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4.4 La conduite de la politique europ´ eenne du carbone : th´ eorie et pratique

4.4.1 La valeur carbone, une traduction

Le mod`ele OCTET a produit des profils de valeur carbone en Europe `a 2050. Cette valeur correspond au CmR de la derni`ere tonne de CO2 r´eduite `a la contrainte. Afin de

pouvoir interpr´eter au mieux ces r´esultats, il convient de donner les principales notions que recouvre la valeur carbone. Il existe en effet plusieurs d´efinitions pour la valeur du CO2.

D´efinitions th´eoriques : la mod´elisation de la valeur carbone

La valeur carbone selon le paradigme : coˆut-efficacit´e ou coˆut-b´en´efice

Les approches coˆut-efficacit´e (cost-effective) renvoient seulement le coˆut d’abattement du CO2 pour une contrainte de r´eduction. La valeur carbone d’´equilibre est le prix associ´e

`

a l’effort de r´eduction. Les mod´elisations calculent la valeur carbone pour divers niveaux d’abattement (par exemple le mod`ele EPPA) ou `a l’inverse ´etablissent les r´eductions op´erables sous divers niveaux de valeurs du carbone (par exemple le mod`ele POLES). En revanche, la valeur carbone dans les approches coˆut-b´en´efices est ´etablie en mettant en regard les coˆuts d’abattement avec les b´en´efices de l’abattement pour la soci´et´e (analyse ´

economique standard). L’effort de r´eduction optimal est d´etermin´e du mˆeme coup. Le prix du CO2 dans cette approche est une valeur sociale du carbone : il est calcul´e en ´egalisant

`

a chaque p´eriode le coˆut marginal de r´eduction d’une tonne de CO2 additionnelle et le

b´en´efice marginal de r´eduire cette tonne suppl´ementaire. Le b´en´efice marginal pour la soci´et´e est donn´e par la somme actualis´ee des d´egˆats futurs ´evit´es par l’abattement de cette tonne de CO2.

L’approche coˆut-b´en´efice tente donc de donner une valeur ´economique aux dommages ´

ecologiques caus´es par le r´echauffement (coˆut social du carbone) mais la quantification mon´etaire des impacts sur les ´ecosyst`emes demeure un exercice difficile. Etant donn´e qu’elle mesure les flux de dommages ´ecologiques, cette m´ethode requiert de raisonner sur des horizons tr`es ´eloign´es. Le taux retenu pour l’actualisation devient un param`etre cen- tral (Cf. controverse autour du Rapport Stern, lequel utilise un facteur d’actualisation en 2008.

particuli`erement bas24). La valeur carbone estim´ee dans cette approche est susceptible de diverger fortement selon les choix m´ethodologiques et ´ethiques (agr´egation des dom- mages). Selon Ha-Duong (2009) [110], la valeur sociale du carbone va de 1 `a 1000e/tCO2

dans une fourchette large, avec un intervalle plus probable de 5 `a 200e. La valeur carbone dans les mod`eles

Le champ couvert par la valeur carbone est susceptible de diff´erer en fonction des mod`eles : – Dans les ´evaluations de potentiels sectoriels de r´eduction (courbes de type Mc Kin- sey), la valeur carbone renvoie aucoˆut du dernier proc´ed´e utilis´e pour satisfaire le

niveau d’´emission autoris´e (coˆut marginal de r´eduction) ([27], p. 49). Mais ´etant

donn´e que les courbes ne sont pas optimis´ees pour prendre en compte les interactions dans le secteur ´energ´etique, la valeur carbone effective est susceptible de diverger fortement du CmR du dernier projet mis en oeuvre dans l’´economie.

– Dans les mod`eles technico-´economiques (bottom-up), la valeur carbone correspond au coˆut pour le syst`eme ´energ´etique de mobiliser des technologies pour atteindre un niveau donn´e de r´eduction.

– Dans les mod`eles macro´economiques (top-down), la valeur carbone correspond g´en´e- ralement au prix implicite (shadow price) d’une contrainte sur les quantit´es de CO2

´

emises. C’est un signal de prix envoy´e `a l’´economie pour atteindre le niveau d’abat- tement souhait´e. Il s’agit d’un prix global, dual de la contrainte.

