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Echantillonner les écosystèmes profonds et extrêmes

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Approches techniques et contraintes liées à l’étude des communautés microbiennes en

3.2. Défis liés aux environnements profonds

3.2.1. Echantillonner les écosystèmes profonds et extrêmes

Bien que l’exploration de la biosphère profonde et des environnements extrêmes ait connu un essor ces dernières décennies (Cowen 2004 ; Schrenk et al. 2010, 2013 ; Edwards et al. 2011, 2012 ; Orcutt et al. 2011, 2013 ; Biddle et al. 2012 ; Colwell et D’Hondt 2013 ; Wang et al. 2013 ; D’Hondt et al. 2019), elle s’accompagne de nombreuses contraintes qui nécessitent d’adapter les approches mises en œuvre à chaque cas d’étude. En effet, encore aujourd’hui, il n’existe pas de méthode optimale et standard pour étudier les communautés microbiennes dans les roches en particulier dures, par opposition aux sédiments ou aux sols. Cela est en partie lié à la grande variabilité des conditions environnementales dont la lithologie et à la

forte hétérogénéité qui leur est associée (Schrenk et al. 2010 ; Orcutt et al. 2011 ; Wilkins et al. 2014 ; Dick 2019). De plus, dans la subsurface en particulier, la majorité de la biomasse procaryotique existe sous forme de biofilm (Flemming et Wuertz 2019), attaché aux surfaces solides, plutôt que sous forme planctonique circulant dans l’eau souterraine ou dans les fluides hydrothermaux. Ceci implique de pouvoir collecter les roches auxquelles les microorganismes sont associés et de pouvoir détecter ces derniers au sein de ce substrat minéral. Toutefois, les progrès technologiques et méthodologiques détaillés ci-dessous permettent désormais de mieux caractériser ces environnements (Biddle et al. 2014 ; Orcutt et Edwards, 2014).

L’une des premières contraintes existantes pour l’exploration des communautés microbiennes des environnements profonds est la difficulté d’accès à ces écosystèmes situés parfois à de grandes profondeurs (i.e. communautés microbiennes détéctées jusqu’à 4,4 km de profondeur ; Purkamo et al. 2020). La croûte océanique et terrestre constitue en outre un environnement solide relativement impénétrable, hormis par forage ou si des cavités accessibles existent. Les résurgences de fluides profonds comme les sources à terre ou en mer, considérées comme des fenêtres ouvertes sur la subsurface, constituent donc des voies indirectes pour échantillonner ces écosystèmes. Ainsi, pour étudier les communautés microbiennes influencées par les processus de serpentinisation dans la croûte continentale superficielle, des fluides alcalins émergeant au niveau de sources dans les serpentinites et les précipités de carbonates associés ont été échantillonnés (Schrenk et al. 2013 ; Schrenk 2017). Les travaux réalisés sur les communautés microbiennes des sources associées aux serpentinites de l’ophiolite continentale de Tablelands figurent ainsi parmi les premières approches « culture-indépendantes » menées sur ce type d’environnement (Brazelton et al. 2013). Les premières études microbiologiques de la plus vaste ophiolite continentale, celle de Samail en Oman, ont également été réalisées sur des sources hyperalcalines où les fluides souterrains riches en H2 et CH4 émergent (Chavagnac et al. 2013). De même, différentes sources du site de The Cedars ont été caractérisées d’un point de vue microbiologique et figurent parmi les fluides les plus réduits et alcalins connus (Morrill et al. 2013 ; Suzuki et al. 2013). De nombreux autres exemples de ce type d’approche existent parmi lesquels on trouve les études sur les ophiolites de Santa Elena au Costa Rica (Crespo-Medina et al. 2017) et de Tekirova en Turquie (Etiope et al. 2011) et le massif de Voltri en Italie (Quéméneur et al. 2015 ; Brazelton et al. 2017). Toutefois, ces échantillons issus de sources ne sont pas

entièrement représentatifs de la biosphère microbienne habitant la subsurface, car ils sont influencés par l’atmosphère ou les fluides de surface et microorganismes associés.

