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La biosphère profonde soutenue par l’altération des roches mafiques et ultramafiques

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1.1. La biosphère profonde : considérations générales

1.1.1. Abondances, distributions et limites

La biosphère profonde, ou biosphère de subsurface, est définie par la région habitable sous le sol (c’est-à-dire dans les sédiments et le substratum rocheux). Les limites de cette région sont typiquement définies par des processus physicochimiques tels que la présence d’eau, la température, la pression ou encore la salinité (Edwards et al. 2012a ; Magnabosco et al. 2019). Les modèles les plus récents estiment le volume de la biosphère de subsurface à environ 2,0 à 2,3∙10⁹ km³, ce qui correspond à deux fois le volume des océans (Magnabosco et al. 2019). Il s’agit donc du plus vaste environnement habitable de notre planète. La biosphère profonde est majoritairement constituée par des microorganismes, principalement des procaryotes (bactéries et archées). De plus, Bar-On et al. (2018) ont proposé que la grande majorité de la biomasse microbienne serait incluse dans cette subsurface profonde. La biosphère profonde représenterait ainsi près de 70% de l’ensemble des cellules bactériennes et archéennes de notre planète, ainsi que 80% de leurs espèces (Magnabosco et al. 2018, 2019). Les virus et certains eucaryotes (par exemple des champignons, des protozoaires ou des arthropodes) sont également présents dans les environnements profonds et pourraient avoir un impact significatif sur l’écologie et l’évolution de la biosphère profonde (Anderson et al. 2011, 2014 ; Engelhardt et al. 2014 ; Borgonie et al. 2015 ; Sohlberg et al. 2015 ; Ivarsson et al. 2016 ; Nigro et al. 2017) et sur l’altération et la formation des minéraux constituant la croûte terrestre. Toutefois, seules les archées et les bactéries seront abordées dans ce manuscrit de thèse.

Les environnements profonds sont dépourvus de lumière et sont caractérisés par des conditions contraignantes pour la vie incluant des limitations pour les sources de carbone et d’énergie et la disponibilité de l’espace, et des conditions extrêmes de pression, de

2015a ; Magnabosco et al. 2019). Toutefois, la subsurface présente également certains avantages pour le développement de communautés microbiennes, notamment une relative stabilité environnementale pour certains cas, une protection contre les rayonnements ultra-violets (UV) ou encore, dans certains environnements, contre la présence de dioxygène (O2) qui peut inhiber la croissance de certains microorganismes. Les communautés microbiennes de subsurface peuvent être isolées de la surface sur de longues échelles de temps (plusieurs centaines à millions d’années ; Lever at al. 2015a ; Braun et al. 2017) et leurs métabolismes diffèrent ainsi fortement des communautés de surface. Elles présentent souvent un taux de renouvellement faible, en particulier pour les sédiments profonds qui se compactent avec le temps et l’enfouissement, et des métabolismes énergétiques performants (LaRowe et Amend 2015 ; Lever et al. 2015a). Toutefois, il faut noter qu’à ce jour les limites de la biosphère profonde et de la vie en général en termes de conditions environnementales ne sont pas encore connues.

Les écosystèmes profonds sont divers (Figure 1.1) et présentent des caractéristiques physicochimiques fortement hétérogènes (Schrenk et al. 2010 ; Edwards et al. 2012a ; Lang et al. 2019). Les environnements marins profonds sont principalement représentés par les sédiments profonds notamment au niveau des plateformes continentales et des plaines abyssales, la croûte océanique constituée de roches mafiques (basaltes et gabbros) ou ultramafiques (péridotites), ou encore les suintements froids de méthane, les systèmes hydrothermaux et les volcans de boues qui offrent des « fenêtres ouvertes » sur les processus de subsurface au niveau des dorsales océaniques et des zones de subduction (Schrenk et al. 2010 ; Edwards et al. 2011, 2012b ; Orcutt et al. 2011 ; Magnabosco et al. 2019). Les sites continentaux profonds les plus étudiés sont les champs pétroliers et gisements de charbon, les aquifères profonds, les sources ultrabasiques et suintements au niveau de certaines ophiolites et autres sites géothermaux, les fluides de fractures profondes, les mines et caves, les environnements sous les glaciers, et à moindre échelle le substratum rocheux de la croûte continentale ou les sites profonds anthropisés comme les stockages géologiques de dioxyde de carbone (CO2) notamment (McMahon et Parnell 2014 ; Magnabosco et al. 2018, 2019). Dans ce projet de thèse, nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux sites ultramafiques océaniques et continentaux, à la croûte océanique basaltique et aux sites hydrothermaux associés.

