variation sociale, et de voir éventuellement lequel de nos deux diagnostics est le plus « socialement déterminé ». En raison de notre attachement à l’étude non seulement des compétences linguistiques mais aussi comme nous l’avons vu des attitudes des étudiants, il nous a semblé important de recueillir d’autres données « externes ». En l’occurrence, nous avons voulu évaluer la diversité des étudiants du point de vue de leurs représentations sociales. Notre idée en effet est qu’il peut aussi y avoir un lien entre les pratiques linguistiques des étudiants dans leurs copies et les représentations qu’ils se font de l’université et du monde étudiant. En d’autres termes, nous avons posé qu’il pouvait exister un lien entre la façon d’être scripteur dans une copie et la façon d’être étudiant. Toutefois, pour ne pas alourdir cette partie théorique, nous avons choisi de ne présenter cette enquête et les études qui l’ont inspirée qu’au moment d’en présenter les résultats (Partie 3, chapitres 7 et 9).

Pour le moment, notons simplement que cette détermination des pratiques linguistiques par les représentations des étudiants peut s’interpréter de deux façons : − les représentations déterminent directement les pratiques linguistiques des

étudiants : ils pensent cela donc ils agissent ainsi ;

− les représentations étant elles-mêmes socialement déterminées, la relation entre variation linguistique et variation des représentations n’est pas directe, mais s’explique par leur détermination commune à un troisième facteur : lorsque l’on a telle caractéristique sociale on a telle pratique et telle représentation.

Il y a fort à parier, a priori, que ces deux phénomènes coexistent, étant donné la complexité des systèmes de représentations, et du lien qui s’établit entre représentation et comportement. Plus modestement, notre objectif n’est donc pas de répondre définitivement à l’une de ces deux possibilités, mais plutôt de déterminer les types de corrélations qui peuvent exister entre certaines pratiques linguistiques et certaines représentations des étudiants.

Il nous reste à nous demander sur quels critères évaluer une diversité de représentations chez les étudiants. Pour cela, nous avons construit un protocole d’enquête à partir de ce qu’il nous semblait important de relier avec la variation linguistique, et plus précisément avec les attitudes linguistiques. Cela nous a amenée à nous demander comment définir « l’identité étudiante », et comment déterminer la diversité des « façons d’être étudiant ». Ce questionnement prolonge ainsi notre réflexion menée au début de ce travail (§ 1.1.3). Comme alors, pour dégager des pistes

d’analyse, nous nous sommes inspirée de travaux réalisés sur le monde étudiant et sur l’identité étudiante.

Nous avons également centré nos recherches sur les notions de rapport au savoir développées en sciences de l’éducation (en autres par Charlot, Barré-de-Miniac, Penloup303) qui nous semblent tout particulièrement importantes pour expliquer la diversité des attitudes des étudiants. Là encore, nous présenterons ces réflexions au moment de présenter notre enquête (chapitres 7 et 9).

3.3.2 La prédiction

La particularité du test d’entrée à la faculté de Lettres et Sciences humaines est de se présenter comme une évaluation prédictive de la réussite des étudiants en fin d’année. L’hypothèse posée par le test est qu’il permet un bon diagnostic des difficultés que les étudiants auront pendant l’année universitaire ou au cours de leurs examens. Cette hypothèse nous amène très logiquement à vouloir la vérifier. Nous regarderons donc si le taux de réussite en fin d’année est différent selon la note au test d’entrée. De la même façon que nous l’avons proposé pour les déterminations sociologiques, nous regarderons également si le diagnostic que nous ferons de la diversité des pratiques des étudiants sera lui aussi lié aux résultats obtenus en fin d’année.

Là encore, nous avons voulu interpréter au mieux le lien entre les pratiques linguistiques à l’entrée à l’université et le taux de réussite en fin d’année, en nous demandant comment pouvaient évoluer les pratiques linguistiques et les attitudes des étudiants au cours de l’année. Dans un premier temps, nous avions pensé saisir cette évolution en comparant les pratiques linguistiques des étudiants à différents moments de l’année. Nous avons d’ailleurs recueilli un certain nombre de copies d’étudiants produites à différents moments de l’année. Toutefois, nous nous sommes vite aperçue de l’hétérogénéité des situations de production, qui rendaient la comparaison des copies impossible. Nous avons donc dû abandonner cette enquête.

Pour autant, nous avons conservé l’idée, rapidement exposée à la fin du chapitre précédent (§2.3.2), d’étudier l’évolution des représentations tout au long de la première année universitaire, pour saisir le processus dynamique de construction de l’identité étudiante. Pour cela, nous avons réalisé des entretiens auprès d’une quarantaine d’étudiants à la rentrée universitaire (octobre 1999), puis juste après leurs premiers examens (février-mars 2000), et enfin un an après leur première inscription à la faculté (septembre-octobre 2000). Là encore, nous nous sommes aidée pour construire notre protocole d’enquête de travaux réalisés sur les étudiants, et en particulier des travaux de Coulon304 sur l’affiliation. Nous présenterons les résultats de cette analyse qualitative dans le chapitre 9.

303 Charlot Bernard, 1997, Du rapport au savoir, Economica, Paris. Pour les références de Barré-de-Miniac et

Penloup, voir note 223.

Remarquons pour finir que si nous avons pu opposer ici ces deux angles d’approche, l’un tourné vers l’explication et l’autre vers la prédiction des pratiques linguistiques, la présentation de nos résultats ne pourra suivre cette opposition, étant donné les différences de volume de nos analyses. En particulier, si le recueil et l’analyse de la diversité « sociale » des étudiants ont été assez rapides, la diversité des représentations des étudiants a été beaucoup plus longue à recueillir et à analyser. C’est pourquoi nous commencerons par présenter nos deux diagnostics de l’hétérogénéité des pratiques linguistiques, ainsi que l’explication que nous pouvons en faire à partir des données sociologiques, et la prédiction qu’elles permettent d’établir pour la réussite en fin d’année (Partie 2). Dans un deuxième temps (Partie 3), nous présenterons une analyse de la diversité des représentations des étudiants, de leur évolution, et nous terminerons par une mise en relation de ces données avec l’hétérogénéité des pratiques linguistiques.

Conclusion de la première partie

Cette première partie nous a permis de faire le point sur un certain nombre de questions soulevées par notre terrain de recherche, de poser notre problématique et de définir notre programme de recherche. Dans le premier chapitre, nous avons ainsi recensé les analyses et les recherches menées sur l’université et sur la variation linguistique en situation d’évaluation. Cela nous a permis de mieux connaître notre terrain, de définir notre cadre de recherche et de défendre nos appartenances théoriques et méthodologiques.

Dans le second chapitre, nous avons choisi d’explorer une des pistes théoriques soulevées et d’approfondir ce qui constituera l’une des particularités de notre enquête : le choix d’une analyse de l’altérité chez les étudiants. Cela nous a amenée à construire un modèle abstrait de description des formes d’altérité chez les étudiants.

Dans le troisième chapitre enfin, nous avons tenté d’appliquer les réflexions théoriques menées sur l’altérité à l’analyse de la variation linguistique, et plus particulièrement de la variation linguistique en situation d’évaluation universitaire. A l’issue de ce travail, nous avons ainsi posé les principaux axes de notre analyse des copies des étudiants. Très logiquement, ce cadre d’analyse nous a enfin amenée à présenter les enquêtes et les analyses que nous proposons de mener dans les parties 2 et 3.