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Une occasion de donner à voir la recherche en Architecture

2. La consultation de 2008 : rendre visibles des pratiques de la recherche sur la

2.2. Une consultation pour valoriser une forme de recherche architecturale

2.2.1. Une occasion de donner à voir la recherche en Architecture

Le document de présentation générale de la consultation comprend vingt-quatre pages. Il se divise en sept sections : « la définition de la consultation », « la procédure », « la composition des équipes », « les productions attendues », « la valorisation des productions », « la coordination de l’étude », « le mode de présentation des candidatures ». La première section, un tiers du document, présente la nature de la consultation. Dans ce texte, elle est définie comme relevant de la « Recherche et Développement ». En sélectionnant dix équipes « pluridisciplinaires »255, elle a pour objectif de « réunir les éléments de connaissances et les propositions stratégiques d’aménagement, conduisant effectivement à l’élaboration collective d’un diagnostic prospectif, urbanistique et paysager sur le grand Paris à l’horizon de vingt, trente, voire quarante ans »256. Elle reprend ainsi le souhait exprimé par le Président de la République, et soufflé par le BRAUP durant l’été 2007, lorsqu’il annonce en septembre 2007 :

« Pour favoriser cette réflexion, je souhaiterais, en concertation bien sûr avec l'ensemble des collectivités concernées, commencer par la Ville de Paris, que huit à dix agences d'architectes puissent travailler sur un diagnostic prospectif, urbanistique et paysager, sur le grand Paris à l'horizon de vingt, trente, voire quarante ans. »257

255 Les équipes sélectionnées sont : l’équipe Rogers StirkHarbor associée à la

London School of Economics, l’équipe Castro associée à l’ENSAPLV, l’équipe Grumbach associée à l’IPRAUS, l’équipe AUC associée au LA DRHAUS, l’équipe Jean Nouvel associée à AREP et Cantal -Dupart, l’équipe Descartes (avec Yves Lion comme mandataire) associée à Leclerq, SEURA, TVK Mimram et l’OCS, l’équipe MVRDV associée à l’ACS et Andrei Feraru, l’équipe LIN, l’équipe Portzamparc associé e à l’institut d’urbanisme de Paris, l’équipe Studio 08 (avec Bernardo Secchi et Paola Vigano) associée à l’IUAV.

256 Extrait de l’appel d’offres « Le grand pari de l’agglomération parisienne,

consultation internationale pour l’avenir du Paris métropolitain » de 2008, document de présentation générale, mars 2008. Dorénavant « Appel d’offre mars 2008 »

257 Discours de Nicolas Sarkozy prononcé le 17 septembre 2007 à la Cité de

Si la notion de « diagnostic prospectif » est déjà présente dans le discours présidentiel, le terme de « Recherche et Développement » apparaît à l’occasion du lancement de l'appel d’offres. Notons ainsi que cette consultation rentre dans un programme de recherche intitulé « L’Architecture de la grande échelle », datant de 2006 et financé par le Ministère de la Culture et de la Communication et par le Ministère de l’Environnement, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement des Territoires (MEEDDAT). Ce programme scientifique comporte dans sa commande un objectif d’articulation entre production de connaissances et activités dites de « praticiens ». L’association dans les équipes de recherche de praticiens ayant une activité de maîtrise d’œuvre, était vue d’un bon œil. En 2007, un bilan de ce programme de recherche sur « l’Architecture de la grande échelle » dit notamment :

« De fait il s’agira de nourrir une hybridation des pratiques scientifiques capables d’assumer, non seulement les articulations entre la recherche amont (dite fondamentale) et la recherche aval (dite appliquée ou opérationnelle), mais aussi les interactions nécessaires entre recherche et développement. En dépit d’une distance maîtrisée avec le réel socio-économique et politique de l’aménagement de l’espace, les productions de recherche de cette consultation seront ainsi irriguées et stimulées par des compétences praticiennes aptes à s’intégrer dans une démarche collective de type spéculatif. » 258

Dans un entretien, Panos Mantziaras explique que ce programme a été un préalable essentiel afin d’organiser la consultation de 2008. Il a ainsi permis au BRAUP de vérifier comment les méthodes de recherche en Architecture pouvaient s’articuler à des échelles du grand territoire, et comment des professionnels pouvaient intégrer des équipes de recherche259. Dans la même philosophie, le texte de la consultation insiste longuement sur l’articulation entre la production d’une forme de connaissances et l’action sur

l’agglomération parisienne260. Cette articulation s’exprime à travers un lexique de l’appel d’offres mettant en tension « théorie » et « pratique ». Il est possible de relever des expressions du type :

« Théorique et pratique », « conceptuelle et opérationnelle », « savoir » et « savoir-faire », « élément de connaissance » et « diagnostic prospectif », « recherche fondamentale » et « recherche appliquée », « réflexes stratégiques » et « exigences méthodologiques », « théorique et conceptuelle » et « pratique et opérationnelle », « du général au particulier », « du global au local », « du fondamental à l’appliqué ».261

Néanmoins, plus qu’une mise en tension, le calendrier de la consultation tend à séparer ces deux activités, voire à les opposer. Il est ainsi prévu d’organiser deux « chantiers de recherche », l’un dit de « recherche fondamentale » portant sur la métropole « post-Kyoto »262, l’autre dit de « recherche appliquée » portant sur le « diagnostic prospectif de l’agglomération parisienne ». Cette organisation de la consultation confirme une vision différenciant « théorie » et pratique ». L’usage des expressions « recherche fondamentale »263 et « recherche appliquée »264 est riche de sens. En effet, avec la thématique de « l’après-Kyoto », l’objectif est de demander aux équipes une montée en généralité, d’où l’usage de « recherche fondamentale ». Tandis qu’avec le « diagnostic prospectif », l’objectif est de

260 Elle est une étape fondamentale qui permet au « diagnostic prospectif »

d’être au carrefour de la recherche et de l’action ». Appel d’offre mars 2008, op.cit.

