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Variables soulevées par les adolescents concernant l’autorité de leurs enseignants :

V. Analyse des données

5.5 Variables soulevées par les adolescents concernant l’autorité de leurs enseignants :

5.5.1 Le nombre d’élèves

Une des variables qui pourraient faciliter le fait qu’un enseignant arrive à faire respecter les règles à tous ses élèves serait selon Théo le nombre d’élèves. Comme il dit, lui qui est en CEPTA dans une classe de neuf élèves, « oui parce que neuf ce n’est pas beaucoup, donc

81 c’est plus facile à cadrer, si tu en as 26, tu n’arriveras jamais à tout cadrer d’un coup. Il y aura forcément deux trois blaireaux qui foutront la merde. Neuf c’est plus facile. » (p.51).

Effectivement, nous pouvons faire comme hypothèse que le nombre d’élèves facilitent plus ou moins la tâche des enseignants. Certains professeurs cependant ont également beaucoup d’élèves et arrivent tout à fait à se faire respecter. Je pense par exemple à la classe de Loïc dans laquelle ils sont 32 jeunes et à sa professeure d’histoire et son professeur de mathématiques qui arrivent très bien à asseoir leur autorité. Il se peut cependant que pour certains professionnels de l’enseignement, il soit plus facile d’avoir peu d’élèves pour faire respecter les règles. Je pense par exemple à Damien quand il parle de son enseignante de biologie qui, en plus, débute dans le métier. Mais Damien explique ces difficultés par un manque d’autorité et d’expérience car il dit :

« [Les élèves ne font] rien de méchant, mais tout est prétexte à sortir du cours, on va partir sur un autre truc, changer de sujet, on va discuter sur des trucs qui n’auront rien à voir avec le cours, dès qu’il y aura le moindre petit truc on va s’écarter. Et puis elle, elle n’arrive pas à dire non. Enfin si elle essaye mais ça va durer deux minutes et après c’est reparti. » (p.35)

Il explique également que la matière est inintéressante et que cela complique la tâche de l’enseignante, « non disons qu’à la base déjà ce n’est pas intéressant comme cours, enfin le sujet et donc pour le rendre intéressant c’est très difficile et elle n’arrive pas. » (p.35). La matière pourrait donc être un facteur à prendre en compte concernant l’autorité des enseignants. Pour relativiser et interroger cette variable, je prends l’exemple de la professeure de mathématiques de Caroline qui, très motivée, essaye de faire aimer les mathématiques à ses élèves et y arrive. Je pense que le problème pour l’enseignante de Damien vient plus de sa manière de fonctionner qu’à la matière en soit, qui peut tout de même constituer une raison supplémentaire expliquant sa difficulté.

Damien, pour expliquer la difficulté de son enseignante de biologie, qui n’arrive pas à asseoir son autorité, prend la variable du nombre d’élèves auquel elle se trouve confronté, mais surtout le public auquel elle a affaire. Il dit « elle débute donc voilà et puis bon voilà en face d’elle elle a trente-cinq gars de 18-20 ans, elle arrive pas à imposer son autorité, je veux dire on la retourne, puff… » (p.35). Damien précise dans ses propos qu’elle doit faire face à 35 garçons. Pour lui, le sexe du public constitue une variable importante. Peut-être pense-t-il que si elle se trouvait face à une classe de filles ou à une classe mixte, elle aurait plus de facilité à faire son cours, faire respecter les règles et se faire écouter. Il pense peut-être que les filles sont plus calmes et mettraient moins à mal son autorité et son enseignement. Damien a

82 certainement intégré une représentation sociale, celle de dire que les garçons ont des comportements plus turbulents que les filles. Effectivement, cela rejoint les propos de Minuchin et Shapiro (1983), qui disent que les garçons sont vus comme plus perturbateurs et dissipés que les filles, par les enseignants. Or, les garçons décodent les attentes de leurs professeurs et parents par l’observation de leurs comportements et par les interactions qu’ils ont avec eux et le groupe de pairs. Comme le dit Le Maner-Idrissi (1997), les enfants prennent conscience des conduites qui sont attendues de leur part et s’y conforment. Damien a donc pris comme acquis le fait que les garçons sont plus perturbateurs que les filles et véhiculent cette représentation stéréotypée dans son discours. Nous pouvons donc finir en disant que le public auquel se trouve confronté l’enseignant est une variable qui entre en compte pour qu’il puisse asseoir son autorité.

