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Biogéochimie et métabolismes microbiens des sites mafiques

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Conditions environnementales et niches écologiques

1.3. Les communautés microbiennes associées aux roches mafiquesmafiques

1.3.2. Biogéochimie et métabolismes microbiens des sites mafiques

La subsurface associée aux systèmes mafiques est souvent considérée comme un environnement oligotrophe. Par contraste, les régions où les fluides réduits de la subsurface entrent en contact avec les fluides oxydés de la surface offrent des environnements propices au développement de communautés microbiennes. A titre d’illustration, Edwards et al. (2005) ont montré que les communautés microbiennes, sous formes de biofilms ou planctoniques, associées à la croûte océanique mettent en œuvre une diversité de métabolismes dépendante des paramètres hydrogéologiques (Figure 1.19). Par des approches de modélisation chimie-transport, Stewart et al. (2019) ont montré que les communautés de méthanogènes dans les sites hydrothermaux basaltiques dépendent ainsi de l’hydrogéologie et de la géochimie des fluides, distinguant les hyperthermophiles associés aux flux de fluides chauds focalisés, des thermophiles dominant les cheminés au flux hydrothermal diffus. Par ailleurs, l’échantillonnage de fluides crustaux dans des observatoires long terme installés dans des puits de forage océanique (CORKs, pour « circulation obviation retrofit kits » ; Wheat et al. 2011) à JdFR et North Pond a permis de mettre en évidence le caractère dynamique des communautés microbiennes dans la subsurface basaltique et ceci sur plusieurs années (Jungbluth et al. 2013, 2016 ; Meyer et al. 2016 ; Tully et al. 2018). En outre, des incubations

in situ dans les CORKs (Orcutt et al. 2010) ont révélé que les biofilms formés varient selon

les minéraux incubés (Smith et al. 2011, 2016), la température, les conditions redox et la profondeur à laquelle a été réalisée l’incubation dans le plancher océanique (Baquiran et al. 2016 ; Ramírez et al. 2019). Tully et al. (2018) ont noté une forte redondance dans les fonctions métaboliques détectées dans les populations de génomes à North Pond, malgré la variabilité temporelle de la diversité taxonomique. Ceci suggère que le développement de communautés microbiennes dans la croûte océanique pourrait nécessiter des interactions métaboliques stables.

En plus de la silice, le basalte est composé en grande partie de FeO (Fe2+, ~9 % en poids d’oxydes), et d’environ 0,1% de MnO et de sulfures. Ainsi, les métabolismes liés à ces composés chimiques constituent des voies intéressantes pour les microorganismes chimiolithotrophes dans ces environnements (Bach et Edwards 2003 ; Orcutt et al. 2011).

Les microorganismes associés à la croûte océanique peuvent ainsi potentiellement oxyder ou réduire le fer. Ces observations ont d’abord été permises par l’isolement en laboratoire de

bactéries ou par des approches moléculaires. Les microorganismes ferroxydants identifiés (principalement des Alpha-, Gamma- et Zetaproteobacteria) utilisent le nitrate comme accepteur d’électrons (Edwards et al. 2003 ; Santelli et al. 2008). Cependant, certaines bactéries sont capables d’oxyder le Fe2+ avec l’O2 en microaérobiose (Emerson et al. 2013 ; Henri et al. 2015 ; Scott et al. 2015). Les conditions anoxiques et micro-oxique seront plus favorable à l’oxydation du Fe2+ par les microorganismes car ce dernier est rapidement oxydé abiotiquement par l’O2. L’oxydation abiotique du Fe2+ étant plus lente à basse température (Brady et Gíslason 1997), les ferroxydantes adaptées à ces températures seront donc plus compétitives (Edwards et al. 2003, 2004). Plus récemment, une souche de Pseudomonas

stutzeri a été isolée à partir de verre basaltique naturel exposé sur le plancher océanique au