L’accès aux écosystèmes océaniques profonds est de plus limité par la colonne d’eau dont la profondeur moyenne est de 4000 mbsl (Orcutt et al. 2011). Pour accéder aux grandes profondeurs océaniques afin de collecter des échantillons de sites hydrothermaux ou de roches à l’affleurement, potentiels témoins de la biosphère de subsurface, l’utilisation de robots sous-marins téléopérés à distance (ROV pour « remotely operated vehicule ») et de sous-sous-marins habités est désormais privilégiée. Comparée à d’autres techniques d’échantillonnage plus aléatoires telles que le dragage, cette approche a l’avantage de pouvoir cibler précisément les roches, les cheminées et les fluides que l’on souhaite échantillonner tout en collectant des données in situ telles que la position géographique, la profondeur dans la colonne d’eau, la température et certains composés dissous grâce à divers capteurs. Ce fut par exemple le cas pour les sites hydrothermaux de Lost City, Rainbow ou Ashadze le long de la MAR (Roussel et al. 2011). En revanche, le site hydrothermal de la baie de Prony possède l’avantage d’être situé à faible profondeur d’eau (<50 m) et a pu être directement échantillonné par des plongeurs sans avoir recourt à des appareils télécommandés (Quéméneur et al. 2014 ; Postec et al. 2015 ; Pisapia et al. 2017).

Lors de la campagne océanographique ROVSMOOTH (30/11/2016 – 05/01/2017, N/O Pourquoi pas ?, P.I. Mathilde Cannat, IPGP) sur le long de la SWIR, des échantillons de cheminées hydrothermales du site de Old City, des péridotites serpentinisées et des sédiments carbonatés ont été collectés à plus de 2500 mbsl grâce au ROV Victor 6000 développé par l’Ifremer (Figure 3.2a). J’ai participé à la campagne ROVSMOOTH en début de thèse. Les échantillons ont été prélevés dans des boîtes hermétiques appelées « biobox » (Figure 3.2b) afin de s’affranchir de la contamination par les microorganismes dans l’eau de mer lors de la remonté du ROV. préalablement remplies avec de l’eau distillée stérilisée par autoclavage et filtration à 0,22 µm. Cette eau étant moins dense que l’eau de mer, elle s’échappe lors de l’ouverture de la boîte, avant collecte des échantillons et elle est remplacée par l’eau de mer du site. Ces boîtes ont été soigneusement nettoyées et à nouveau remplies d’eau distillée stérile avant chaque nouvelle plongée du ROV. Les échantillons ont été stockés à basse température (-20°C ou -80°C) jusqu’à leur analyse au laboratoire, à terre. En effet, si les

conditions d’échantillonnage peuvent influencer les résultats, il en est de même pour les conditions de stockage (Mills et al. 2012).

Figure 3.2: Exemples d'instruments utilisés pour l'échantillonnage des environnements profonds. (a) ROV Victor 6000 (Ifremer) utilisé lors de la campagne océanographique ROVSMOOTH (Crédit Ifremer); (b) échantillonnage d'une cheminée hydrothermale du site de Old City avec le ROV Victor 6000, collectée dans une boîte hermétique de type « biobox » développée par l’Ifremer (Crédit Ifremer); (c) forage de l’aquifère basaltique du site pilote d’injection de CO2 associé à la centrale géothermique d’Hellisheiði (tu l’as écrit avec des caractères islandais ailleurs) en Islande (P.I. Juerg Matter).