5.5.2 Le public et les élèves, leur éducation, leurs parents

Le public auquel a affaire l’enseignant a un impact sur son autorité et l’agissement des élèves.

Pour Damien et ses enseignants, les jeunes qui suivent une filière professionnelle sont plus matures que ceux qui sont au collège, car pour eux le métier approche tandis que le collège ne constitue qu’une étape. Ils sont plus autonomes et aptes à travailler. Cependant quelque soit la filière, des élèves sont plus matures et plus responsables que d’autres. Certains vont plus essayer de transgresser les règles. Damien relève ce fait là, « ben pas des gens ou une classe sociale en particulier mais je veux dire chacun, dans ma classe par exemple il y en a avec qui, tu sais très bien ceux à qui il faut mettre, pas surveiller mais qui ont plus tendance à foutre le chenil que d’autres. » (p.34). A l’intérieur même d’un groupe de pairs de même sexe, certains sont plus indisciplinés. Chloé dit également que certains élèves mettent à mal l’autorité et la discipline de certains enseignants bien que celles-ci soit adéquates pour le reste de la classe.

Elle dit :

« Il faut que [l’enseignant] soit, je sais pas, car de toute façon qu’il soit strict ou je ne sais pas trop quoi ça déraille quand même dès fois donc dès fois ça dépend aussi des élèves parce que aussi les pauvres profs dès fois ils n’y peuvent rien. Enfin ça dépend. » (p.30)

Effectivement les jeunes sont tous différents et sont plus ou moins responsables et adultes.

Leur maturité dépend de leur éducation, de leur environnement social et de la représentation qu’ils ont de l’école. Les parents jouent un rôle concernant la vision que leurs enfants ont de l’école. Certains jeunes, selon leur éducation, vont la considérer comme importante pour

83 l’avenir et être attentifs en cours pour réussir leurs examens alors que d’autres n’en ont rien à faire. Comme le dit Viviane, ils vont parler pendant les cours, ne vont pas faire leurs devoirs.

Comme elle le soulève dans ces propos, le milieu socioculturel de la famille dans laquelle évolue l’élève a peut-être un impact. « Peut-être que leurs parents ont l’argent pour leur payer l’école privée après. (Rires). Non peut-être parce qu’ils ont vraiment de la facilité, ils n’ont pas besoin de, ils regardent leurs trucs deux minutes avant. » (p.19). Elle rigole après avoir dit ça et nuance son propos en rajoutant que la compréhension de certains élèves peut expliquer leurs bavardages incessants. Mais peut-être pense-t-elle tout de même que leur attitude irrespectueuse envers les enseignants et les autres élèves peut s’expliquer par la condition sociale et financière de leur famille. Les parents ont peut-être élevé leur enfant d’une telle manière qui fait que celui-ci adopte un comportement non adéquat en classe.

L’adolescent sait qu’il peut obtenir tout ce qu’il veut et qu’il vivra de toute façon de manière aisée toute sa vie, qu’importent ses résultats à l’école. Les propos d’Alice vont également dans ce sens :

« Bon ils ne sont pas tous riches mais euh bon il y en a qui sont vraiment blindés et tu te demandes si, enfin ils savent de toute façon qu’ils ne vont jamais être dans le besoin. Enfin je ne sais pas si c’est à cause de cela qu’ils n’en foutent pas une mais disons qu’ils ne se prennent vraiment pas pour (rires) n’importe qui. » (p.45)

Théo montre l’importance de l’attitude des parents vis-à-vis du comportement de leur enfant, il dit : « les parents ils savent que c’est pour ton avenir alors ils t’engueulent. Ce n’est pas pour te faire chier mais pour te faire réagir, c’est pour ton bien » (p.53). Le discours tenu par ses parents a eu pour lui un impact fort car il a arrêté de faire le « con », s’est calmé car il a pris conscience des enjeux de l’école et s’est mis à travailler.

