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IV. Cadre théorique

4.1 Sexe et genre :

4.1.1 La socialisation différenciée

La socialisation différentielle entre les sexes est un système qui maintient une double socialisation, soucieuse de préserver la différence sexuelle, et qui transmet des représentations stéréotypées. La société, c’est-à-dire les parents, les enseignants, les pouvoirs publics, les patrons d’entreprise ont des attentes et des attitudes différentes selon les sexes. Prenons l’exemple de parents de nouveau-nés. L’enfant avant même d’être né a un sexe, c’est-à-dire

28 que les parents constituent un milieu physique différent pour les garçons et pour les filles. Le sexe annoncé d’un enfant est prédictif des conduites des adultes et détermine leurs comportements, ils vont par exemple faire une chambre rose à leur fille ou bleue au garçon.

Comme le dit Duru-Bellat (2004),

« Dès la naissance de l’enfant, des pratiques éducatives différenciées se mettent en place, de manière très précoce et subtile, pratiques s’appuyant sur des attentes elles-mêmes sexuées, qui amènent à sur-interpréter les comportements de l’enfant et à les lire de manière particulière. » (p.115)

L’enfant se construit par rapport aux rôles sociaux qui sont assimilés à son sexe dès sa naissance. Les institutions ont des attentes et attitudes différentes. Les parents n’ont pas les mêmes interactions avec leur enfant selon son sexe et n’ont également pas les mêmes attentes, qui diffèrent pour permettre la conformité aux rôles sexués. Comme le dit Duru-Bellat (2004),

« dès la prime enfance, les parents manifestent des attentes différenciées selon le sexe de l’enfant, lisent leurs comportements et interagissent avec eux en conséquence, le tout n’étant pas sans effet sur le développement de l’enfant garçon ou fille. » (p.115).

Les enseignants se comportent aussi de manière différente envers les garçons et les filles. Ils s’attendent par exemple à ce que les filles soient plus calmes et réussissent mieux que les garçons, qui sont considérés comme plus indisciplinés et moins travailleurs. Comme le disent Minuchin et Shapiro (1983), « les enseignants ont un certain nombre d’attentes envers les enfants des deux sexes : […] ils s’attendent à ce que les garçons soient plus indisciplinés et aient davantage de problèmes d’apprentissage. » (Cité par Rouyer, p.120). Comme le montre Zaidman (1996), les enseignants attribuent de nombreuses qualités positives aux filles et donc à partir de ses qualités, comme le dit Acherar (2003),

« Dès l’école maternelle, les filles sont inscrites dans une dynamique interactionnelle dans laquelle domine le souci de réussite des garçons, qui sont non seulement plus souvent interrogés, mais qui vont aussi bénéficier de l’aide des adultes et de celle des filles. » (Cité par Rouyer, p.103)

De plus, comme le montre Fagot (1977), « les enseignants renforcent aussi les activités des enfants qui sont appropriés à leur sexe d’appartenance, et filles et garçons ne reçoivent pas les mêmes réponses lorsqu’ils adoptent des comportements de l’autre sexe. » (Cité par Rouyer, p.103). Ils vont par exemple, plus facilement ou rapidement, faire une remarque aux filles qui dérangent qu’aux garçons dont le comportement est aussi perturbateur mais plus

29 toléré car étant comme inhérent à leur genre. Ce comportement, souvent inconscient des enseignants est du aux renforcements des attentes et attitudes déterminées en fonction des caractères et qualités que le sens commun attribue aux filles et aux garçons. Comme le dit Le Maner-Idrissi (1997), « l’environnement social contraint l’enfant à adopter les comportements codifiés culturellement et spécifiques à l’un et l’autre sexe. Cette contrainte s’effectue sur la base de renforcements positifs et négatifs. » (p.26). Les enseignants encouragent et félicitent les filles si elles se comportent et se conduisent conformément aux attitudes attendues d’une fille et sera réprimandée si elle adopte des comportements codifiés comme masculins. Il en est de même pour les garçons. Comme le disent Minuchin et Shapiro (1983), « le comportement des filles et des garçons confortent les attentes de l’enseignant, et les attentes de l’enseignant maintiennent le comportement des enfants. (Cité par Rouyer, p.120). La socialisation différenciée s’inscrit donc dans un cercle vicieux duquel il est difficile de s’écarter et d’en sortir que ce soit pour les enseignants, les parents ou les différentes institutions. De plus, ces différentes attitudes des professeurs, parents envers leurs élèves ou enfants vont faire que garçons et filles ne vont pas développer le même rapport à l’autorité.