261 Ibid.

262 La consultation de 2008 entend demander aux équipes de penser à

l’agglomération parisienne dans le contexte des objectifs de réduction des émissions de carbone, tels que signés lors du protocole de Kyoto de 1995.

263 Le manuel de Frascati utilisé dans les études statistiques sur la recherche,

définit la recherche fondamentale comme suit : « La recherche fondamentale consiste en des travaux expérimentaux ou théoriques en trepris principalement en vue d’acquérir de nouvelles connaissances sur les fondements des phénomènes et des faits observables, sans envisager une application ou une utilisation particulière. » OCDE, Frascati Manual 2002: Proposed Standard Practice for Surveys on Research and Experimental Development, The Measurement of Scientific and Technological Activities, Paris, OCDE, 2002.

264 Ce même manuel définit la recherche appliquée comme suit : « La

recherche appliquée consiste également en des travaux originaux entrepris en vue d’acquérir des connaissances nouvelles. Cependant, elle est surtout dirigée vers un but ou un objectif pratique déterminé. » Manuel de Frascati, paragraphe 245. Ibid.

faire réfléchir les équipes au cas spécifique de l’agglomération parisienne, donc en appliquant la « recherche fondamentale » à un contexte précis. L’usage du terme « recherche fondamentale » paraît ici abusif puisque qu’une application est d’ores et déjà envisagée. En revanche, cette distinction contient l’idée que la « recherche appliquée » doit s’appuyer sur la « recherche fondamentale »265 qui lui fournit de la sorte une utilité en lui donnant un champ d’application.

Globalement ce texte exprime à nouveau l’idée identifiée précédemment, qu’il existerait une recherche « fondamentale » produite par les membres des équipes relevant d'établissements d'enseignement supérieur, et une recherche « appliquée » qui correspondrait à celle produite par les praticiens des agences. Une citation à la fin de l’appel d’offres semble résumer au mieux la représentation opposant monde de la recherche et monde des agences :

« Le fonctionnement des dix équipes de la consultation possède donc la caractéristique singulière qui conduit à articuler une logique d’entreprise privée avec une logique d’institution publique. […] Les candidats auront à démontrer leur capacité à conjuguer efficacement les contributions des praticiens et des scientifiques, rendant compatibles leurs réflexes stratégiques, leurs exigences méthodologiques et leurs cultures professionnelles. »266

L’opposition entre « recherche » et « pratique » qui traverse le texte de l’appel d’offres, trouverait son fondement dans deux logiques différentes, celle du secteur privé et celle du secteur public, et qui confèrerait au premier des « réflexes stratégiques », faisant référence à une démarche instinctive ou créative, et au second des « exigences méthodologiques », leur conférant une forme de rigueur et de cartésianisme. En abordant les relations entre « recherche » et « pratique », cette consultation rédigée par le BRAUP, alors

265 Nous reprenons ici l’idée développée par Pierre Joliot lors d’une conf érence

prononcée au Collège de France. Joliot Pierre, « Recherche fondamentale et recherche appliquée » in Fussman Gérard, La mondialisation de la recherche :

dirigé par Éric Lengereau, semble correspondre à l’ambition que ce dernier porte en faveur d'une recherche architecturale qui se construirait entre les milieux professionnels et universitaires. Elle tente de faire produire une recherche architecturale qui, tout en étant « fondamentale », pourrait aussi s’avérer utile pour améliorer le cadre de vie. Or, en faisant de la sorte, l’appel d’offres semble opposer « recherche fondamentale » et « recherche appliquée ». S’il est courant d’envisager la seconde comme s’appuyant sur la première, il pourrait sembler que la hiérarchie ait tendance à s’inverser avec une « recherche fondamentale » qui devrait servir la « recherche appliquée » puisque la seconde, avec des effets tangibles, semble plus valorisée. Néanmoins, cette consultation est alors perçue au Ministère de la Culture et de la Communication comme une occasion de donner à voir la recherche dans les écoles d’Architecture. Cette volonté de faire des consultations des vitrines pour les laboratoires des ENSA, a été exprimée dans nos entretiens avec Laurence Cassegrain267 et Bertrand Lemoine268. C’est donc dans cette dynamique générale de promotion de la production de connaissances (scientifiques ou non), réalisées non seulement dans les écoles d’Architecture mais aussi dans des espaces plus atypiques, comme les agences, que la consultation de 2008 est positionnée.

267 Chargée de Mission à la Direction de l’Architecture et du Patrimoine en

charge du « Grand Paris » au Ministère de la Culture et de la Communication au moment de l’entretien (21 mars 2013).

2.2.2. La position privilégiée conférée aux architectes