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Métabolismes du soufre, de l’azote et du fer

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Comparée aux systèmes continentaux et eaux météoriques associées, l’eau de mer est particulièrement enrichie en sulfates qui représente un accepteur d’électrons potentiel pour les SRB dans les zones d’interface avec les fluides réduits riches en H2 dérivé de la serpentinisation (Schrenk et al. 2013). C’est le cas notamment pour les sites hydrothermaux océaniques ultramafiques. Les espèces réduites du soufre comme le H2S/HS-/S2- et ses

intermédiaires plus oxydés produits en subsurface par l’activité des microorganismes ou abiotiquement par le magmatisme ou les réactions eau-roche peuvent précipiter sous forme de minéraux (Alt et al. 2013 ; Schwarzenbach et al. 2016). Dans les ophiolites, la dissolution des roches mafiques et ultramafiques et des minéraux sulfurés qu’elles contiennent peut ainsi enrichir les fluides en espèces du soufre disponibles pour les microorganismes.

Les premières évidences de la présence de sulfato-réducteurs dans les systèmes serpentinisés viennent de l’isolement de microorganismes à partir des fluides émanant au niveau de sources de l’ophiolite de Samail (Bath et al. 1987). Par la suite, une potentiel réduction bactérienne des sulfates a été supposée de par la présence ou l’absence de groupes taxonomiques comme les Deltaproteobacteria connus pour être impliqués dans la sulfato-réduction (Schrenk et al. 2013). Depuis, les gènes marqueurs codant pour la sulfite réductase dissimilatrice (dsrAB) et pour l’adénosine 5'-phosphosulfate réductase (aprAB) ont été utilisés. La sulfato-réduction a ainsi été détectée à basse température (5 à 8°C) dans les tapis microbiens associés aux cheminées de carbonates de LCHF où les gènes dsrAB détectés sont affiliés au genre Desulfotomaculum (Gerasimchuk et al. 2010). D’autre part, la sulfato-réduction a été mise en évidence dans les péridotites serpentinisées de l’Atlantis Massif par des analyses isotopiques (Delacour et al. 2008b). Dans l’aquifère profond du site QV1.1 (pH 11,5) de l’ophiolite de CROMO, les gènes aprA et dsrA sont particulièrement abondants par rapport aux autres puits de forage (Figure 1.17) et sont affiliés principalement aux Thermoanaerobacterales, potentiellement des SRB anaérobies chimiolithoautotrophes alcaliphiles et acétogènes, et au genre Dethiobacter potentiellement anaérobie hydrogénotrophe et susceptible de réduire les thiosulfates, polythionates ou le soufre élémentaire (S0; Twing et al. 2017).

Figure 1.17: Abondance normalisée des gènes clés codant pour des protéines impliquées dans les métabolismes potentiellement associés à la serpentinisation dans les métagénomes des aquifères profonds de CROMO (Twing et al. 2017). Une relation forte avec le pH a ainsi été montrée. mxaF, methanol déshydrogénase ; acsB, acétyl-CoA synthase ; rbcL, RuBisCO ; coxL, Mo-CODH (aérobie) ; cooS, Ni-CODH (anaérobie) ; aprA, adénylyl sulfate réductase ; dsrA, sulfite réductase dissimilatrice.

En revanche, les potentielles SRB détectées à PBHF par réaction en chaîne de la polymérase (PCR) quantitative sur le gène dsrB sont associées aux Deltaproteobacteria du genre Desulfonatronum et représenteraient environ 5% des communautés microbiennes des cheminées hydrothermales (Postec et al. 2015). Les espèces de ce genre, isolées du lac ultrabasique de Soda en Mongolie, sont essentiellement des SRB alcaliphiles capables de réduire les sulfates ou le thiosulfate (Pérez Bernal et al. 2017). Elles peuvent également dismuter le thiosulfate ou les sulfites en sulfates et sulfure. Ce métabolisme n’est pas propre aux SRB et a été identifié chez certains Dethiobacter également suggérant un potentiel rôle écologique intéressant de ces SRB dans ce type d’environnement. Fones et al. (2019) ont également rapporté un enrichissement du gène asrA impliqué dans la réduction anaérobie des sulfites dans les fluides profonds ultrabasiques de l’ophiolite de Samail.

Comparé à la sulfato-réduction, l’oxydation des sulfures est beaucoup moins considérée dans les écosystèmes serpentinisés. Comme mentionné ci-dessus, les SOB du genre

Thiomicrospira colonisent les interfaces oxiques/anoxiques des cheminées hydrothermales

d’oxyder les sulfures en utilisant le système SOX (pour « sulfur oxidation »). Bien que les

Thiomicrospira pourraient bénéficier du HS-produit par les SRB dans les cheminées de Lost City (Brazelton et al. 2006), des analyses de génomique comparative suggère qu’elles sont également abondantes dans les sites hydrothermaux océaniques, y compris ceux qui reposent sur des roches mafiques, et ne sont donc pas spécifiquement associées à la serpentinisation (Brazelton et Baross 2010 ; Scott et al. 2018b).

Les métabolismes associés aux composés azotés sont bien moins étudiés et compris dans les systèmes serpentinisés comme dans la biosphère profonde en générale (Magnabosco et al. 2019). En effet, le nitrate et l’ammonium ainsi que leurs dérivés sont en général peu concentrés dans les fluides profonds.

