• Aucun résultat trouvé

Synthèse de composés organiques abiotiques

Dans le document en fr (Page 62-68)

Dans la lithosphère, les interactions fluide-roche amenant à la production hydrothermale de fluides réduits riches en H2 peuvent s’accompagner de réactions de synthèse abiotique de composés organiques (McCollom 2013 ; Sephton et Hazen 2013 ; Andreani et Ménez 2019). Ainsi, en contexte océanique, le dihydrogène produit par la serpentinisation pourrait réagir avec le carbone inorganique (i.e. CO2 ou CO) mantellique ou de l’eau de mer pour former abiotiquement des hydrocarbures, comme du méthane, et des acides organiques à chaînes courtes. En effet, les environnements associés à la serpentinisation sont particulièrement riches en CH4 et formiate abiotique, seuls composés dont l’origine abiotique a été prouvée jusqu’à récemment. Cela inclut des environnements marins comme les sites hydrothermaux associés au plancher océanique ultramafique (Proskurowski et al. 2008 ; Charlou et al. 2010 ; Lang et al. 2010 ; Konn et al. 2015) au niveau des dorsales médio-océanique (MORs pour « Mid-Ocean Ridges »), des zones de subduction (Haggerty 1991 ; Mottl et al. 2003 ; Plümper

et al. 2017), et des environnements continentaux ophiolitiques et les suintements associés (Abrajano et al. 1990 ; Etiope et Lollar 2013 ; Etiope et al. 2019). Le processus généralement invoqué de synthèse abiotique du CH4et autres alcanes de plus haut poids moléculaire est la réduction du carbone inorganique par le H2 via des réactions de type Fischer-Tropsch (FTT

pour « Fisher-Tropsch type » ; équation 1.4), un procédé industriel bien connu utilisant toutefois le CO ou le CO2 sous forme gazeuse (McCollom 2013 ; Andreani et Ménez 2019). Les réactions de synthèse de carbone organique abiotique pourraient se dérouler via des réactions de Sabatier (équation 1.5), produisant du méthane et de l’eau à partir de H2et CO2. La présence de certains catalyseurs comme les alliages Ni-Fe, les sulfures de Ni et les magnétites contenant du cobalt pourrait favoriser cette réaction notamment à basse température (Horita et Berndt 1999 ; Ji et al. 2008 ; Lazar et al. 2012).

Équation 1.4:

(2n + 1)H2 + nCO → CnH(2n+2) + nH2O

Équation 1.5:

CO2 + 4H2→ 2H2O

Toutefois, les mécanismes réels de formation de ces hydrocarbures et les conditions associées restent encore énigmatiques, tout comme la diversité des composés organiques abiotiques qui peuvent être formés dans ces contextes. En particulier, les expériences analogiques de laboratoire visant à reproduire la formation de méthane lors de la serpentinisation des minéraux ultramafiques n’ont conduit qu’à un faible rendement de la synthèse de méthane abiotique à partir du CO2pour des températures inférieures à 300-400°C (Andreani et Ménez 2019). Ces résultats suggèrent ainsi une inhibition cinétique de la synthèse de CH4 à basse température et donc une origine profonde du méthane (et de haute température dans les systèmes hydrothermaux océaniques (McDermott et al. 2015 ; Wang et al. 2018). Les émissions de méthane reportées dans les zones de serpentinisation actives, notamment au niveau des cheminées hydrothermales hyperalcalines, pourraient résulter de la re-spéciation à haute température du carbone inorganique mantellique et d’un piégeage en profondeur dans les vésicules et/ou les inclusions fluides d’origine magmatique (Kelley 1996 ; Kelley et Früh-Green 1999). Les fluides riches en CH4 et H2 seraient alors libérés lors de

l’exhumation et altération hydrothermale des roches et expulsés au niveau des sites hydrothermaux ou des zones de suintements océaniques (Klein et al. 2019). Ce scénario est entre autres supporté par les teneurs en méthane mesurées dans les gabbros, des roches mafiques, de la dorsale ultralente sud-ouest indienne (SWIR) qui présentent des concentrations en CH415 à 40 fois plus élevées que les cheminées hydrothermales ou les gaz dérivés des basaltes (Kelley et Früh-Green 1999).

