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1.1 L’action climatique internationale

1.1.4 La question du rythme de l’effort

Les termes du d´ebat

Dans les politiques de lutte contre le r´echauffement climatique, une question essentielle concerne la distribution temporelle de l’abattement : effort pr´ecoce ou retard´e sur la pro- jection ? . Etant donn´e l’incertitude scientifique concernant l’ampleur du r´echauffement `

a venir, on peut reporter la charge d’abattement dans le futur en attendant de disposer d’une meilleure information. En effet, une r´eduction rapide des ´emissions engendre un surcoˆut ´economique li´e au remplacement pr´ematur´e du capital. Un tel surcoˆut peut se r´ev´eler ˆetre une perte si l’on s’aper¸coit que le r´echauffement devrait ˆetre moins grave que pr´evu intialement.

Cependant, un abattement pr´ecoce permet de se pr´emunir contre l’incertitude sur le niveau de stabilisation ad´equat et illustre un principe de pr´ecaution. En effet, si le r´echauffement se r´ev`ele ˆetre moins s´erieux que pr´evu, on peut toujours revenir sur une 3. Special Report on Emissions Scenarios (SRES) est n´e d’une initiative du GIEC (1996) afin de synth´etiser plusieurs centaines de projections d’´emissions mondiales `a travers la communaut´e mod´elisatrice. Pour harmoniser cet ensemble disparate et le rendre plus intelligible pour les mod´elisateurs, 40 sc´enarios de r´ef´erence ont ´et´e retenus et parmi ceux-ci 6 sc´enarios jug´es repr´esentatifs de l’ensemble [156] [157].

4. Integrated Model to Assess the Global Environment simule les cons´equences ´ecologiques des ac- tivit´es humaines. Il explore la dynamique du r´echauffement `a long terme selon l’interaction de fac- teurs d´emographiques, ´economiques, technologiques, politiques et sociaux (Source : http ://thema- sites.pbl.nl/en/themasites/image/index.html)

5. FAIR-SIMCAP couple deux mod`eles : Framework to Assess International Regimes for the differen- tiation of commitments et Simple Model for Climate Policy Assessment. Le module de SIMCAP g´en`ere par it´eration un ensemble de trajectoires mondiales d’´emission sous un objectif de concentration [71].

6. Land Use, Land-Use Change and Forestry. Il s’agit des ´emissions dues `a l’utilisation des sols et `a la d´eforestation.

7. Ces fourchettes d’incertitude correspondent aux valeurs hautes et basses des enveloppes d’´emissions globales g´en´er´ees pour atteindre ce niveau de concentration.

trajectoire plus mod´er´ee. En revanche, si l’on choisit de ne pas trop r´eduire d`es le d´epart et que le changement climatique requiert un niveau de stabilisation plus s´ev`ere qu’anticip´e, il faut alors accentuer l’abattement, impliquant un remplacement coˆuteux du capital. La probl´ematique se pr´esente donc sous forme d’une ad´equation `a trouver entre coˆuts de l’action et incertitude sur l’action `a mener dans un cadre caract´eris´e par des irr´eversibilit´es :

– Sur le plan climatique, irr´eversibilit´e des pollutions CO2, qui s’accumulent dans l’at-

mosph`ere (cycle du carbone) ; irr´eversibilit´e des trajectoires carbone engag´ees sur la projection.

– Au niveau ´economique, irr´eversibilit´e des capitaux, ´equipements et infrastructures engag´es dans la lutte contre les GES. Les surcoˆuts `a court terme d’une politique pr´ecoce doivent ˆetre mis en regard avec ceux, `a plus long terme, d’un durcissement impr´evu de la politique climatique [135].

L’opposition entre effort pr´ecoce et effort retard´e recoupe la distinction entre coˆut de l’action climatique et dommages du r´echauffement. En effet, une strat´egie d’effort retard´e se focalise sur les coˆuts de la politique climatique au d´etriment de l’incertitude et des risques ´ecologiques. Par contraste, une strat´egie pr´ecoce se soucie d’abord des dangers ´

ecologiques. Afin d’avoir une marge de sˆuret´e, elle opte pour une politique de r´eductions rapides malgr´e les coˆuts occasionn´es [139].

L’objectif de la Convention Cadre des Nations Unies, qui est d’´eviter toute perturba- tion anthropique dangereuse des ´ecosyst`emes, tendrait `a privil´egier cette seconde ap- proche. Sous des niveaux de concentration restrictifs tels que 450 ppmv CO2-´eq. (soit le

sc´enario retenu dans cette th`ese), un effort d’abattement pr´ecoce est n´ec´essaire avec un pic d’´emissions globales situ´e en 2020 au plus tard. Un effort retard´e repousse la charge d’abattement vers des horizons plus lointains et donc plus incertains. Les marges d’action ult´erieures sont r´etr´ecies et les risques d’erreurs accrus.

