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La « valence différentielle » du logos et de la praxis

3. Consultation de 2008 et Secrétariat d’État : des transferts de capitau

3.2. Des relations d’interdépendances et des différences de valeurs inscrites dans la

3.2.4. La « valence différentielle » du logos et de la praxis

Ce retour sur les relations entretenues entre le Président de la République, les équipes mobilisées lors de la consultation et le Secrétariat d’État de 2008 et 2010, montrent un déséquilibre inscrit dès mars 2008 dans la commande qui est passée aux équipes et au Secrétariat d’État. En effet, à ce dernier est donnée une capacité d’action, tandis qu’aux premières, une mission de production d’expertise et de connaissances servant de support à l’action. Toutefois, les équipes, en étant mobilisées par un commanditaire de prestige, le Président de la République, sur un sujet également prestigieux, voient leur propre renommée s’accroître. S’instaure un transfert de capital symbolique entre les équipes, le Président de la République et son action, où chacun de ses trois pôles voit sa légitimité se renforcer mutuellement (Biau, 1992).

Par ailleurs, si le Secrétariat d’État bénéficie des effets d’annonce liés à la publication des travaux des équipes, et cela en coordonnant son action avec le calendrier de la consultation, les équipes, de leur côté, ne semblent pas tirer de bénéfices de cette concordance. Il semble que, dans le cas des relations entre les équipes et le Secrétariat d’État, la transaction de capital symbolique soit unidirectionnelle, rendant foncièrement déséquilibrée cette relation.

De plus, lorsque des membres des équipes tentent d’enrailler l’instrumentalisation qu’ils perçoivent de leurs travaux par le Secrétaire d’État, il leur est difficile de critiquer l’action présidentielle qui au départ leur a donné leur légitimité à s’exprimer sur ce sujet. Ces individus se trouvent ainsi dans une position complexe où ils cherchent à critiquer l’action d’un

Nous avons également vu que deux valeurs différentes sont données aux activités des équipes mobilisées en 2008 et à celles du Secrétaire d’État. D’une part, l’activité des équipes est décrite par Christian Blanc à travers des mots faisant référence à l’imaginaire. Elle se caractérise par la production de discours et de représentations. Elle occupe le domaine du logos, qui n’est d’ailleurs nullement revendiqué par les membres des équipes. D’autre part, le Secrétariat d’État se positionne davantage dans le champ de l’action et de la technique. La mission qui lui est donnée consiste à rendre réalistes et réalisables les ambitions du Président pour l’agglomération parisienne. Son activité rentre dans le champ de la praxis, qui dans son cas est une valeur revendiquée. Nous avons ainsi identifié des valeurs distinctes, attribuées à chacune des actions pilotées par l’État. Il est utile de noter que le logos est présenté comme devant servir la praxis, mais aussi que la praxis semble plus valorisée que le logos. La distinction entre ces deux valeurs est clairement affichée et s’institutionnalise finalement avec la création de l’AIGP et de la SGP.

La notion de « valence différentielle » (Héritier, 1996) nous apparaît alors utile afin de décrire le déséquilibre structurel qui s’installe durablement et s’inscrit finalement dans la loi entre ces deux valeurs. Françoise Héritier développe la notion de « valence différentielle des sexes » dans son travail d’anthropologie sur les liens de parenté. Elle met notamment en lumière le fait que les relations hommes/femmes ne sont pas simplement des relations construites sur la différence, mais sont intrinsèquement liées à des représentations hiérarchisées des valeurs du masculin au détriment des valeurs du féminin. Elle se distingue ainsi de la notion de « domination masculine » (Bourdieu, 1998) en faisant de la « valence différentielle des sexes » un phénomène universel, difficile, voire impossible, à enrayer puisqu’inscrit dans une histoire de la culture humaine. Cette idée pose le fait que la relation homme/femme n’est pas la même que la relation femme/homme, selon un principe de fausse symétrie. Le principe n’est donc pas simplement celui d’une hiérarchie ou d’une domination de l’un sur l’autre, mais bien que les deux polarités du féminin et du masculin s’apparentent à deux valeurs distinctes. L’action étant perçue comme une

valeur masculine et la parole comme une valeur féminine, une comparaison avec les domaines de la praxis et du logos peut être établie. Dans ce système binaire, une polarité prévaut sur l’autre. Cette notion permet de décrire la manière dont une relation déséquilibrée s’installe, se normalise et s’intègre. Nous pouvons voir que cette notion de « valence différentielle » peut également s’appliquer aux valeurs du logos et de la praxis dans le cas du « dispositif » du « Grand Paris », la première étant au service de la seconde, la seconde étant le propre du pouvoir.

La notion de « valence différentielle » en s’appliquant ici, permet de montrer que ces deux valeurs ne sont pas sur un pied d’égalité dans les relations que nous observons, mais qu’une fausse symétrie s’installe. Les individus qui agissent dans la sphère du logos tentent d’accéder à la sphère de la praxis. Cette distinction n’apparaît pas dans les années 2000 alors que sont créées ces institutions, mais est héritée des cultures professionnelles, de l’histoire de la recherche architecturale (comme nous l’avons montré dans le chapitre 2), mais aussi de la culture du politique qui consiste à mettre en scène l’action.

Conclusion du chapitre 3

L’analyse que nous venons de faire met en évidence le fait que l’État pilote deux actions de deux natures différentes. L’une, avec la consultation de 2008, produisant des discours et des représentations de l’agglomération parisienne, que nous avons identifiée comme relevant du logos, se déploie dans un espace médiatique. L’autre, en visant la transformation de l’espace, se déploie dans un espace de l’action et du technique. Elle appartient davantage au domaine de la praxis. Avec la mobilisation de professionnels de renom, l’État rend légitime son action en Île-de-France grâce à un transfert de capital symbolique. Par ailleurs, il adosse ses discours aux actions menées par le Secrétaire d’État, notamment la loi de 2010 sur le « Grand Paris », rendant ses discours performatifs (Lussaut, 1998). Le Président de la République est le seul à occuper les domaines du logos et de la praxis.

En introduction, nous avions identifié quatre manières dont opère un « dispositif » : discursive en agissant sur les représentations, en produisant des formes de connaissances, de manière normative et en transformant l’espace. La consultation de 2008 joue davantage sur les deux premiers points, tandis que le Secrétariat d’État se positionne davantage sur les deux derniers. Cette séparation contribue à structurer les relations entre les équipes et le Secrétaire d’État, ce « dispositif » devenant bien un espace sociologique.

Cette distinction entre production de discours et action s’inscrira durablement dans les institutions qui sont créées ensuite, l’AIGP et la SGP. Elle reprend une ligne de rupture qui semble exister depuis la naissance des politiques publiques en faveur de la recherche architecturale, qui plaçaient la « recherche fondamentale » comme devant alimenter la « recherche appliquée », l’expérimentation et la pratique. Le domaine du logos doit ainsi servir le domaine de la praxis, inscrivant durablement une différence de valeur entre ces deux domaines, le premier étant l’auxiliaire du second. Ce rapport de valeur reprend la représentation de la recherche architecturale telle qu’énoncée dans l’appel d’offres pour la consultation de 2008, où les connaissances produites doivent servir à « éclairer la décision ». Avec cette

articulation, Éric Lengereau cherchait à réunir la « recherche fondamentale » et la « recherche appliquée ». Néanmoins, nous voyons que le fait que l’État ajoute une action parallèle à la consultation de 2008, contrarie l’ambition du BRAUP et contribue à séparer l’action de la production de connaissances.