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Aperçu des approches pour l’étude géomicrobiologique de la biosphère profonde

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Approches techniques et contraintes liées à l’étude des communautés microbiennes en

3.1. Aperçu des approches pour l’étude géomicrobiologique de la biosphère profonde

Les communautés microbiennes sont définies comme des assemblages de cellules microbiennes pouvant appartenir à différentes espèces, qui coexistent et interagissent entre elles à un moment donné et dans un environnement donné (Konopka 2009). Il est aujourd’hui reconnu que les microorganismes jouent un rôle clé dans les processus géologiques et géochimiques qui modèlent l’environnement, en particulier en subsurface (D’Hondt et al. 2019). Les communautés microbiennes interagissent avec leurs biotopes en tant que médiateur des cycles biogéochimiques, en affectant les espèces dissoutes tout comme les phases solides (dont les minéraux). La géomicrobiologie et la microbiologie environnementale s’attachent à étudier les assemblages microbiens et leur structure, ainsi que leurs métabolismes, leur dynamique et leurs interactions avec l’environnement. Cependant, si l’étude des interactions entre les microorganismes et leur environnement s’est développée dès le 19ème siècle (Edwards et al. 2005 ; Druschel et Kappler 2015 ; Dick 2018a), l’étendue de l’influence des microorganismes sur les processus géochimiques et géologiques n’a que récemment été éclaircie (Baker et Dick 2013 ; Dick et Lam 2015 ; Dick 2018b et citations incluses). Ces avancées ont été permises grâce aux progrès technologiques réalisés ces dernières années tant pour la caractérisation des microorganismes et de leur habitat que pour la compréhension de leur impact sur l’environnement. Le développement d’outils et de méthodes dans le domaine de la géomicrobiologie sont également importants pour

l’ingénierie et la médecine, et certaines approches sont d’abord nées des besoins technologiques dans ces domaines.

Comment explorer l’étendue des interactions entre les communautés microbiennes et leur environnement ? Quelques-uns des problèmes inhérents à ces approches sont les suivants : les microorganismes sont de petites tailles (de l’ordre du microns), nombreux (quelques dizaines de milliers à plusieurs millions de cellules par ml ou g) et très diversifiés (plusieurs centaines à plusieurs milliers d’espèces) dans l’environnement. L’étude des communautés microbiennes et les outils associés ont fortement évolué, depuis les premières approches culturales ou observations microscopiques de microorganismes jusqu’aux techniques de séquençages dites méta-omiques (Escobar-Zepeda et al. 2015) (Figure 3.1).

Figure 3.1: Evolution des approches microbiologiques des premières observations de Leeuwenhoek au 17èmesiècle aux méthodes de séquençage nouvelle génération (Escobar-Zepeda et al. 2015).

À l’origine, les observations microscopiques de la présence et de la morphologie des cellules microbiennes ne donnaient pas d’informations sur leur phylogénie, leur physiologie ou leurs rôles écologiques. Les approches de microimagerie renseignent désormais sur l’organisation des communautés microbiennes, les zones qu’elles colonisent dans les roches, leur interaction avec les minéraux (qu’elles altèrent ou précipitent) ou plus simplement sur la présence de microorganismes et sur leur densité dans l’environnement (e.g. Gérard et al. 2013). L’utilisation de sondes d’oligonucléotides marquées par un fluorophore et s’hybridant à l’ARNr 16S de certains taxa microbiens (précédemment identifié par des approches de

séquençage de l’ADN, voir ci-dessous), technique appelée hybridation in situ fluorescente (FISH pour « fluorescent in situ hybridization »), a été développée pour identifier les cellules observées par microscopie à épifluorescence ou microscopie confocale à balayage laser et les interactions de groupes microbiens (Pernthaler et Pernthaler 2007). Un exemple intéressant et emblématique pour la biosphère profonde est celui de la mise en évidence d’interactions entre des archées méthanotrophes anaérobies et des bactéries sulfato-réductrices (Boetius et al. 2000). Aujourd’hui, l’utilisation combinée de la microscopie, de la spectroscopie ou spectrométrie et de marquage isotopique de molécules (e.g. NanoSIMS, pour « nanometric stable isotope mass spectrometry »), en particulier carbonées, permet aujourd’hui de comprendre les fonctions et les propriétés métaboliques à l’échelle de la cellule unique, ou encore des interactions métaboliques entre microorganismes, c’est-à-dire à l’échelle où les interactions avec les minéraux se produisent (Wagner 2009 ; Behrens et al. 2012 ; Newman et al. 2012).