Effectivement, par les comportements différents qu’un enseignant effectue inconsciemment envers une élève et un élève, font que des derniers ne vont pas réagir de la même façon et vont adopter des attitudes différentes en fonction de l’autorité à laquelle ils se trouvent confrontés.

Les objets de socialisation sont aussi différents selon s’ils sont pour une fille ou un garçon.

Les parents ou la famille choisissent des jouets, des peluches ou des habits différents. Les distinctions entre les jeux selon les sexes sont flagrantes, il y a clairement des jeux destinés aux filles et d’autres aux garçons. La dînette, par exemple, qui d’ailleurs est souvent rose, couleur assignée aux filles, est un jeu très sexuée et véhiculant des représentations, ou encore les poupées. Les garçons, eux, jouent plus à des jeux de lego, de construction, de voiture. Ils ont des jouets qui occupent un espace moins restreint que ceux des filles et peuvent explorer plus facilement l’environnement qui les entoure. Leurs jeux sont plus variés et leur permettent un meilleur déplacement dans l’espace. Effectivement comme le montre Tap (1985),

« Les jeux offerts aux filles sont limités en nombre, tandis que ceux offerts aux garçons sont à la fois plus nombreux et davantage susceptible d’activités diversifiées : ils sont liés au mouvement, à la mécanique, à l’aventure, etc. […] A l’inverse, les jouets des filles se réduisent au domaine maternel ou domestique, et les amènent donc à se situer dans un espace beaucoup plus

30 restreint. Les jeux sont par ailleurs inégalement stimulants intellectuellement. » (Cité par Duru-Bellat, p.133)

Or, ces choix réalisés par la famille ont une influence sur le comportement de l’enfant pour déterminer son sexe.

Les professionnels de l’enseignement ou les parents vont également transmettre inconsciemment des stéréotypes de sexe à travers leurs interactions et leurs choix pédagogiques ou éducatifs. Comme le dit Rouyer (2007), « les enseignants transmettent aussi aux enfants un certain nombre de valeurs et de représentations liées aux rapports sociaux de sexe au travers des interactions qui se déroulent dans la classe. » (p.103). Certains enseignants, de manière inconsciente, proposent ou créent des exercices dans lesquels sont transmis aux élèves des images stéréotypées. Dans le livre de Lucas (2009), nous trouvons des exemples d’exercices appartenant à la mémoire scolaire ou vécue qui véhiculent les représentations. Effectivement,

« Voici un extrait d’un cahier d’un élève du cours élémentaire, daté du lundi 16 novembre 19533, qui permet de mesurer le rôle prégnant de l’Ecole dans la constitution de l’identité, à travers une éducation résolument sexuée.

Morale

C’est à la maison que la petite fille doit faire l’apprentissage de sa future tâche de ménagère.

Dictée

Jeanne aide sa maman. Jeanne s’agenouille sur le tapis et avec un chiffon de laine, elle frotte les pieds de la table. Bientôt le meuble brille elle balaie (à) barrée par l’institutrice la salle à manger et la cuisine maman embrasse son enfants (faute corrigée) et lui dit merci, Jeanne, tu es une bonne petite ménagère. Bien dans la marge.

Ou comment conditionner aux comportements et aux fonctions traditionnelles de la femme… » (pp.110-111)

Aujourd’hui encore des enseignants créent ou utilisent des feuilles d’exercices dans lesquelles se trouvent des phrases ou des illustrations qui transmettent des représentations stéréotypées.