Figure 1.1: Les différentes provinces continentales et océaniques de la biosphère profonde (Lang et al. 2019). A noter que par manque de données d’écologie, les communautés plus profondes de la lithosphère océanique ne sont pas mentionnées. Les communautés des sites anthropisés comme ceux liés à la fracturation hydraulique ou au stockage géologique de CO2 peuvent être élargis aux à différents types de stockages souterrains dont les déchets radioactifs, le gaz de ville, ou le dihydrogène (H2) ainsi qu’aux exploitations géothermiques.

L’abondance et la diversité des microorganismes varient fortement en fonction de ces environnements profonds, de leur lithologie et des conditions physicochimiques associées (Smith et al. 2011, 2016 ; Sylvan et al. 2013 ; Jones et Bennett 2014, 2017 ; Rempfert et al. 2017 ; Magnabosco et al. 2018). L’essentiel des données d’écologie sur la biosphère profonde vient d’études basées sur la biologie moléculaire du fait de la difficulté à cultiver les communautés microbiennes environnementales et en particulier celles des environnements extrêmes (Hug et al. 2016 ; Magnabosco et al. 2019). Le développement des techniques mises en œuvre pour la description des communautés microbiennes, notamment avec l’apport du séquençage haut débit, a permis d’identifier une plus large diversité et de démontrer la présence de microorganismes peu abondants qualifiés de biosphère rare qui peuvent avoir un rôle écologique non négligeable. Les archées sont particulièrement enrichies dans les sédiments marins profonds (Karner et al. 2001 ; Lipp et al. 2008 ; Lloyd et al. 2013), alors que les bactéries dominent la subsurface continentale (Magnabosco et al. 2018). La biomasse est généralement faible en subsurface, mais les zones de mélange entre eaux oxydées et fluides hydrothermaux réduits (au niveau notamment des cheminées hydrothermales, sources et suintements continentaux et fractures profondes) sont des zones privilégiées pour le développement de communautés microbiennes (Schrenk et al 2010 ; Orcutt et al. 2011 ; Edwards et al. 2012a ; Schrenk 2017). D’autre part, en subsurface, les communautés microbiennes existent principalement sous forme de biofilms attachés aux minéraux plutôt que sous forme planctonique dans les fluides (Flemming et Wuertz 2019). De plus ces deux types de populations présentent des différences importantes en termes de diversité

Du fait de son importance dans les cycles biogéochimiques et de son abondance, la biosphère profonde peut avoir une implication non négligeable sur le développement de technologies de subsurface comme le stockage géologique de déchets nucléaires (Bagnoud et al. 2016) ou de produits toxiques dont le gaz naturel ou de ville, sur la capture et le stockage de CO2 (technologies CCS pour « Carbon Capture and Storage » ; Trias et al. 2017 ; Daval 2018), sur l’exploitation de combustibles fossiles comme les hydrates de méthane ou encore les gisements de charbon (Head et al. 2006 ; Strąpoć et al. 2011 ; Singh et al. 2014), sur la fracturation hydraulique mise en œuvre pour la récupération des hydrocarbures non conventionnels comme les sables bitumineux ou les gaz de schistes, ainsi que sur la géothermie (Daly et al. 2016 ; Burté et al. 2019).

1.1.2. Métabolismes microbiens en subsurface

Les microorganismes influencent les cycles biogéochimiques au travers de leurs métabolismes pour produire leur énergie qui servira ensuite à fixer des composés carbonés organiques ou inorganiques pour la production de biomasse (Amend et Shock 2001 ; LaRowe et Amend 2015). Dans les environnements profonds, les microorganismes exploitent l’énergie chimique issue des réactions d’oxydo-réduction (Tableau 1.1) du fait de l’absence de lumière (Orcutt et al. 2011 ; Edwards et al. 2012a). Les réactions d’oxydo-réduction doivent être thermodynamiquement favorables et libérer suffisamment d’énergie pour la synthèse d’adénosine triphosphate (ATP) (Amend et Shock 2001 ; Amend et Teske 2005 ; McCollom et Amend 2005 ; Boettger et al. 2013 ; LaRowe et Amend 2015).

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