La culture et l’isolement de bactéries et d’archées offrent un outil expérimental puissant et incontournable pour étudier la physiologie, la génétique et leurs relations avec les processus géochimiques (Newman et al. 2012). Aujourd’hui, des processus complexes comme l’impact des microorganismes sur la biominéralisation, l’utilisation de substrats organiques et inorganiques non conventionnels peuvent être testés par ce type d’approche. En adaptant ces techniques afin de se rapprocher des conditions environnementales, des microorganismes extrêmophiles ont pu être isolés, notamment certaines bactéries adaptées aux conditions hyperalcalines et très réductrices des systèmes serpentinisés. Ainsi, une souche bactérienne du genre candidat Serpentinomonas, détectée dans de nombreuses ophiolites à l’interface surface-subsurface par des approches « culture-indépendantes » (Brazelton et al. 2013 ; Woycheese et al. 2015 ; Twing et al. 2017), a été isolée à partir d’eau d’une source de l’ophiolite de The Cedars (Suzuki et al. 2014). Elle montre une forte adaptation aux environnements serpentinisés, ce qui inclut une croissance optimale à pH 11 et jusqu’à 12,5 et la possibilité de métaboliser un grand nombre de sources de carbone (dont l’acétate, le lactate, le glucose, le CO2 y compris sous forme de carbonates de calcium). Serpentinicella alkaliphila, une Clostridiale alcaliphile non sulfato-réductrice isolée du site hydrothermal de Prony (Mei et al. 2016b), croît à un pH optimum de 9,5 et utilise le crotonate, le lactate et le pyruvate comme source de carbone ou d’énergie. La majorité des bactéries et archées reste toutefois non cultivée ni isolée du fait de besoins nutritifs inconnus, d’habitats mal reproduits en laboratoire ou de relations symbiotiques avec d’autres microorganismes (Baker et Dick

2013 ; Hug et al. 2016 ; Dick, 2018a ; Lloyd et al. 2018), et la majorité des taxa dont en particulier ceux de subsurface, manque de représentants cultivés (Hug et al. 2016 ; Steen et al. 2019). Une autre difficulté pour la culture est le temps de croissance particulièrement long pour de nombreux microorganismes environnementaux (Buerger et al. 2012 ; Røy et al. 2012). La complexité qui caractérise les communautés microbiennes représente également un frein, celles-ci étant composées de nombreuses espèces. Finalement, les approches culturales ne sont pas nécessairement représentatives des conditions environnementales (Madsen 2005).

Les approches géochimiques comme l’utilisation de signatures isotopiques et des fractionnements associés offrent un outil intéressant pour tenter de différentier les processus abiotiques et biotiques à l’origine de certaines molécules organiques comme le méthane ou le formiate dans les systèmes serpentinisés (Proskurowski et al. 2008 ; Lang et al. 2010 ; Alt et al. 2013 ; Etiope et Lollar 2013 ; Miller et al. 2016 ; Crespo-Medina et al. 2017). Elles ne fournissent en revanche aucune information sur l’identité précise des microorganismes responsables des processus biotiques. De plus, cette différenciation entre processus abiotiques et processus biotiques n’est pas toujours claire lorsqu’elle est uniquement basée sur les signatures isotopiques et certaines approches basées sur les isotopes stables du carbone généralement utilisées pour évaluer l’origine du méthane ont été récemment réévaluées (Miller et al. 2016 ; Etiope et al. 2019). En revanche, couplée à d’autres approches comme la spectrométrie de masse (comme dans le cas du RNA-SIP pour « RNA-Single isotope probing » ; Manefield et al. 2002), l’utilisation de composés d’intérêt marqués par un isotope stable lourd peut être utile pour relier un métabolisme au microorganisme concerné.

Le développement des techniques « culture-indépendantes » offre de nouvelles perspectives pour l’étude des communautés microbiennes. Les travaux de Carl Woese et ses collègues utilisant le séquençage des gènes codant pour les ARNr afin de caractériser les relations phylogénétiques entre les microorganismes représentent l’une des premières avancées majeures permises par ces méthodes (Woese et Fox 1977). Grâce à des données de séquençage de ces gènes sur un grand nombre de microorganismes cultivés et isolés, ils ont mis en évidence l’existence d’un troisième domaine du vivant, les archées, auquel appartiennent notamment les méthanogènes initialement considérées en tant que bactéries (Pace 2009 ; Sapp et Fox 2013). Les technologies « culture-indépendantes » ont grandement évoluées et peuvent se baser désormais sur le séquençage de nombreuses macromolécules différentes. Les macromolécules étudiées sont majoritairement l’ADN qui constitue le génome des microorganismes, mais aussi l’ARN et les protéines (Baker et Dick 2013 ; Dick

et Lam 2015). Plus rarement, les lipides et les métabolites ont aussi été explorés. L’ensemble des gènes d’un microorganisme constituent le génome et sont transcrits en ARN messager qui constitue le transcriptome. Les ARNs messagers sont ensuite traduits en protéines, l’ensemble desquelles forme le protéome. Les études de l’ensemble de ces macromolécules d’une communauté microbienne entière sont respectivement appelées métagénomique, métatranscriptomique et métaprotéomique. Chacune de ces approches fournit une information différente, renseignant sur l’identité, l’activité, les métabolismes et les fonctions écologiques, et sont complémentaires (Dick et Lam 2015). En effet, si le (méta)génome code pour toutes les protéines d’un microorganisme donné ou d’une communauté microbienne, il ne renseigne pas sur l’activité réelle de ce microorganisme ou cette communauté dans des conditions environnementales données, mais seulement sur leur potentiel métabolique. Toutefois, une contrainte majeure associée à ces approches est le temps de demi-vie des macromolécules. Ainsi, les ARNs et protéines ont un temps de demi-vie beaucoup plus court que l’ADN. Il est donc plus difficile d’étudier le transcriptome et le protéome des communautés microbiennes, en particulier dans les environnements profonds difficiles à échantillonner. Avec l’avancée des technologies de séquençage (Escobar-Zepeda et al. 2015 ; Dick 2018a), les communautés microbiennes de nombreux environnements ont pu être identifiées, comparées et leurs métabolismes potentiels ainsi que leurs fonctions écologiques ont été caractérisés. Quelques cas particuliers sont plus largement décrits dans ce chapitre.

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