• Aucun résultat trouvé

Variabilités métaboliques

Dans le document en fr (Page 53-56)

L’étude des évolutions globales au niveau des génomes complets ou des populations de génomes a considérablement étendu notre vision de l’arbre du vivant et des rôles écologiques relatifs à chaque environnement (Anantharaman et al. 2016 ; Hug et al. 2016 ; Adam et al. 2017 ; Jungbluth et al. 2017a). De plus, des évolutions plus fines des génomes au niveau des voies métaboliques ou de la structure des enzymes peuvent avoir une implication importante dans la biosphère profonde. Ainsi, l’étude de la présence de gènes homologues (séquences nucléotidiques différenciées par spéciation, duplication ou HGT mais partageant une origine évolutive commune) et de leur distribution permet de caractériser l’origine de certaines voies métaboliques ainsi que leur évolution et potentiellement d’identifier de nouvelles voies encore non décrites.

Les études (méta)génomiques de la subsurface et de ses variabilités métaboliques au travers des gènes homologues et des contenus génétiques ont apporté une nouvelle vision du domaine des archées et ont permis d’élucider leur diversité, leur écologie et leur évolution (Hug et al. 2016 ; Adam et al. 2017). La transition évolutive d’un mode de vie anaérobie vers des métabolismes aérobies a été démontrée chez les Thaumarchaeota (Adam et al. 2017 ; Ren et al. 2019). Ces archées ont par ailleurs une importance écologique sur le cycle de l’azote, encore peu décrit en subsurface (Adam et al. 2017 ; Ren et al. 2019). Une nouvelle voie métabolique impliquant la réduction des nitrites NO2-en monoxyde d’azote NO par l’enzyme codée par le gène nirK, connue pour son implication dans la dénitrification, a ainsi été proposée pour l’oxydation aérobie de l’ammoniaque (NH3) par les Thaumarchaeota (Kozlowski et al. 2016). Ces approches ont également permis de montrer qu’au sein des lignées d’archées, la méthanogenèse, comprenant désormais méthanogenèse hydrogénotrophique, acétoclastique et méthylotrophique, est un métabolisme plus répandu et plus diversifié qu’initialement suggéré (Lloyd 2015 ; Borrel et al. 2016 ; Lever 2016 ; Mayumi et al. 2016 ; Adam et al. 2017). En revanche, de nouvelles voies ont été suggérées pour la méthanogenèse à partir de composés méthylés ou de courtes chaînes d’alcanes (Mayumi et al. 2016 ; Borrel et al. 2019), ce qui peut avoir une importance biologique non négligeable en subsurface où ces molécules peuvent être abondantes et produites abiotiquement (Andreani et Ménez 2019). A noter toutefois que les ANME possèdent également les gènes clés de la méthanogenèse, notamment les gènes codant pour la méthyl-coenzyme A réductase (Timmers et al. 2017). De plus, la méthanogenèse serait un

métabolisme ancestral chez les archées qui aurait fortement évolué depuis son apparition (Liu et al. 2012 ; Borrel et al. 2016). Notamment, la méthanogenèse couplée à la voie de Wood-Ljungdahl, métabolisme important pour la production d’énergie et la fixation du carbone, ne semble être représenté que chez certaines lignées d’archées et l’évolution de celles-ci a pu conduire à la perte de l’une ou l’autre de ces voies (Borrel et al. 2016).

La voie de Wood-Ljungdahl, impliquée dans l’acétogénèse autotrophique, est composée de deux branches (Figure 1.6A). La branche du carbonyle est partagée entre les bactéries et archées (à l’exception de deux gènes, chacun spécifique d’un domaine) et met en jeu le complexe enzymatique CO déshydrogénase/acétyl-CoA synthase (CODH/ACS). Les gènes codant pour les enzymes du complexe CODH/ACS sont homologues entre les archées et les bactéries et (Figure 1.6B ; Adam et al. 2018). Toutefois, des clusters hybrides de type archées/bactéries ont été observés chez les bactéries (Suzuki et al. 2018) suggérant une évolution de la branche du carbonyle. Ainsi, les gènes codant pour la CODH de type archée auraient pu être acquis par HGTs chez certaines bactéries (Adam et al. 2018 ; Suzuki et al. 2018). De plus, la branche du méthyle est en théorie distincte entre les bactéries et les archées (Adam et al. 2018). Curieusement, la branche du méthyle des archées (utilisant la tétrahydrométhanoptérine, H4MPT) est partagée avec les bactéries méthylotrophes aérobies (Adam et al. 2019). Ces dernières auraient ainsi pu acquérir cette voie essentielle pour l’oxydation du méthyle et du méthane par transfert horizontal des gènes depuis les archées (Adam et al. 2019).

Un autre exemple d’évolution bactérienne intéressant, lié aux environnements de subsurface, est celui des similitudes et différences entre Candidatus Desulforudis audaxviator et Candidatus Desulfopertinax cowenii. Ces deux espèces de Firmicutes ont été respectivement identifiées dans des fluides de fractures profondes en Afrique du Sud et sur le flanc de la dorsale Juan de Fuca (« Juan de Fuca Ridge », JdFR, 48°N ; Jungbluth et al. 2017a) à partir de fluides hydrothermaux. Elles possèdent des métabolismes et fonctions leur permettant de se développer en subsurface, incluant l’hydrogénotrophie, la sulfato-réduction, la motilité, la formation de spores et la fixation du carbone aussi bien par hétérotrophie que par la voie de Wood-Ljungdahl. Cependant, Ca. D. cowenii possède en plus la faculté de métaboliser certains sucres (Jungbluth et al. 2017a) ce qui peut correspondre à une adaptation à l’environnement marin comparé à la subsurface terrestre où la nature de la matière organique disponible diffère (Lang et al. 2019).

Figure 1.4: Voie réductrice de l’acétyl-CoA, ou voie de Wood-Ljungdahl, chez les bactéries et les archées et variations de l’organisation du cluster génétique codant pour le complexe enzymatique CO déshydrogénase/acétyl-CoA synthase (CODH/ACS), responsable de la réduction successive du CO2en monoxyde de carbone CO lui-même converti en acétyl-CoA. (A) La branche du carbonyle est commune aux deux domaines alors que la branche du méthyle varie entre archées (H4MPT) et bactéries (THF). (B) Structure du cluster de gènes codant pour les enzymes du complexe CODH/ACS de la branche du carbonyle chez différents microorganismes. Methanosarcina barkeri et Clostridium ljungdahlii sont les représentants respectifs des archées (gènes identifiés en vert) et des bactéries (gènes identifiés en bleu). Unc8 (membre du phylum candidat NPL-UPA2), Candidatus Desulforudis audaxviator et Chloroflexi bacterium RGB 13-51-36 possèdent des clusters hydrides. Modifié de Adam et al. (2018) et Suzuki et al. (2018). H4MPT, tétrahydrométhanoptérine ; THF, tétrahydrofurane ; bp, paires de bases.

L’évolution des génomes microbiens a donc une importance directe sur les métabolismes et sur les cycles biogéochimiques et est dépendante de l’environnement. En particulier, les exemples cités ci-dessus ont un intérêt certain pour la compréhension du fonctionnement de la biosphère profonde et le cycle du carbone en subsurface.

Dans le document en fr (Page 53-56)