L’inconscience de ces phénomènes chez les enseignants montre l’ancrage des stéréotypes dans leur construction et identité. Je prends aussi l’exemple des albums de jeunesse dans lesquels les images sexistes subsistent et perdurent, ce qui montre l’ancrage des

3 Document personnel, fautes conservées.

31 représentations dans les mœurs et dans notre éducation. Lorsque les parents ou enseignants racontent une histoire aux enfants, ils véhiculent des représentations sur les rôles sociaux assignés aux femmes et d’autres aux hommes. Dans le livre « Chhht ! », de Sally Grindley, qui nous raconte l’histoire d’un géant, nous voyons sa femme en tablier et au fourneau pendant que lui fait une sieste. Le rôle de la maman et donc de la femme est de préparer à manger dans la cuisine pour sa famille, tandis que le rôle du père est de se reposer après une dure journée de travail. On ne se rend pas toujours compte en tant que parents, professionnels éducatifs ou pédagogues que de telles images sont véhiculées et si courantes dans notre vie.

Anne Dafflon Novelle (2002) traite d’une recherche qui examine les représentations du masculin et du féminin véhiculées dans la littérature et la presse enfantine de publication récente. Elle relève par exemple qu’il y a un nombre plus importants d’héros que d’héroïnes ou encore que les femmes ou les filles sont plus souvent représentées à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur, dans un lieu privé plutôt que public, dans des attitudes plus passives qu’actives, à l’opposé des hommes et garçons. Or, ce sexisme présent dans la littérature enfantine à des effets sur le développement des enfants et leur identité. Par exemple, les professions exercées par les femmes dans les livres pour enfants servent de modèles aux jeunes lectrices. Or, l’éventail des métiers effectués par les femmes n’est pas grand.

L’école incarne donc un paradoxe ; elle est à la fois vecteur d’égalisation des sexes, en effet dans les treize priorités du DIP, Charles Beer4, énonce celle d’avoir : « une politique volontariste en faveur de l’égalité entre filles et garçons. » ; mais participe en même temps à la construction des différences entre les sexes. L’école en tant qu’institution a un impact fort dans la construction des rôles sociaux de sexe. Une autre institution : l’armée et le service militaire, est un exemple déterminant qui montre la constitution d’une école à dominance masculine.

Cependant certains auteurs sont conscients des représentations sexuées qui sont véhiculées dans les livres et essayent d’écrire des albums de jeunesse plus équitables et moins stéréotypés. Ils vont montrer par exemple un papa qui porte le tablier et fait la cuisine, comme dans le livre de Mireille d’Allancé : « Grosse colère ». Ce livre reflète ce qui peut se passer dans la réalité. En effet aujourd’hui ce ne sont plus seulement les femmes qui préparent à manger et portent le tablier. « L’imagier renversant », album de jeunesse, a été créé par

4 Conseiller d’Etat chargé du département de l’instruction publique.

32 Sébastien Telleschi, pour permettre aux filles de voir que tous métiers leurs sont accessibles et pour montrer que hommes et femmes peuvent faire les mêmes tâches, qu’il est possible que l’homme passe l’aspirateur et que la femme fasse de la moto. D’autres livres qui portent le logo lab-elle5, sont écrits pour faire réagir aux stéréotypes de sexe, pour rendre attentifs aux potentiels féminins et pour obtenir une égalité dès l’enfance. Sur la page de couverture des livres qui possèdent le logo lab-elle, il est écrit :

« Nous trouvons des héros qui peuvent être des héroïnes, des mamans qui sont des femmes d’aujourd’hui et des hommes qui sont des papas modernes, et les filles ne sont pas au bois dormant et les garçons ne sont pas les seuls à chasser le dragon. » (page de couverture) Certains professionnels de l’enseignement ou parents essayent d’adopter une pédagogie de l’équité envers les filles et les garçons, d’être vigilants à leurs attitudes envers les enfants. Les enseignants peuvent utiliser par exemple, dans leur classe, des albums de jeunesse qui ont le logo Lab-elle afin de parler des représentations liées au genre et de bousculer certains stéréotypes. Il est essentiel que tout enseignants, éducateurs, professionnels et parents soient attentifs aux représentations qu’ils véhiculent et essayent de les faire évoluer chez les enfants.

En effet, ces derniers se construisent en fonction de leurs interactions, de ce qu’ils observent et en fonction de cela, ils créent leur identité sexuée.