La présence d’intrusions magmatiques pourrait impacter la synthèse abiotique du CH4 et donc l’écologie des communautés microbiennes dans ces environnements. Les systèmes serpentinisés de basse température (<100°C) tels que les massifs ophiolitiques sont également à l’origine de fortes productions de CH4. Bien que le processus à l’origine de la formation de ce méthane abiotique ne soit pas encore identifié, ces systèmes riches en H2 pourraient promouvoir la synthèse abiotique du méthane par des réactions FTT en phases gazeuses qui sont cinétiquement plus efficaces qu’en phase aqueuses (Bradley 2016 ; McCollom 2016 ; Etiope et al. 2018 ; Marques et al. 2018). Cette hypothèse est confortée par la migration de CH4 indépendamment de celle des fluides alcalins dans les intrusions ultramafiques de Cabeço de Vide au Portugal (Marques et al. 2018).

Figure 1.7: Etat d’oxydation du carbone dans les composés organiques en C1 impliqués dans les réactions de type Fischer-Tropsch et équilibres réversibles associés, contrôlant la spéciation du carbone en contexte hydrothermal. La réaction spontanée du gaz à l’eau (ou « Water-gas shift reaction ») convertissant CO et vapeur d’eau en CO2 et H2 est également représentée (Reproduit de Andreani et Ménez 2019).

Le CH4 abiotique est considéré comme la source principale de méthane dans les sites hydrothermaux des MORs (Konn et al. 2015) et a une influence directe sur les communautés

microbiennes associées (Brazelton et al. 2006 ; Roussel et al. 2011 ; Reveillaud et al. 2016). En effet, le CH4 est une source de carbone privilégiée pour les méthanotrophes aérobies et anaérobies en particulier dans les sites ultramafiques de basse température où les teneurs en DIC sont faibles (Brazelton et al. 2006, 2011, 2017 ; Roussel et al. 2011 ; Schrenk et al. 2013 ; Woycheese et al. 2015 ; Reveillaud et al. 2016 ; Schrenk 2017 ; Galambos et al. 2019).

La réaction FFT peut en plus du méthane amener à la formation d’hydrocarbures à courtes chaînes (équation 1.4). Des alcanes comme l’éthane (C2H6), le propane (C3H8) ou le butane (C4H10), pour lesquels une origine abiotique par des réactions FTT a été suggérée, ont ainsi été détectés dans les sites ultramafiques océaniques (Proskurowski et al. 2008 ; Konn et al. 2015 ; McDermott et al. 2015). De plus, du fait de l’inhibition cinétique de la formation de méthane par FTT, celle-ci conduit également, en dessous de 300-400°C, à la formation de composés intermédiaires (Figure 1.7) qui peuvent constituer des sources additionnelles de carbone organique abiotique pour les microorganismes, comme le suggèrent les observations environnementales et expérimentales montrant la présence d’acides organiques (principalement le formiate et l’acétate) dans les environnements influencés par la serpentinisation (Lang et al. 2010 ; McDermott et al. 2015 ; Andreani et Ménez 2019 ; Lang et al. 2019). Dans les systèmes hydrothermaux serpentinisés, une plus grande diversité de composés à un seul carbone (C1) peut donc être produite abiotiquement en fonction de la température du système, du pH et de la concentration en H2(Figure 1.9 ; Seewald et al. 2006 ; Andreani et Ménez 2019). Ainsi, à basse température (<150°C) et pH alcalin, le formiate pourrait être l’espèce C1dominante en présence d’une forte concentration en H2. En outre, le CO peut être formé conjointement au formiate à plus haute température (Seewald et al. 2006 ; McCollom et Seewald 2013). À pH acide à neutre, le méthanol (CH3OH) serait dominant (Andreani et Ménez 2019). L’acétate pourrait également être produit abiotiquement bien qu’aucune occurrence naturelle n’ait été décrite jusqu’à présent dans ces environnements. Enfin, en plus des composés en C1, des observations environnementales suggèrent la présence de matière carbonacée (CM) et d’hydrocarbures polycycliques aromatiques (ou « polycyclic aromatic hydrocarbons », PAHs) dans les roches de la lithosphère océanique (Mason et al. 2011 ; Trias et al. 2017 ; Andreani et Ménez 2019). Les molécules organiques (ou inorganique dans le cas du CO) abiotiques pourraient alors d’une part contribuer à la diversité des composés organiques disponibles pour les écosystèmes microbiens profonds (Ménez et al. 2012), mais également participer en tant qu’intermédiaire réactionnel aux réactions de

synthèse abiotique de composés organiques au cours de la serpentinisation (Andreani et Ménez 2019).

