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Cycle biogéochimique du carbone associé à la serpentinisation

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La méthanogenèse hydrogénotrophique est un métabolisme favorable en présence de H2et dans des conditions réductrices, mais est potentiellement limitée dans les écosystèmes serpentinisés de pH ultrabasique hyperalcalin impliquant un déficit en CO2 dissout (Schrenk et al. 2013). Le gène mcrA codant pour la sous unité alpha de la méthyl-coenzymeA réductase impliquée dans la dernière étape de la méthanogenèse est généralement considéré comme le gène clé de la méthanogenèse (Juottonen et al. 2006 ; Dziewit et al. 2015). Il est toutefois également retrouvé chez les ANME (Borrel et al. 2019). Le gène mcrA a ainsi permis d’identifier des méthanogènes et/ou ANME appartenant principalement aux Methanosarcinales à Lost City (Kelley et al. 2005), Prony (Quéméneur et al. 2014), et des ANME-1 et ANME-3 à CVA (Tiago et Veríssimo 2013). Les groupes taxonomiques de méthanogènes diffèrent considérablement à Rainbow et Ashadze. Elles y sont représentées par des Methanococcales et Methanopyrales (Roussel et al. 2011). A l’exception du gène hmd (codant pour la méthylènetétrahydrométhanoptérine déshydrogénase) peu représenté chez les méthanogènes, l’ensemble des gènes impliqués dans les différentes voies de la méthanogenèse (i.e. hydrogénotrophique, acétoclastique, méthylotrophique ou à partir de formiate) a été détecté dans les métagénomes de Voltri (Alpes italiennes ; Brazelton et al. 2017) et Santa Elena (Costa Rica, Crespo-Medina et al. 2017) où ils sont respectivement

affiliés à des Methanobacteriaceae et Methanosarcinales et des ANME-1. Dans ces deux sites, la méthanogenèse hydrogénotrophique est limitée aux communautés planctoniques des sources. Récemment, une étude métagénomique et métatranscriptomique des communautés microbiennes à Von Damm a démontré une forte expression du gène mcrA (Galambos et al. 2019). De plus, cette étude révèle que les communautés de méthanogènes et ANME se distinguent entre les cheminées, les plus riches en H2 et méthane étant principalement colonisées par des méthanogènes du genre Methanococci alors qu’à l’inverse les ANME du genre Methanomicrobia se limitent aux cheminées moins riches en H2et en CH4(Galambos et al. 2019).

L’incubation de d’échantillons de cheminées hydrothermales avec des substrats marqués au 13C a suggéré que les Methanosarcinales de LCHF seraient capables de réaliser à la fois la méthanogenèse et l’oxydation du méthane en anaérobiose (Brazelton et al. 2011). Toutefois, la voie métabolique utilisée pour la méthanogenèse demeure énigmatique car la concentration en DIC à LCHF est faible du fait du pH basique ce qui exclut potentiellement la méthanogenèse hydrogénotrophique. Les LCMS sont de plus potentiellement incapables d’utiliser le formiate car elles ne possèdent pas de gène codant pour les transporteurs transmembranaires spécifiques au formiate, à savoir fdhC ou focA (Lang et al. 2018 ; McGonigle et al. 2019). Le formiate étant une source de carbone abondante à LCHF (Lang et al. 2010), il a ainsi été proposé que l’oxydation du formiate pourrait être réalisée par d’autres microorganismes (Figure 1.16) tels que les Firmicutes sulfato-réducteurs (Lang et al. 2018), les Chloroflexi ou les Epsilonproteobacteria (McGonigle et al. 2019) qui possèdent tous trois le gène fdhA codant pour la formiate déshydrogénase. L’oxydation du formiate fournirait ainsi le CO2 nécessaire aux LCMS pour la méthanogenèse hydrogénotrophique ou aux autres microorganismes autotrophes. De plus, le gène codant pour l’acétyl-CoA synthase a été associé aux LCMS à LCHF ce qui suggère que la méthanogenèse pourrait être couplée à la voie de Wood-Ljungdahl (Borrel et al. 2015). Outre les métabolismes liés au CH4, les LCMS possèdent également le gène nifH codant pour la nitrogénase impliquée dans la fixation du N2

(Brazelton et al. 2011). Ce métabolisme étant inhibé en présence d’oxygène, les LCMS pourraient ainsi présenter divers rôles écologiques dans les niches anoxiques des cheminées.