5.5.3 La vision de l’école, la maturité des élèves et le discours des enseignants

Certains jeunes ont compris qu’ils devaient travailler et d’autres ne voient pas encore l’importance de l’école et des apprentissages pour leur futur. Tous les adolescents énoncent la différence entre leur comportement au cycle et celui des élèves en général ainsi que celui qu’ils ont actuellement. Caroline et Théo donnent comme exemple les devoirs. Caroline dit :

« On fait les devoirs parce qu’ils nous demandent de faire les devoirs, alors qu’au collège, on se dit on fait les devoirs comme ça on aura moins besoin de réviser pour les épreuves et du coup on aura de meilleures notes après car on aura plus de temps pour travailler. » (p.59)

84 Théo s’exprime ainsi : « Après à l’école professionnelle justement c’est toi qui y vas pour toi, donc tu te dis s’ils te donnent des devoirs, « ben ok c’est à toi de les faire ». Si tu ne les fais pas ils s’en foutent, c’est toi qui gères. » (p.53). Donc la mentalité des collégiens évolue et est différente de celle du cycle. Théo rajoute le fait qu’ils doivent se responsabiliser. Il annonce :

« Je trouve que cette école est beaucoup plus, on te prend moins pour un gamin. On te responsabilise, c’est à toi de voir. Déjà ce n’est pas obligatoire donc tu y vas ou tu n’y vas pas, c’est toi qui choisis. Après c’est à toi de voir tu prends la responsabilité d’y aller pour toi et pas pour les autres, pas pour faire le con ou emmerder tes profs. Donc je trouve que c’est beaucoup plus évolué. » (p.53)

De plus, Théo parle de son choix quant à son orientation au CEPTA. Il considère que d’avoir pu choisir sa branche constitue également une variable à prendre en compte quant à son attitude plus calme et respectueuse. Tandis que le fait que le cycle soit imposé aux adolescents et soit obligatoire, explique, pour lui, certains comportements irrespectueux. Il dit :

« [Les élèves] en n’ont rien à foutre de toi. Les profs ne peuvent rien faire, ça n’a pas tellement d’impact. Les élèves ne font rien, les gens se lèvent en classe vont voir les autres, la prof leur dit d’arrêter, de se rasseoir, rien à foutre, pas du tout disciplinés. Je suis là pour les amis, je ne suis pas là pour le prof. Au début c’est clair qu’on a tous fait ça. » (p.53)

Tous les jeunes interrogés disent que l’autorité d’un enseignant est encore plus malmenée au cycle qu’au collège et que le respect des règles est encore plus dur à gérer. Théo parle du fait que le système est obligé de garder les élèves et que certains en profitent. Il dit : « il y en a certains, tu as beau leur donner 20 ou 50 retenus, 30 renvois, ils n’en ont rien à foutre. J’ai un copain il a changé de cycle mais il continue, il n’en a rien à foutre. Il te vire et puis bon ben voilà tu continues ailleurs. » (p.53). L’adolescent dont parle Théo ne se rend pas compte des enjeux et il doit considérer l’école comme un jeu. C’est également le cas de Chloé : « je sais pas les cours c’est fait, non quand même c’est pas fait pour se marrer mais les gens aiment bien se marrer quand même. » (p.33). Les élèves s’amusent et trouvent drôle d’outrepasser les limites et de voir comment réagissent les enseignants. Ces derniers, même s’ils leur parlent comme à des adultes, ne peuvent rien faire car certains n’ont pas conscience de ce qui se joue et s’amusent.