Figure 1.8: Représentation schématique des principaux processus affectant, au travers des interactions fluide-roche, la spéciation du carbone dans la lithosphère océanique. (a) Contexte géologique des dorsales océaniques lentes à ultralentes où les roches mantelliques sont exhumées par des processus tectoniques le long de détachements océaniques. Au cours de cette exhumation, la décompression des roches induit de la fusion et des intrusions magmatiques peut ainsi se produire localement. (b) Principales étapes de la production abiotique de carbone organique dans la lithosphère océanique en lien avec la circulation de fluides, la température et la serpentinisation progressive. Alk, alcanes ; CM, matière carbonacée ; Px, pyroxène ; Ol, olivine ; PAHs, hydrocarbures polycycliques aromatiques ; ΣHCOOH = formiate + acide formique. Reproduit de Andreani et Ménez (2019).

La serpentinisation offre ainsi un large spectre de conditions physicochimiques et une forte concentration en H2 qui vont favoriser les réactions de réduction du carbone inorganique et produire abiotiquement différents composés organiques (Figure 1.8). En conséquence, ces réactions offrent une grande diversité de sources de carbone ou de donneurs d’électrons (incluant le H2) pour les communautés microbiennes associées aux écosystèmes serpentinisés. La production primaire dans la biosphère de subsurface ne se limiterait donc pas au carbone inorganique et au méthane comme suggéré pour les SLiMEs (Figure 1.2 ; Pedersen 2000 ; Lau et al. 2016), mais pourrait utiliser le formiate (Lang et al. 2018 ; Fones et al. 2019 ; McGonigle et al. 2019 ; Seyler et al. 2019), le méthanol ou des composés organiques plus complexe tels que les PAHs voire la matière carbonacée (Mason et al. 2010 ; Pisapia et al. 2017 ; Trias et al. 2017). Finalement, les communautés microbiennes vont elles-mêmes participer au recyclage du carbone dans ces environnements et donc fournir des composés organiques ou inorganiques d’origine biologique (Lang et al. 2019). Il est ainsi parfois difficile de distinguer l’origine biotique ou abiotique des composés organiques détectés en particulier au niveau des évents hydrothermaux. Par exemple, l’origine du CH4a souvent était déterminée par des mesures isotopiques sur le carbone et l’hydrogène. Or, la signature isotopique du CH4produit par la méthanogenèse biologique est difficile à distinguer de celle de la synthèse abiotique (Miller et al. 2016 ; Etiope 2017).

1.2.2. Diversité des habitats serpentinisés et contraintes

environnementales

La serpentinisation se produit dans une grande diversité de milieux marins ou terrestres et dans différents contextes géologiques (Figure 1.9 ; Barnes et al. 1967, 1978 ; Abrajano et al. 1990 ; Cipolli et al. 2004 ; Früh-Green et al. 2004 ; Oze et al. 2007 ; Sader et al. 2007 ; Marques et al. 2008, 2018 ; Szponar et al. 2013). Les conditions physicochimiques associées à ces environnements sont directement liées à la température de serpentinisation, à la salinité des fluides de serpentinisation, au taux de serpentinisation et à la présence d’intrusions magmatiques. Ces différentes conditions environnementales vont directement influencer la diversité taxonomique et métabolique des communautés microbiennes, leur évolution et leur distribution géographique (Schrenk 2017).

Dans les zones de décharge des fluides associés à la serpentinisation (sources thermales, suintements, sites hydrothermaux et volcans de boues sous-marins) et les aquifères profonds influencés par cette réaction, ces fluides réduits entrent en interactions avec les fluides oxydés de surface (eau de mer et météorique). Ceci génère de forts gradients physicochimiques en termes de température, salinité, pH, et potentiel redox. Ces interfaces offrent donc des environnements intéressants pour le développement de la vie (Schrenk 2017).

Figure 1.9: Distribution à l’échelle globale des habitats serpentinisés présentés dans ce manuscrit de thèse. Les sites influencés par les eaux météoriques sont illustrés par un point orange et ceux influencés par l’eau de mer par un point bleu. Bien que d’influence strictement basaltique (Tao et al. 2012 ; Ji et al. 2017), Longqi est présenté ici en tant que seul site hydrothermal découvert le long de la dorsale sud-ouest indienne avant Old City présenté dans ce manuscrit. Sth Chamorro smt, South Chamorro seamount; CVA, Cabeço de Vide aquifer. Hole 897D réfère au puits de forage de l’ODP (« Ocean Drilling Program »).

Dans le document en fr (Page 62-68)