niveau du mont sous-marin Vailulu'u (Sudek et al. 2009, 2017). Cette bactérie hétérotrophe est capable d’oxyder le fer ferreux est de produire des sidérophores, enzymes extracellulaires capables de chélater le fer. Lorsque le Fe2+ en solution est limitant, la présence de verre basaltique contenant du fer ferreux permet ainsi la croissance de P. stutzeri (Sudek et al. 2017). L’étude des potentiels métaboliques liés à l’oxydation du Fe2+par la métagénomique est complexe car seul un gène, codant pour le cytochrome-c2, semble répandu dans les génomes des microorganismes ferroxydants mais il n’est toutefois pas systématiquement présent chez tous. Des analyses de génomique comparative suggèrent la présence de divers gènes codant pour des protéines membranaires chez différents groupes de bactéries ferroxydantes qui pourraient à l’avenir être utilisés comme gènes marqueurs (He et al. 2017).

La présence de bactéries susceptibles de réduire le Fe3+dans la croûte basaltique a été proposée sur la base de cultures d’enrichissement d’espèces de Shewanella (Lysnes et al. 2004 ; Gao et al. 2006) à partir de basalte et par la présence de gènes codant pour des cytochromes impliqués dans ce processus (Mason et al. 2009). Cette dernière étude a également mis en évidence certains groupes de Gammaproteobacteria susceptibles d’oxyder le Mn2+. Bien que ce métabolisme soit potentiellement intéressant pour les communautés microbiennes associés au basalte (Thorseth et al. 2003 ; Tebo et al. 2005 ; Templeton et al. 2005 ; Dick et al. 2006), la croissance autotrophe de ce groupe métabolique n’a jamais été observée (Orcutt et al. 2011).

Figure 1.19: Régimes d’écoulement de fluides dans la croûte océanique et niches microbiennes associées. Reproduit et modifié de Edwards et al. (2005). Au niveau de l’axe de la dorsale (a), les fluides hydrothermaux ascendants, réduits et chauds, se mélangent avec l’eau de mer froide et oxydée. Cette région est colonisée par des microorganismes chimiolithotrophes oxydant le Fe2+, les espèces réduites du soufre dont les sulfures, le méthane ou le H2 ou encore par des SRB et méthanogènes autotrophes. Dans les zones de recharge (b), l’eau de mer oxygénée peut réagir avec les surfaces minérales fraîches de la croûte océanique récente. Les métabolismes associés sont l’oxydation aérobie ou anaérobie du Fe2+ et des sulfures. Avec l’éloignement à l’axe, les émanations de fluides hydrothermaux sont focalisées au niveau des monts sous-marins recoupant les sédiments (c). Les réactions métaboliques possibles sont l’oxydation du Fe2+, des sulfures et du H2. La matière organique sédimentaire (d) peut soutenir des métabolismes hétérotrophes et la fermentation. Dans les zones où les circulations de fluides hydrothermaux et d’eau de mer sont restreintes (e), l’altération des minéraux ferreux du basalte (dont l’olivine) peut générer abiotiquement du H2disponible pour la réduction du fer ferrique et des sulfates, ou pour les méthanogènes. Les roches plutoniques correspondent à des roches magmatiques grenuestelles que le gabbro. Les dikes sont des formations de roches secondaires dans les fractures de la croûte.

Les espèces réduites du soufre sont également une source d’électrons exploitable par les microorganismes associés aux roches mafiques. Les communautés microbiennes des cheminés hydrothermales associées à ces roches sont très souvent dominées par des bactéries sulfoxydantes, en particulier des Epsilonproteobacteria comme les genres Sulfurovum et

et al. 2017 ; Patwardhan et al. 2018). La répartition de ces groupes est contrôlée par les gradients géochimiques au sein des cheminées (Meier et al. 2017 ; Patwardhan et al. 2018). Le genre Arcobacter a également été identifié dans des biofilms associés aux sulfures de fer comme la pyrite ou la pyrrhotite dans des colonisateurs déployés sur le flanc Est de JdFR (Baquiran et al. 2016 ; Ramírez et al. 2019). Des SRB ont également été reportées en abondance dans les fluides de la subsurface de JdFR (Jungbluth et al. 2013, 2016). Ces SRB appartiennent aux Deltaproteobacteria et à un phylotype proche de Ca. D. audaxviator (Jungbluth et al. 2017a). De plus, des mesures du taux de réduction des sulfates dans les fluides de la croûte basaltique de JdFR indique que ce processus anaérobie pourrait être important pour la dégradation de la matière organique dans les niveaux supérieurs de la lithosphère océanique (Robador et al. 2015).