Comme mentionné précédemment, les Methanosarcinales de Lost City possèdent probablement le gène nifH impliqué dans la fixation du N2 (Brazelton et al. 2011). Ce métabolisme serait particulièrement favorable en conditions fortement réductrices comme celle régnant à Lost City car la nitrogénase est sensible à la présence d’oxygène. Plus récemment, il a été démontré que le gène nifH est présent dans les métagénomes issus de nombreux sites continentaux (notamment CVA, CROMO, Voltri et Santa Elena) et océaniques (incluant LCHF et les cheminées immergées de PBHF) (Frouin 2018). Ce résultat suggère que la fixation du N2pourrait être un phénomène sous-évalué et qu’il ne se limiterait pas uniquement aux environnements océaniques profonds comme proposé par Brazelton et al. (2011). La comparaison menée par Frouin (2018) montre également la présence des gènes

napA, narG et nrfA impliqués dans la réduction dissimilatrice du nitrate dans la plupart des

écosystèmes serpentinisés. Contrairement à la dénitrification dont les produits intermédiaires sont toxiques, la réduction dissimilatrice du nitrate produit de l’ammonium qui peut servir de donneur d’électrons pour d’autres microorganismes tels que certaines Thaumarchaeota retrouvées dans plusieurs environnements serpentinisés (Daae et al. 2013 ; Quéméneur et al. 2015 ; Rempfert et al. 2017). Xie et al. (2011) ont également identifié le gène nrfA à Lost City, ainsi que les gènes nirK et nirS impliqués dans la réduction du nitrite. Ces deux derniers gènes sont typiquement utilisés comme marqueur de la dénitrification. Cependant, le gène

nirK a également été retrouvé chez certaines Thaumarchaeota réalisant l’oxydation aérobie de

l’ammonium dépendante du NO produit par la réduction du nitrite (Kozlowski et al. 2016). Par ailleurs, la présence ubiquiste des gènes nirS et narG dans l’ensemble des suintements de gaz de l’ophiolite Chimaera en Turquie indique que la réduction du nitrate et du nitrite

(dissimilatrice ou via la dénitrification) est prédominante dans ce système (Meyer-Dombard et al. 2014).

La réduction du fer ferrique est un métabolisme peu étudié dans les écosystèmes serpentinisés. En effet, la réduction ou l’oxydation du fer dépend du pH. Or, dans les conditions très réductrices et basiques associées à la serpentinisation, le fer est principalement sous la forme Fe2+ et la réduction du fer ferrique (sous forme d’oxydes de fer) n’est donc pas un métabolisme probable (Meyer-Dombard et al. 2018). Le Fe2+ peut toutefois être rapidement oxydé en présence d’O2comme dans les interfaces entre fluides réduits d’origine profonde et fluide oxydé de surface et est alors indisponible pour les microorganismes. Ainsi, le Fe3+ précipité sous forme particulaire par cette oxydation pourrait offrir une source d’accepteur d’électrons pour les communautés microbiennes associées au environnements serpentinisés (Meyer-Dombard et al. 2018). Cardace et al. (2013b, 2015) ont prédit que la réduction du fer ferrique, si celui-ci est disponible en quantité suffisante, est un métabolisme thermodynamiquement favorable dans de nombreux systèmes serpentinisés continentaux en subsurface, en particulier à CROMO et Zambales. En particulier, l’oxydation du fer ferreux et la réduction du fer ferrique sont tous deux des options métaboliques énergétiquement favorables dans les fluides émanant activement au niveau de l’ophiolite de Zambales (Cardace et al. 2015). Plusieurs études microbiologiques culture-indépendantes ont reporté la présence de microorganismes potentiellement capables d’oxyder ou de réduire le fer dans les ophiolites (Daae et al. 2013 ; Suzuki et al. 2013 ; Tiago et Veríssimo 2013 ; Woycheese et al. 2015). Rowe et al. (2017) ont démontré l’enrichissement spécifique de Gammaproteobacteria et Firmicutes dans des fluides de The Cedars à pH 11 par l’utilisation d’électrodes formées en partie de fer ferrique, et l’isolement d’une espèce de Paenicibacillus (Firmicutes) capable d’utiliser les magnétites, un sous-produit de la serpentinisation, comme accepteur d’électrons extracellulaire. Finalement, une étude récente a démontré la réduction effective du fer ferrique par les communautés microbiennes à partir d’incubation de fluides et sédiments des sites serpentinisés de CROMO et Zambales (Meyer-Dombard et al. 2018). Les auteurs de ces études ont postulé que la formation de biofilms sur les particules ou surfaces de fer ferrique permettrait de créer des micro-environnements où le pH serait moins élevé que dans les fluides environnants, et favoriserait la réduction métabolique du Fe3+. De plus, l’ajout de fer ferrique n’influence pas les communautés de subsurface de CROMO, alors que les communautés de surface de Zambales montrent un enrichissement en Clostridia incluant les genres Desulfotomaculum, Alkaliphilus et Thermotalea potentiellement capables de réduire le

fer ferreux (Meyer-Dombard et al. 2018). Les biofilms microbiens pourraient ainsi avoir un impact écologique significatif sur le cycle géochimique du fer dans les environnements serpentinisés.

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