Dans la communaut´e mod´elisatrice, les approches TD et BU sont de plus en plus hybrid´ees. De fait, la valeur du CO2 g´en´er´ee par les mod`eles se con¸coit comme une taxe ou un prix

du permis. Mais elle ne correspond pas forc´ement `a la valeur v´eritable, c’est-`a-dire `a la taxe carbone pay´ee au final par le consommateur ou au prix du permis sur le march´e du carbone. Les valeurs mondiales du CO2 pour une stabilisation des concentrations `a

450 ppmv CO2-´eq. se situent dans une fourchette de 70-140e/tCO2-´eq. en 2030 et 70-

210e/tCO2-´eq. en 2050, selon les estimations du GIEC [88] reprenant un panel de mod`eles

TD et BU (figure 4.19)25.

La valeur carbone dans le mod`ele OCTET

Les valeurs carbone dans OCTET sont d´etermin´ees dans un paradigme coˆut-efficacit´e. Dans l’approche TD, les courbes de CmR proviennent au d´epart du mod`ele top-down hybride EPPA. Les valeurs carbone TD correspondent donc `a un prix g´en´eral. Dans l’approche BU, la valeur carbone recouvre un p´erim`etre moins d´elimit´e et est d’une in- terpr´etation moins ´evidente. Les courbes de CmR sont au d´epart purement techniques mais elles incluent sur la projection un coefficient β cens´e refl´eter les effets micro- et ma- cro´economiques. Par rapport `a un mod`ele BU classique, la repr´esentation des interactions sectorielles est simplifi´ee. Aussi, contrairement aux valeurs TD, qui poss`edent un certain degr´e de g´en´eralit´e, les valeurs BU peuvent difficilement pr´etendre repr´esenter une taxe carbone ou un prix du permis.

24. Stern utilise un taux de pr´ef´erence pour le pr´esent quasi-nul (0,1%).

L’internalisation de la valeur carbone

Dans la r´ealit´e ´economique, la valeur carbone consiste en un prix sur un march´e de permis d’´emission ou alors en une taxe carbone (fiscalit´e environnementale) :

– Le prix de march´e est le prix du droit d’´emission ´echangeable d´etermin´e sur un march´e du carbone. Le prix du march´e repr´esente le coˆut empirique r´esultant de l’application de la contrainte carbone sur les acteurs ´economiques. Avec les inter- actions et autres frictions (information imparfaite, coˆuts de transaction. . .), ce coˆut marginal r´ealis´e ex post en situation de march´e est susceptible de diff´erer du coˆut marginal ex ante estim´e par les mod´elisations ´economiques ou par les ´evaluations sectorielles de potentiel d’abattement ([25], p. 44).

– La taxe carbone consiste en une taxe sur le prix des biens et services `a contenu car- bone [110] (fiscalit´e environnementale). Il s’agit d’un montant forfaitaire par unit´e de CO2 ´emise, s’appliquant uniform´ement `a tous les acteurs [107].

Il existe une notion plus politique de valeur carbone : la valeur tut´elaire du CO2. Celle-ci

consiste en des recommandations publiques de prix du carbone `a long terme. Il s’agit de donner un r´ef´erentiel de valeur carbone guidant les acteurs publics et priv´es sur longue p´eriode. Cette valeur peut constituer une r´ef´erence pour l’investissement dans les infra- structures de transport, dans l’habitat ou dans l’´electricit´e, secteurs caract´eris´es par une longue dur´ee de vie de l’´equipement.

Les valeurs tut´elaires sont surtout normatives, fix´ees pour internaliser au mieux l’exter- nalit´e de CO2 dans la collectivit´e (valeurs soci´etales) ([25], p. 44). Les valeurs de r´ef´erence

sont principalement d´etermin´ees par le taux d’actualisation, le coˆut d’abattement, les ob- jectifs de GES et ´eventuellement le coˆut social des dommages ´ecologiques. La table 4.11 pr´esente les valeurs recommand´ees en Europe pour l’´evaluation des projets de transport (HEATCO [161], IMPACT [137]) ainsi que la valeur tut´elaire de la Commission Quinet en France [24]26.