L’exploration des écosystèmes de subsurface a grandement bénéficié du développement de programmes de forage internationaux tel que l’International Ocean Discovery Program (IODP ; http://www.iodp.org), et l’International Continental scientific Drilling Program (ICDP ; https://www.icdp-online.org). Certaines technologies de forage développées et proposées par ces programmes permettent notamment d’accéder à de plus grandes profondeurs d’eau ou de forage, en fonction des sites d’études et plateformes de forage. Ces opérations de forage permettent de mettre en place des puits tubés ou cimentés qui pourront par la suite être scellés pour y installer des observatoires fond-de-puit équipés de pompes de prélèvement de fluides (Biddle et al. 2014 ; Orcutt et Edwards 2014). Ceci permet de rétablir

les conditions physicochimiques et hydrologiques initiales en profondeur et de mener des suivis sur le long terme par échantillonnage d’eaux souterraines. Ces puits ont été équipés d’instruments de mesure appelés CORK pour « circulation obviation retrofit kit » (Becker et Davis 2005 ; Fisher et al. 2005 ; Wheat et al. 2011) et incluant des incubateurs microbiologiques. Ces CORKs étaient initialement déployés pour caractériser l’hydrologie au niveau des dorsales médio-océaniques puis adaptés pour des mesures et suivis microbiologiques et environnementaux. Des puits ainsi équipés grâce au programme IODP forment des transects le long de la dorsale de Juan de Fuca (Jungbluth et al. 2016), à North Pond (Russell et al. 2016) et au niveau de l’affleurement basaltique de Dorado (Nigro et al. 2012).

Au-delà de ces grands programmes internationaux de forage, d’autres initiatives de forage ou opportunités existantes ont permis d’accéder à des échantillons de la subsurface. En 2011, un projet de forage a permis de mettre en place une série de 8 puits qui constituent l’observatoire microbiologique californien du Coast Range ophiolite (CROMO, USA ; Cardace et al. 2013a). Plusieurs puits existant dans l’ophiolite de Samail et ciblant des aquifères profonds (Rempfert et al. 2017) ont récemment permis l’acquisition de métagénomes à partir des eaux souterraines (Fones et al. 2019). Une initiative internationale d’envergure, en partie financée par ICDP et IODP, a été très récemment menée sur cette même ophiolite (2017-2018) et a permis d’acquérir des échantillons de roches océaniques de lithologies variées (https://www.omandrilling.ac.uk). Un puits a été réhabilité à Cabeço de Vide (Portugal), offrant un accès à un aquifère profond (130 m), et a conduit à l’une des premières études microbiologiques sur ce type d’environnement (Tiago et Veríssimo 2013). Un des rares exemples d’étude de communautés microbiennes colonisant les roches serpentinisées est celui de l’ophiolite de Leka (Norvège) bien que ce forage ne soit que peu profond (50 m sous la surface ; Daae et al. 2013). En 2015, l’expédition de forage océanique IODP 357 sur l’Atlantis Massif (MAR, 30°N) où se situe le site hydrothermal de Lost City a permis de collecter des échantillons de basaltes, gabbros et péridotites serpentinisées sur un transect de 7 sites de forage et à une profondeur de 1,30 à 16,44 mbsf sous le plancher océanique (Früh-Green et al. 2018) et de futures résultats géomicrobiologiques offriront une première caractérisation des communautés microbiennes en subsurface dans la croûte océanique superficielle serpentinisée (Motamedi et al. 2019 ; Quéméneur et al. 2019).

Dès 2008, un suivi microbiologique a pu être mis-en-place sur le site pilote de stockage de CO2 associé à la centrale géothermique d’Hellisheiði grâce à plusieurs puits de forage (Chapitre 2 ; Trias et al. 2017). Ces puits ciblent en particulier un aquifère basaltique profond situé entre 400 et 800 m de profondeur. L’échantillonnage d’eaux souterraines a conduit au séquençage des 4 métagénomes étudiés lors de cette thèse. De plus, une carotte de basalte a été échantillonnée au cours d’un forage réalisé en 2014 entre le puits d’injection et le puits d’observation (Figure 3.2c), bien qu’aucun résultat de biologie moléculaire n’ait pu être obtenu jusqu’à présent.

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