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Inscription dans la loi de deux entités : la SGP et l’AIGP

3. Consultation de 2008 et Secrétariat d’État : des transferts de capitau

3.2. Des relations d’interdépendances et des différences de valeurs inscrites dans la

3.2.3. Inscription dans la loi de deux entités : la SGP et l’AIGP

Face aux critiques formulées par les équipes dans la sphère médiatique et au sein du BRAUP, François Fillon annonce finalement la création de l’AIGP le 30 octobre 2009. Ce Groupement d’Intérêt Public ne sera officiellement créé que quatre mois plus tard, le 9 février 2010. L’arrêté le créant lui donne les missions suivantes :

« Mission : poursuivre et approfondir les réflexions engagées par les dix équipes consultées dans le cadre du" Grand pari de l’agglomération parisienne" […], conduire et mettre en œuvre des actions de recherche, de valorisation et d’animation des réseaux de professionnels du cadre bâti […], favoriser le dialogue et la

concertation entre les acteurs concernés. À cette fin le groupement est notamment habilité à : réaliser ou faire réaliser toutes recherches, études, démarches ayant pour but d’éclairer les choix relatifs à l’aménagement du Grand Paris […], porter à la connaissance du grand public, en tant que de besoin et par tout moyen approprié, les travaux réalisés, assurer, sur décision du conseil d’administration, des missions de coopération internationale. »341

L’AIGP n’a donc pour mission que la production d’études et leur diffusion. Il n’est en aucun cas mandaté pour des missions opérationnelles. Aujourd’hui, lorsque les acteurs (architectes mandataires ou membres de l’administration de l’AIGP) de cet épisode reviennent sur les raisons de la création de l’AIGP, l’idée communément admise est que cette institution a été créée comme une compensation supplémentaire aux dix équipes, qui auraient « beaucoup investi »342.

Le secrétaire général de l’AIGP occupant ce poste depuis sa création explique qu’au départ, il ne s’agissait que d’une « coquille vide »343 sans moyens. Avant de tout envisager, pour apaiser la tension entre les équipes et le Secrétariat d’État chargé du Développement de la Région Capitale, l’AIGP se transforme rapidement en ce que certains membres du « Conseil Scientifique » appellent « une tour d’ivoire ». En effet, avec la réduction importante de la taille des équipes344, qui se résument alors à leurs mandataires et à certains chercheurs motivés, comme Daniel Béhar ou Monique Eleb, se met en place un « entre soi ». Les travaux de l’AIGP consistent alors en une série de séminaires, d’actions de communication et d’émissions d’avis autour de sujets tels que le schéma de transport proposé par la SGP ou la révision du SDRIF par la Région. D’un point de vue légal, les missions confiées aux équipes passent par des lettres de commandes dont les titres évoquent bien leur rôle communicationnel : « Lettre de commande pour : production d’éléments de discours et graphiques en vue de la

341 Extrait de l’arrêté du 9 février 2010 , portant sur la création de l’AIGP. 342 Entretien du 09 mars 2015 avec un architecte chargé de mission à l’AIGP.

participation au séminaire » ; « Contribution du « Conseil Scientifique » de l’AIGP pour le Schéma directeur de la Région Île-de-France ». L’ambigüité de la consultation de 2008 puis de l’AIGP est assez bien résumée par Mireille Ferri345 lorsqu’elle affirme :

« La proposition qui est arrivée à la fin [en parlant de la consultation de 2008] était petit 1, un peu collective, ils s’étaient beaucoup parlé entre eux. Et petit 2, complètement indépendante de tout le monde : de l’État, de Paris, de la Région. Et ça, je crois que ça nous a fait à tous beaucoup de bien. Du coup, ça a renouvelé le débat, ça a surpris, ça a dérangé et ça a produit du discours politique derrière, mais pas longtemps ! Après, il est remonté que c’était compliqué. Je le dis comme ça pour la première fois : personne n’étant instrumentalisable, le politique est parti regarder ailleurs. Et il y a eu moins d’écoute. Donc le politique s’est dit que c’était moins rentable. C’est une hypothèse, je n’ai peut-être plus le droit de la formuler de là où je suis, mais enfin si je prends la casquette de ce que j’étais avant, je le dirais comme ça.

Relance : Mais certaines équipes l’on ressenti comme ça, d’être enfermées à l’AIGP.

Mireille Ferri : C’était un bon moyen de les neutraliser, ça c’est sûr. »346

Il apparaît donc que la création de l’AIGP, a servi de moyen pour mettre les équipes à l’écart de la dimension opérationnelle après avoir profité de leur capacité à produire des discours, de représentations nouvelles de l’espace francilien pouvant régénérer son attractivité. Le fait que ces travaux aient avant tout été pensés dans un objectif communicationnel, semble établi.