Devant l’impossibilit´e de prescrire un profil CO2pour le long terme (d´ecisionone shot),

on en est r´eduit `a une attitude plus pragmatique de couverture des risques (Ha-Duong, 1998) : l’action climatique est ajust´ee ponctuellement selon les derniers d´eveloppements des connaissances scientifiques (d´ecisions s´equentielles). Il s’agit d’une strat´egie pru-

dentielle, qui peut ˆetre vue comme un processus d’apprentissage [109].

Si le seuil de stabilisation ad´equat est connu, le budget CO2 `a r´ealiser devient fix´e sur la

projection et une vari´et´e de profils d’´emission est alors possible. Une premi`ere approche ´

economique (taux d’actualisation, cycle du capital et progr`es technique) fait pencher pour des r´eductions retard´ees dans le temps [113] :

– Le progr`es technique am`ene une d´ecroissance des coˆuts d’abattement, au fure et `

a mesure que de nouvelles technologies environnementales arrivent sur le march´e. Cette baisse tendancielle des coˆuts de r´eduction pousse `a une action retard´ee dans le temps.

– La logique de rendement du capital demande que la ponction sur les ressources due `a l’effort de r´eduction soit report´ee dans le temps, l’accroissement du capital permet- tant de mieux financer les d´epenses d’abattement futures [218] [191]. Par ailleurs, le capital ´energ´etique pr´esente une longue dur´ee de vie, qui va de quelques ann´ees pour les appareils ´electrom´enagers `a plusieurs si`ecles pour les bˆatiments (dur´ees moyennes de 50 ans). L’adaptabilit´e du capital est donc lente [139]. Un changement abrupt

demande des remplacements anticip´es d’installations et se r´ev`ele donc coˆuteux. – Il faut tenir compte de la r´epartition interg´en´erationnelle de l’effort. Avec l’accroisse-

ment naturel de la richesse au fil du temps (croissance ´economique), les g´en´erations futures, plus riches que les g´en´erations pr´esentes, peuvent supporter un abattement plus ´elev´e. Dans l’optimisation, les d´epenses d’abattement futures sont ainsi ex- prim´ees en valeurs pr´esentes selon un taux d’actualisation8. Le coˆut actualis´e d’un abattement ´eloign´e dans le futur est alors inf´erieur au coˆut d’un abattement plus proche, ce qui incite `a d´ecaler l’effort carbone vers le futur.

Le d´ebat

Initialement, l’objectif d´efini en article 2 de de la Convention Cadre des Nations Unies (stabiliser les concentrations `a un niveau qui empˆeche toute perturbation anthropique

dangereuse du syst`eme climatique) sugg`ere l’application d’un principe de pr´ecaution en

engageant des r´eductions rapides. L’article 3 introduit n´eanmoins un principe ´economique en recommandant que les trajectoires de stabilisation du climat soient r´ealis´ees de mani`ere cost-effective (les politiques et mesures qu’appellent les changements climatiques re-

qui`erent un bon rapport coˆut-efficacit´e).

Figure 1.3 – Profils mondiaux d’´emissions de CO2 fossiles pour diff´erents

seuils de concentration selon WRE et WG1

Source : Manne et Richels, 1992 Note : IS92 = ´emissions baseline

La controverse tourne autour d’un article de Wigley, Richels et Edmonds (1996) dans la revue Nature [218]. Sur des motifs ´economiques (coˆuts de r´eduction), les auteurs re- mettent en cause les profils de stabilisation des concentrations ´etablis par le Groupe de Travail n◦1 (WG1) du Deuxi`eme Rapport d’Evaluation du GIEC (1995). Ces trajectoires d’´emission sont ´etablies de mani`ere scientifique, selon le cycle du carbone. Selon WRE, le timing optimal implique un abattement moins drastique `a court terme, proche du niveau d’´emission baseline (figure 1.3). On parle de la controverse WRE/WG1.

8. Dans le mod`ele de Ramsey (1928), le taux d’actualisation se compose du taux de croissance de la consommation et du taux de pr´ef´erence pour le pr´esent. Ce dernier correspond `a un rapport d’´echange entre utilit´e pr´esente et utilit´e future [183].

WRE s’appuient une optimisation coˆut-efficace en introduisant une contrainte d’inertie sur les ´emissions en d´ebut de projection (les rejets `a court terme ne peuvent s’´ecarter trop fortement de la tendance BAU9). WRE et WG1 constituent deux sc´enarios polaires de

l’effort d’abattement (tr`es retard´e / tr`es pr´ecoce), les trajectoires simul´ees par les mod`eles se situant entre ces deux extrˆemes. Malgr´e les avertissements des auteurs, l’article de WRE a souvent ´et´e interpr´et´e comme une incitation `a l’attentisme [135].