Des SRB potentielles ont également été observées associées aux roches basaltiques (Santelli et al. 2008 ; Mason et al. 2009). Les observations dans les métagénomes de la subsurface de North Pond de gènes codant pour la réduction des sulfates et du nitrate, ou pour le cytochrome cbb3, indiquent que les communautés microbiennes associées sont adaptées aux conditions anoxiques ou microaérobies (Tully et al. 2018), malgré la nature oxique des fluides y circulant. Cela pourrait expliquer leur présence dans la biosphère rare de la subsurface chaude et anoxique de JdFR (Ramírez et al. 2019).

Les gènes et taxons (dont des Nitrospirae, Planctomycetes, Thaumarcaheota) impliqués dans le cycle biogéochimique de l’azote, en particulier dans la réduction de nitrate et nitrite ou l’oxydation aérobie ou anaérobie du NH4+ sont régulièrement identifiés dans les environnements basaltiques (Santelli et al. 2008 ; Mason et al. 2009 ; Jungbluth et al. 2017b ; Tully et al. 2018). Cependant, le rôle écologique des composés azotés en subsurface reste non élucidé. Les fluides de la croûte basaltique sont généralement peu concentrés en nitrate ou nitrite (Lin et al. 2012), et la nature réduite de ces fluides hydrothermaux indique que l’ammoniaque et l’ammonium sont potentiellement la forme dominante des composés azotés dans ces environnements. Curieusement, des cultures d’enrichissement avec du nitrate ou de l’ammoniaque à partir de fluides oxiques et froids de North Pond stimule la croissance microbienne (Zhang et al. 2016a, 2016b), suggérant la présence de métabolismes hétérogènes vis-à-vis de l’azote. La dénitrification pourrait être un métabolisme important dans les roches gabbroïques comme suggéré par l’abondance des gènes impliqués dans ce métabolisme dans l’Atlantis Massif (Figure 1.20 ; Mason et al. 2010).

La proportion de microorganismes autotrophes par rapport aux hétérotrophes n’est pas claire dans les environnements mafiques (Orcutt et al. 2011). Certains microorganismes et communautés microbiennes présentent des métabolismes versatiles vis-à-vis du carbone, ce qui peut témoigner d’une adaptation physiologique pour ces environnements oligotrophes. C’est le cas par exemple de Ca. D. audaxviator capable de fixer le carbone par la voie de Wood-Ljungdahl ou via des métabolismes hétérotrophes (Jungbluth et al. 2017a). Si l’occurrence des métabolismes hétérotrophes est peu documentée pour les roches mafiques, la première étude microbiologique de gabbros dans la subsurface de l’Atlantis Massif (MAR) sous-jacente à Lost City a néanmoins mis en évidence une forte prédominance des gènes fonctionnels impliqués dans la dégradation de composés organiques (Figure 1.24), en particulier aromatiques (Mason et al. 2010). Ces résultats impliquent un rôle potentiel de la synthèse organique abiotique pour l’activité microbienne dans ces écosystèmes aujourd’hui encore peu considéré. Les analyses métagénomiques et isotopiques suggèrent que le cycle de CBB est la voie de fixation du CO2 privilégiée des communautés basaltiques (Orcutt et al. 2015 ; Tully et al. 2018), bien que les voies rTCA et Wood-Ljungdahl jouent probablement un rôle important. Récemment, un enrichissement significatif de gènes impliqués dans la voie de Wood-Ljungdahl a été observé pour les biofilms colonisant des cristaux d’olivine incubés

in situ dans l’aquifère chaud et anoxique de JdFR (Smith et al. 2019). Les auteurs de cette