E/tCO2e Basse Centrale Haute Basse Centrale Haute Basse Centrale Haute

2010 16 26 63 7 25 45 ‐ 32 ‐

2020 20 32 81 17 40 70 ‐ 56 ‐

2030 26 40 103 22 55 100 ‐ 100 ‐

2040 36 55 131 22 70 135 ‐ ‐ ‐

2050 51 83 166 20 85 180 150 200 350

HEATCO Handbook transport sector Commission Quinet

Table 4.11 – Recommandations de valeur carbone `a l’horizon 2050

Le profil temporel de valeur carbone Un profil croissant

Dans la plupart des mod´elisations, la valeur carbone croˆıt sur la projection pour ac- complir une contrainte de r´eduction de plus en plus s´ev`ere en mobilisant des technologies de plus en plus ch`eres.  La trajectoire de prix du carbone [. . .] fournit le signal-prix

n´ecessaire `a la bifurcation du syst`eme ´energ´etique vers les usages et les technologies per- mettant d’atteindre la d´ecarbonisation attendue ([54], p. 204). Le recours `a un profil 26. HEATCO est un consortium visant `a d´evelopper un ensemble de r`egles harmonis´ees pour l’´evaluation des projets et le coˆut du transport au niveau europ´een. HEATCO reprend en fait l’esti- mation de Watkiss (2005) [215] pour l’´evaluation des projets d’investissement au Royaume-Uni.

croissant permet de d´eclencher une r´eorientation significative et rapide des choix d’in-

vestissements et de comportements([54], p. 206). Le rapport Quinet (2009) recense les

principales raisons justifiant une valeur du CO2 croissante dans le temps :

– La soci´et´e a int´erˆet `a exploiter en priorit´e les gisements d’abattement `a faibles

coˆuts aujourd’hui disponibles, avant d’aller chercher les gisements les plus coˆuteux. – Le coˆut marginal des dommages augmente dans le temps avec la concentration ac-

crue de GES.

– Les objectifs de r´eduction d’´emissions se font de plus en plus ambitieux.

– L’enveloppe d’´emissions jug´ee acceptable peut ˆetre assimil´ee `a une ressource non renouvelable ou `a un actif qu’il faut g´erer dans le temps.([27], p. 70).

Dans les sc´enarios basse concentration (450 ppmv CO2-´eq.), la valeur carbone doit croˆıtre

rapidement afin de g´en´erer une forte d´ecroissance des ´emissions, une hausse lin´eaire du prix ´etant insuffisante [13].

La r`egle de Hotelling

La croissance de la valeur carbone est appuy´ee par la r`egle de Hotelling, mod`ele de contrˆole optimal d’une ressource ´epuisable. Cette r`egle postule que le prix d’une res- source ´epuisable dont les r´eserves sont connues au d´epart doit croˆıtre `a un taux ´egal au taux d’actualisation ou au taux de rendement qui serait obtenu en investissant dans des actifs alternatifs [27].

Dans le cadre de l’effet de serre, la ressource naturelle `a g´erer dans le temps est donn´ee par les concentrations atmosph´eriques de GES `a ne pas d´epasser. Le prix de cette ressource est la valeur carbone. Dans un cadre cost-effective, la valeur carbone (Vt ) doit croˆıtre `a

un taux ´egal au facteur d’actualisation (α) augment´e du taux d’absorption naturelle du carbone dans l’atmosph`ere (ρ) :

Vt= V0· e(ρ+α)t

Le profil optimal du prix du CO2 est exponentiel. Dans les mod`eles, le taux croissance

de la valeur est constant sur la projection, souvent en ligne avec le taux d’actualisation [107].

Un cas particulier : le profil concave

Des profils en cloche sont toutefois possibles : une hausse de la valeur dans un premier temps puis une baisse (ou une stagnation) dans le restant de la projection (Cf figure 4.18). Ces trajectoires peuvent apparaˆıtre mˆeme dans des contraintes s´ev`eres de type 450 ppmv CO2-´eq. (cas du mod`ele IMACLIM-R) [54].

Dans ce sch´ema, la phase montante correspond `a des coˆuts de transition vers une ´economie low-carbon [105]. Puis, l’effort soutenu de d´ecarbonisation produit des effets d’entraˆı- nement et des dynamiques d’accompagnement qui facilitent ensuite l’activit´e de r´eduction, le tout dans un changement de paradigme ´economique. Ces effets endog`enes (exp´erience, R&D, diffusion, changements de prix relatifs et am´elioration de la substitution) rabaissent au final le coˆut des politiques climatiques.