Les tenants d’un effort graduel

Munis de mod`eles coˆut-efficaces ou coˆut-b´en´efices, une s´erie d’auteurs parviennent `a des conclusions identiques `a WRE : la trajectoire optimale est proche du baseline en d´ebut de projection. Selon Nordhaus (1994) [163]10, Manne et Richels (1995, 1997) [139] [140]11

et Peck et Teisberg (1992) [174]12, l’abattement optimal longe dans un premier temps

la tendance baseline avant un effort plus prononc´e dans la suite de la projection. Pour justifier cet effort graduel, les auteurs mettent en avant le taux d’actualisation, la lourdeur du capital et la baisse des coˆuts future grˆace au progr`es technique. Aussi, selon Manne et Richels (1998) [141] ainsi que Nordhaus et Boyer (1998) [164], les cibles `a court terme du Protocole de Kyoto, proches des profils WG1, sont trop restrictives au regard d’une tendance efficace sur longue p´eriode.

L’article WRE est bas´e sur un progr`es technique exog`ene, ind´ependant du contexte (prix relatifs, politiques men´ees, Recherche et D´eveloppement). La d´ecision d’investissement dans l’abattement est retard´ee jusqu’au point o`u la technologie devient assez bon march´e pour ˆetre adopt´ee [102]. Goulder et Mathai (2000) analysent les implications du progr`es technique induit sur les trajectoires optimales dans le temps [100]. Le progr`es technique induit correspond au fait que l’´etat des connaissances techniques est am´eliorable par les politiques climatiques, ce au travers des prix relatifs, des d´epenses de Recherche et D´eveloppement ou des effets d’exp´erience.

Les conclusions de Goulder et Mathai tendent cependant `a appuyer le courant WRE. Lorsque le progr`es est induit par la Recherche et D´eveloppement, les auteurs trouvent que l’effort d’abattement est d´ecal´e vers le futur. En effet, avec la croissance des connais- sances, le coˆut des r´eductions futures est abaiss´e relativement au coˆut des r´eductions pr´esentes. Toutefois, en pr´esence de progr`es induit par l’exp´erience dans l’abattement, l’impact sur les profils optimaux est ind´etermin´e. Deux effets jouent en sens contraire :

– L’abattement pr´esent poss`ede un effet b´en´efique sur le coˆut de la politique clima- tique, incitant une hausse de l’effort pr´esent.

– Le coˆut des r´eductions futures est abaiss´e, justifiant un retard dans l’action.

Le solde net de ces deux tendances n’est pas clairement ´etabli. Il d´epend de la puissance de l’effet d’apprentissage. Une forte sensibilit´e des coˆuts `a l’exp´erience acquise (taux d’ap- prentissage ´elev´e) entraˆıne normalement un abattement plus pr´ecoce.

Les tenants d’un effort plus pr´ecoce

Dans une analyse ´economique approfondie, une s´erie d’auteurs vient nuancer le courant 9. Businees As Usual, ou baseline

10. Avec le mod`ele DICE 11. Avec le mod`ele MERGE 12. Avec le mod`ele CETA

WRE et prˆoner un abattement plus ´equilibr´e dans le temps. Grubb (1997) [103] expose une s´erie d’arguments en faveur d’un effort pr´ecoce :

– Les politiques publiques doivent rapidement cr´eer des conditions propices sur les march´es de l’´energie (incitations, R&D) afin de stimuler le d´eveloppement de tech- nologies alternatives. Les longs d´elais de diffusion des nouvelles technologies ´ener- g´etiques (plusieurs d´ecennies) n´ecessitent une action pr´ecoce pour les faire ´emerger dans les d´elais requis.

– Les ´energies ´etablies (combustibles fossiles) b´en´eficient d’une plus grande surface de march´e. Elles captent les ressources n´ecessaires `a leur perp´etuation en empˆechant le d´eploiement de technologies ´emergentes. En l’absence d’effort consacr´e, les syst`emes ´

energ´etiques risquent de se reproduire `a l’avantage des industries install´ees (char- bon, p´etrole) tandis que les sources propres, plus coˆuteuses, tarderont `a se d´eployer sur le march´e.

– Le remplacement du capital ´etant un mouvement permanent, il est pr´ef´erable de d´ecarboniser le capital ´energ´etique au plus tˆot. Les coˆuts d’un remplacement pr´ema- tur´e sont alors compens´es par les coˆuts de maintenance support´es en cas de maintien du capital jusqu’`a la fin du cycle de vie.