étude ont suggéré que ces communautés microbiennes seraient soutenues par le CO2de l’eau de mer circulant en subsurface et le H2 produit par la réaction entre ces fluides et l’olivine (Smith et al. 2019). Le H2pourrait également soutenir la sulfato-réduction anaérobie observée. Bien que la méthanogenèse hydrogénotrophique puisse être présente de manière significative dans les fluides chauds (>45°C) qui émanent des sites hydrothermaux basaltiques (Huber et al. 2002 ; Takai et al. 2004, 2008b, 2009 ; Nakagawa et al. 2005 ; Ver Eecke et al. 2012 ; Meyer et al. 2013 ; Lin et al. 2016), il n’existe que quelques évidences de métabolismes liés au méthane dans les roches mafiques. L’analyse moléculaire et isotopique d’une carotte de basalte échantillonnée près de la JdFR a révélé la présence de potentielles archées méthanogènes et SRB associées à la roche en subsurface (Lever et al. 2013). Récemment, le phylum candidat Hydrothermachaeota (Marine Benthic Group-E), abondant dans l’aquifère de JdFR, a été proposé comme un groupe de carboxydotrophes anaérobies (Carr et al. 2019), soulignant le rôle potentiel du CO en subsurface.

Figure 1.20: Abondance des gènes impliqués dans les différentes fonctions métaboliques identifiées dans des gabbros collectés par forage océanique à deux profondeurs (448,90 et 701,05 mbsf) dans l’Atlantis Massif (adapté de Mason et al. (2010) par Ménez et al., soumis). Organic cont. degradation, dégradation des contaminants organiques (composés aromatiques).

1.4. Synthèse

Ces dernières années, l’étude de la biosphère profonde a connu un gain d’intérêt majeur depuis la découverte de microorganismes dans les sédiments profonds (Zobell et Morita 1957). Au-delà des nombreuses études sur les sédiments, les données sur les communautés microbiennes associées aux roches mafiques et ultramafiques restent cependant beaucoup plus éparses. Ces écosystèmes présentent des conditions physicochimiques très hétérogènes dans l’espace et dans le temps et la structure des communautés microbiennes semble ainsi dépendre en grande partie de la lithologie, de l’hydrogéologie et de la géochimie des fluides associés. De plus, les communautés microbiennes et leurs métabolismes peuvent varier significativement à de très petites échelles spatiales selon les gradients géochimiques ou même selon leur mode de vie (comme dans le cas des biofilms attachés aux surfaces

minérales ou des communautés planctoniques dans les fluides). Par ailleurs, la synthèse abiotique de carbone organique, encore peu prise en considération hormis pour le méthane, pourrait jouer un rôle important pour le développement de ces communautés microbiennes. Ainsi, les sources de carbone (et donneurs d’électrons) ne se limitent pas au CO2 et CH4. La disponibilité d’un plus large éventail de sources de carbone et de donneurs d’électrons en subsurface pose également la question du fonctionnement écologique réel des communautés de SLiMEs (e.g. Pisapia et al. 2017). La biosphère de subsurface a ainsi un rôle écologique fondamental sur les cycles biogéochimiques et intervient par ailleurs sur l’altération des roches et dans leur formation.

Il est donc fondamental de comprendre les fonctions écologiques de ces biotopes et leurs relations avec les processus géologiques et géochimiques. Si les approches expérimentales (cultures axéniques ou de consortia et enrichissements) permettent d’identifier l’influence potentielle de microorganismes, ces méthodes vont au-delà des objectifs de ces travaux de thèse. Au cours de ces travaux, je me suis focalisé sur l’écologie microbienne par des approches moléculaires menées sur deux sites : un site hydrothermal ultramafique récemment découvert, à savoir Old City, représentant le premier analogue de Lost City en termes de contexte géologique et géochimique (MOR) ; et sur les populations génomiques d’un aquifère basaltique terrestre influencé par une injection anthropogénique de gaz, le site pilote d’Hellisheiði en Islande. Les contextes géologiques, physicochimiques (et microbiologique pour Hellisheiði) de ces deux sites d’étude uniques et encore peu explorés sont présentés dans le Chapitre 2.

Chapitre 2.

Contexte environnemental des sites d’études

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