Cependant les interviewés relèvent qu’il est important pour eux que leurs professeurs les considèrent comme des adultes et leurs parlent avec maturité. Les sujets interrogés se considèrent comme des êtres humains doués d’intelligence et de conscience avec lesquels la

85 discussion est possible. Le fait que certains enseignants en soient conscients constitue un élément bénéfique dans la construction de la relation. Comme dit Damien,

« Ben si il y en a un qui parle trop elle lui fout une brassée et elle le dégage du cours. Elle le renvoie. Et puis c’est beaucoup plus un discours d’adulte à adulte avec elle, elle te fait très bien comprendre que si tu es là c’est pour toi et que si tu n’as pas envie de bosser tu ne viens pas. En tout cas moi je sais que je suis plus réceptif à ce genre de discours. » (p.36)

5.5.4 L’âge de l’enseignant et le rapport de séduction

Joëlle parle de sa jeune enseignante et relève le rapport de séduction possible entre les élèves et leurs enseignants. Elle s’exprime ainsi :

« Ah ben là ça dépend. Si la femme est jeune et belle ce sera un avantage. Parce que je sais pas mais les garçons ils sont là, ouais, ils la regardent et se taisent. Ils viennent beaux, coiffés et tout. Et si par exemple, c’est un jeune homme beau et tout c’est les filles qui vont faire cela. » (p.6)

Joëlle pense que le physique et l’âge de l’enseignant pourrait avoir un impact sur le respect des règles et l’obéissance de certains élèves. Il est effectivement possible plaire à leur enseignante. Certains adolescents pour séduire leur professeur adoptent probablement des stratagèmes, comme celui de participer en classe ou d’écouter attentivement. Le rapport de séduction entre professeur et élèves peut donc avoir un impact sur les comportements en classe de certains jeunes.

Pour revenir à l’impact de l’âge, Joëlle dit qu’être jeune pour un enseignant constitue un avantage car celui-ci se trouve « proche » des adolescents. Par son âge, il peut facilement les comprendre. Cependant, être jeune se révèle être aussi un désavantage, dans le sens où les élèves peuvent prendre leur professeur comme un ami et ne gardent donc pas la distance et l’asymétrie nécessaire dans la relation. De plus, comme le dit Damien, une jeune enseignante ne peut ne pas avoir suffisamment de recul et d’expérience. Il donne l’exemple de sa professeure de biologie qui réalise sa première année d’enseignement et qui est quelque peu désarmée face aux comportements déviants des élèves. Son manque d’expérience et sa jeunesse ne l’aide pas à asseoir son autorité et à faire son cours correctement. On pourrait alors dire qu’avoir plusieurs années d’enseignement et être relativement âgé serait un avantage. Mais cela n’est pas le cas. Théo parle de son professeur d’informatique qui a la cinquantaine et qui n’est pas capable de faire respecter les règles et se faire obéir. Il dit « ben

86 il dit “arrêtez de parler“ mais bon on lui dit “écoutez monsieur votre cours il est nul“, on en a rien à foutre. Il dit “vous êtes là pour écouter“ et puis ben voilà. » (p.49). L’âge n’a donc pas d’impact mais c’est plus la manière de fonctionner et d’agir de l’enseignant, son caractère, le ton et l’attitude qu’il emploie qui jouera un rôle, pour les jeunes.

Toutes les variables relevées par les adolescents sont importantes et ont pour eux un impact sur le respect des règles par les élèves, leur obéissance et écoute. Les variables qui entrent en compte pour l’autorité d’un enseignant sont donc le nombre d’élèves, les élèves eux-mêmes, leur vision de l’école et leur maturité, leur éducation et leur environnement social, l’âge du professeur et le rapport de séduction, le fait d’avoir des parents qui suivent la scolarité de leurs enfants ou pas. Certaines variables peuvent se contester et dépendent vraiment du vécu, des expériences et des points de vue des adolescents. D’autres variables peuvent se rajouter dont les sujets interrogés n’ont pas parlées, comme le résultat scolaire. Effectivement comme le montre Bouchard et St-Amand (1996), plus les résultats scolaires des élèves sont bons plus ils vont se montrer respectueux envers les règles. Une autre variable est la culture de l’adolescent et son lieu de vie. Mais les sujets non pas cité cette variable car je pense qu’ils sont tous nés à Genève ou en France et non pas dans un pays qui a une culture bien différente de celle de la Suisse ou la France. Après avoir questionné les variables, je vais maintenant m’intéresser plus spécifiquement à la question des représentations liées au genre, afin de voir si le sexe de l’enseignant est une variable à prendre en compte quant à son autorité et à la mise en place de la discipline.