Une politique pr´ecoce ne signifie pas n´ecessairement un abattement agressif `a court terme mais une action publique suffisante pour favoriser un ´eventail de technologies propres qui pourront se d´eployer par la suite [103]. Notamment, l’introduction d’une taxe carbone, en augmentant le prix relatifs des biens carbon´es, favorise l’investissement en techniques propres [191].

Figure 1.4 – Trajectoires d’´emission de Grubler et Messner (1997)

Source : Grubler et Messner, 1997

Ha-Duong, Grubb et Hourcade (1996) soutiennent que l’existence d’une composante in- duite dans le progr`es technologique implique relativement plus d’abattement `a court terme

en vue d’accentuer les baisses de coˆut futures ([111], cit´es par [100]). Grubler et Messner (1997) [102] parviennent `a la mˆeme conclusion. Ces auteurs reproduisent les trajectoires 550 ppmv de WRE `a l’aide du mod`ele bottom-up MESSAGE coupl´e `a un module de cycle du carbone du mod`ele MAGICC. Ils montrent l’influence du progr`es technique induit sur les profils optimaux. Les trajectoires produites ne diff`erent pas fondamentalement des profils WRE et l’effort `a court terme demeure tr`es inf´erieur aux profils WRI (figure 1.4). Mais les r´esultats vont dans le sens d’un abattement plus rapide.

En pr´esence d’effets d’apprentissage dans les technologies, l’optimisation intertemporelle aboutit `a un effort plus pr´ecoce que WRE `a l’hotizon 2030. La pr´ecocit´e correspond `a un investissement suppl´ementaire dans les technologies faiblement carbon´ees. Celles-ci effec- tuent une apparition graduelle sur le march´e en vue d’accroitre leur performance, ce qui facilite par la suite leur expansion commerciale. Grubler et Messner ´etudient par ailleurs l’impact du taux d’actualisation. Avec un facteur d’actualisation de 7%, ils trouvent des trajectoires similaires `a WRE sur 1990-2030. Une baisse du taux `a 3% engendre des r´eductions plus rapides.

Figure 1.5 – Profil d’´emission avec incertitude sur l’objectif de stabilisation des concentrations

Source : Ha-Duong, Hourcade et Lecocq, 1998

Note : IS92a = ´emissions baseline, WRE550 = profil 550 ppmv CO2 de WRE (1996), U550 = profil de pr´ecaution dans

Ha-Duong, Grubb et Hourcade (1997), WG1550 = profil 550 ppmv CO2du WG1 (1995)

Ha-Duong, Grubb et Hourcade (1997) [112] consid`erent un cadre climatique avec in- certitude sur le niveau de concentration ad´equat. La cible de concentration n’est plus d´eterministe (550 ppmv CO2) mais stochastique, connue seulement en 2020 (450, 550 ou

650 ppmv CO2). La trajectoire stochastique se d´efinit alors comme le sentier optimal per-

mettant en 2020 de viser tout `a la fois un niveau de 450, 550 et 650 ppmv CO2 (profil

U-550 sur la figure 1.5). Alors que le profil d’´emission WRE n’est que de 2% au dessous du baseline en 2020, la trajectoire stochastique demande un abattement plus profond (14% sous les ´emissions de r´ef´erence). En outre, Ha-Duong, Hourcade et Lecocq (1998) [113] notent que l’objectif de r´eduction de Kyoto est plus s´ev`ere que ce que requiert une trajectoire de pr´ecaution. Selon ces auteurs, la cible de Kyoto donne plus d’importance probabiliste `a un niveau de stabilisation de 450 ppmv, en vue de parer aux risques clima- tiques13.

13. Il faut cependant noter que le niveau de 450 ppmv est CO2 only. En ajoutant les autres GES, on

Dans leur mod´elisation, Ha-Duong, Grubb et Hourcade (1997) m`enent un traitement ´

elabor´e de l’inertie : ils ´equilibrent le coˆut d’une action rapide en d´ebut de projection avec le coˆut d’un durcissement ult´erieur de l’abattement. Ils concluent que la contrainte d’iner- tie implique une charge d’abattement r´epartie plus ´egalement entre les g´en´erations. En plus des risques ´ecologiques li´es aux dommages, Ha-Duong, Grubb et Hourcade insistent sur les risques ´economiques : un effort retard´e peut occasionner des coˆuts transitionnels li´es `a un remplacement soudain du capital.

Le contrainte climatique mondiale est `a pr´esent ´etablie : 2◦C, 450 ppmv CO2-´eq. et

r´eduction des GES d’un facteur 2 en 2050. A pr´esent, il convient d’aborder les politiques carbone mises en oeuvre, la discusssion climatique internationale et la p´eriode post-2012, le tout en vue de pr´eciser l’effort carbone en Europe.