Outre les Methanosarcinales, les cheminées moins actives de LCHF sont riches en bactéries méthylotrophes (incluant des méthanotrophes) aérobies (Brazelton et al. 2006). Les gènes clés de l’oxydation aérobie du méthane sont pmoABC et mmoXYBZDC codant respectivement pour la méthane monooxygénase particulaire et soluble. Dans les sources du

massif de Voltri, l’oxydation aérobie du méthane a été attribuée à la famille des Methylococcaceae (Brazelton et al. 2017). Leur présence dans les fluides fortement basiques mais dans des zones à l’affleurement suggère une adaptation aux interfaces entre les fluides de subsurface riches en CH4 et les eaux de surface fournissant l’oxygène en petite concentration (Brazelton et al. 2017). La méthanotrophie aérobie pourrait également jouer un rôle écologique important dans les zones d’interfaces de l’aquifère de CROMO (Seyler et al. 2019) en plus de l’oxydation du formiate, le CH4et le formiate étant potentiellement des sous-produits de la synthèse abiotique induite par la serpentinisation dans ce site.

Figure 1.16: Représentation schématique des interactions syntrophiques basées sur l’utilisation du formiate et la production de CO2dans les cheminées actives de LCHF. Le formiate, sous-produit de la synthèse abiotique induite par de la serpentinisation, est oxydé en CO2 dissous par des bactéries potentiellement sulfato-réductrices et est alors disponible pour les microorganismes autotrophes tels que les LCMS. De plus, les intrusions d’eau de mer peuvent enrichir les fluides en DIC dans certaines niches externes de la cheminée. Enfin, la fixation du formiate sous forme de biomasse peut fournir des molécules organiques pour les hétérotrophes (Lang et al. 2018).

Comme précédemment évoqué, l’une des contraintes majeures des habitats serpentinisés est la limitation en DIC. Le CO2sous forme d’ions carbonate en conditions de pH élevé réagit avec les ions Ca2+ libérés lors de la réaction de serpentinisation et précipite sous forme de carbonates de calcium (Barnes et al. 1978 ; Kelley et al. 2005 ; Schrenk et al. 2013). Il est

alors indisponible pour les chimiolithoautotrophes. Les souches isolées du genre

Serpentinomonas sont capables de croître à partir de carbonates de calcium, y compris en

présence de bicarbonate (Suzuki et al. 2014). Seuls les gènes impliqués dans la voie de CBB sont présents dans le génome de ces microorganismes, indiquant qu’il s’agit de la voie privilégiée de fixation du carbone inorganique chez ces microorganismes. Cette voie a également été détectée et est exprimée dans les fluides basiques profonds de CROMO (Twing et al. 2017 ; Seyler et al. 2019). Dans les métagénomes de LCHF, les gènes codant pour la RuBisCO type I ont été détectés (Brazelton et Baross 2010). Cette forme de la RuBisCO est exprimée pour de faibles concentrations en CO2 (Berg 2011). Le génome de Thiomicrospira

crunogena XCL-2 abondant dans les parties externes des cheminées actives de LCHF inclut

le gène codant pour ce type de RuBisCO (Brazelton et Baross 2010 ; Scott et al. 2018a). En revanche, la forme II de la RuBisCO est absente des métagénomes de LCHF. La présence additionnelle des gènes codant pour les carboxyzomes, des compartiments cellulaires permettant de concentrer le CO2et de promouvoir sa fixation, indique que les Thiomicrospira

crunogena XCL-2 sont adaptés à des environnements pauvres en CO2 (Brazelton et Baross 2010). Le gène codant pour la RuBisCO forme I a par ailleurs été détecté dans les sources de l’ophiolite de Tablelands associé à des Betaproteobacteria anaérobies facultatives également susceptibles d’oxyder le H2et le CO (Brazelton et al. 2012). En plus des LCMS (Brazelton et al. 2012), le gène codant pour l’ACS (acsB), impliquée dans la fixation autotrophique du carbone par la voie de Wood-Ljungdahl, est également abondant dans les fluides de pH élevé (Figure 1.17) de CROMO (Twing et al. 2017) et dans l’ophiolite de Tablelands (Brazelton et al. 2012) où il est affilié au genre Dethiobacter des Clostridia. En revanche les gènes du complexe CODH/ACS à Voltri sont attribués à une Deltaproteobacteria de l’ordre des Desulfovibrionales (Brazelton et al. 2017). Ainsi, malgré la limitation en CO2dans les fluides ultrabasiques associés à la serpentinisation, les métabolismes autotrophes sont tout de même représentés.

La question de l’utilisation du CO en tant que pouvoir réducteur ou source de carbone dans les écosystèmes serpentinisés reste ouverte, mais il existe plusieurs évidences de son importance écologique. En effet, dans les environnements de basse température influencés par un taux de serpentinisation modéré, pauvre en CO2 du fait d’un pH élevé et limité en H2

consommé rapidement par les communautés microbiennes en subsurface, l’utilisation du CO peut être une stratégie métabolique intéressante (Schrenk et al. 2013). De plus, l’oxydation du

CO ou sa fixation par la voie de Wood-Ljungdahl ne nécessite ni CO2 ni H2 et est énergétiquement favorable à température basse à modérée (20-40°C) (Lever et al. 2012). Le gène coxL codant pour la Mo-CODH a été détecté dans l’ophiolite de Tablelands où il a été affilié aux Betaproteobacteria (Brazelton et al. 2012). Ce type de CODH est spécifiquement associé à la carboxydotrophie aérobie (c’est à dire l’oxydation aérobie du CO). Expérimentalement, Morrill et al. (2014) ont en effet démontré que le CO est une source d’énergie favorable dans l’ophiolite de Tablelands, mais qu’il n’est en revanche pas fixé sous forme de biomasse. Ce gène a également été identifié dans les fluides alcalins de CROMO, mais est absent dans les fluides ultrabasiques (Twing et al. 2017). Fones et al. (2019) ont réalisé récemment des incubations d’eaux souterraines de l’ophiolite de Samail avec des substrats marqués isotopiquement afin de tester l’utilisation biologique du CO et du formiate. Ces données expérimentales couplées à des analyses métagénomiques ont permis de démontrer que la Mo-CODH est plus abondante dans les fluides moins réduits et moins basiques alors qu’à l’inverse la Ni-CODH (CODH anaérobie codée par le gène cooS ou cdhA) est significativement plus abondante dans les fluides de pH ultrabasique (Fones et al. 2019). De plus, la proportion de formiate et CO assimilée sous forme de biomasse est plus importante dans les fluides hyperalcalins que dans les fluides alcalins, suggérant une adaptation physiologique des communautés microbiennes à la limitation en carbone associée à la serpentinisation de basse température et au pH élevé de l’ophiolite d’Oman (Fones et al. 2019). Par ailleurs, bien qu’aucune hydrogénase n’ait été identifiée dans le génome reconstruit du phylum candidat NPL-UPA2 de The Cedars, les gènes codant pour le complexe CODH/ACS de la voie de Wood-Ljungdahl sont fortement exprimés par cette bactérie (Suzuki et al. 2018). Les auteurs ont ainsi émis l’hypothèse que ce groupe réaliserait l’acétogenèse autotrophique à partir du CO. Ce métabolisme ne requérant pas de CO2ou H2, l’utilisation du CO pourrait être une stratégie métabolique particulièrement intéressante dans les environnements serpentinisés où le CO comme le formiate peuvent être synthétisés abiotiquement (Andreani et Ménez 2019). Les phylotypes du phylum candidat NPL-UPA2 retrouvés à The Cedars ont également été observés à PBHF et LCHF (Postec et al. 2015 ; Suzuki et al. 2018) ce qui pourrait permettre de généraliser cette observation.

Malgré les concentrations relativement élevées (Tableaux 1.2 et 1.3) en alcanes et acides organiques de faible poids moléculaire (Lang et al. 2010 ; Lang et al. 2019) et potentiellement en CM et PAHs, les métabolismes hétérotrophes (au-delà de la méthanotrophie et de

l’assimilation du formiate) et la fermentation restent peu étudiés dans les écosystèmes serpentinisés (Schrenk et al. 2013). Toutefois, un certain nombre de bactéries hétérotrophes alcaliphiles a été isolé des cheminées hydrothermales de PBHF (e.g. Mei et al. 2016b ; Ben Aissa et al. 2015 ; Bes et al. 2015), des sources de l’ophiolite d’Oman (e.g. Bath et al. 1987) et de l’aquifère profond de CVA (e.g. Tiago et al. 2004, 2005, 2006). Un nouvel alcaliphile hétérotrophe de la classe des Gammaproteobacteria capable de croître jusqu’à un pH de 12,4 a également été isolé du mont sous-marin Chamorro et est présent dans différents sites du bassin avant-arc des Mariannes (Takai et al. 2005). Enfin, des hétérotrophes potentiels semblent dominer dans les roches de l’ophiolite de Leka et seraient potentiellement soutenus par la production abiotique de carbone organique (Daae et al. 2013). Ces résultats témoignent donc de la possible importance écologique des métabolismes hétérotrophes dans les écosystèmes serpentinisés.

Enfin, une comparaison exhaustive des métagénomes issus d’environnements serpentinisés a souligné l’enrichissement dans ces environnements de l’ensemble des gènes codant pour les enzymes impliquées dans une voie de dégradation des phosphonates (Frouin 2018). Cette voie permettrait aux microorganismes d’obtenir du phosphore dans les environnements pauvres en phosphore inorganique. De plus, l’activité de la carbone-phosphate lyase impliquée dans ce métabolisme conduit à la production d’alcanes tel que le méthane (Frouin 2018). Les gènes codant pour cette enzyme sont principalement affiliés aux Clostridia, Alpha- et Betaproteobacteria. Cependant, la source des phosphonates dans les systèmes serpentinisés reste énigmatique. L’enrichissement de la carbone-phosphate lyase et son implication possible dans la production biotique du CH4souligne toutefois la nécessité d’explorer plus amplement l’importance écologique des communautés microbiennes sur les cycles biogéochimiques dans les écosystèmes serpentinisés.

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