En parallèle, la loi sur le « Grand Paris » est soumise à l’Assemblée Nationale. Le 7 octobre 2009, un texte amendé par François Fillon est transmis en Conseil d’État347. Après une navette entre l’Assemblée et le

345 Mireille Ferri est directrice de l’AIGP au moment de l’entretien (27 juin

2016), mais elle fut élue à la Région en charge de la révision du SDRIF 2008 .

346 Entretien avec Mireille Ferri (27/06/2016).

347 Ce texte est critiqué par Christian Blanc qui estime que son texte « est le

Sénat, il est adopté au Sénat le 27 mai 2010. La loi est promulguée le 3 juin 2010. Elle fixe entre autres, le cadre pour la « Société du Grand Paris » avec la mission de mettre en œuvre le projet de transports proposé par Christian Blanc :

« L'établissement public "Société du Grand Paris" a pour mission principale de concevoir et d'élaborer le schéma d'ensemble et les projets d'infrastructure composant le réseau de transport public du Grand Paris et d'en assurer la réalisation, qui comprend la construction des lignes, ouvrages et installations fixes, la construction et l'aménagement des gares, y compris d'interconnexions.[…] À cette fin, l'établissement public "Société du Grand Paris" peut acquérir, au besoin par voie d'expropriation ou de préemption, les biens de toute nature, immobiliers et mobiliers, nécessaires à la création et à l'exploitation des infrastructures du réseau de transport public du Grand Paris. […] L'établissement public "Société du Grand Paris" peut conduire des opérations d'aménagement ou de construction. » 348

Dès lors la SGP a-t-elle un objectif clairement opérationnel qui est relativement vaste, puisqu’elle doit décider du tracé du réseau de transport et de la localisation des futures gares, des connexions avec le réseau existant, mais aussi de l’élaboration des Contrats de Développements Territoriaux (CDT), ainsi que des opérations d’aménagement autour des gares avec le pouvoir d’expropriation. Par le biais de la SGP, l’État s'impose comme un acteur central pour l’aménagement en Île-de-France. La SGP émanant du projet de loi de 2010 sur le « Grand Paris », est le fruit du travail de Christian Blanc qui, nous l’avons vu, ne s’est que peu appuyé sur les productions des équipes. Il semble alors que la SGP ne soit aucunement liée à la consultation de 2008 et à l’AIGP.

Figure 15 : l’Arc Express, schéma de transport proposé par le STIF adoptée le 08 juillet 2009. Source : STIF

Figure 16 : Réseau de Transport Public du Grand Paris proposé par Christian Blanc en mars 2009. Source : Le Monde.

Figure 17 : Réseau de Transport Public du Grand Paris soumis à l’Assemblé National le 12 novembre 2009. Source : Assemblée Nationale

Figure 18 : Schéma du Grand Paris Express en mai 2011 présenté par la Société du Grand Paris. Source : Société du Grand Paris

Durant l’année 2010, l’État met en place deux structures différentes, l’une avec une mission opérationnelle pour construire le réseau de transport (la SGP), l’autre pour produire des « réflexions » et « favoriser le dialogue entre les acteurs » (l’AIGP). Une forte hiérarchie s’inscrit entre ces deux institutions. C’est ainsi que l’AIGP, alors dirigé par Bertrand Lemoine, et qui aurait dû avoir une mission d’animation d’un grand débat public et de diffusion de « réflexions » sur le « Grand Paris », devient un lieu où des discours sont produits en « vase clos » entre architectes de renom et sans réels auditeurs. L’animateur d’un débat n’a pas lieu. Les membres du « Conseil Scientifique » de l’AIGP, qui attendaient que leurs travaux puissent « éclairer la décision »349, se trouvent finalement coupés de toutes les dimensions opérationnelles et même des espaces de décision. Les travaux produits à partir de 2010 recyclent largement ceux produits en 2008 lors de la consultation sur le « Grand pari de l’agglomération parisienne ». Les principales initiatives médiatiques menées par l’AIGP rencontrent un public restreint. Le désintérêt des politiques pour ces travaux fait regretter aux équipes un certain « âge d’or »350 de la consultation sur le « Grand pari de l’agglomération parisienne » et génère beaucoup de frustration de ne pas être entendu, notamment par Christian Blanc351.

Les différences d’objectifs entre ces deux institutions sont clairement inscrites dans le cadre de la loi sur le « Grand Paris » et dans le décret créant l’AIGP. Ces textes instaurent la hiérarchie entre la SGP et l’AIGP. La première a une large capacité d’action, dispose d'une dotation de l’État, d'une capacité d’expropriation, et se voit confier la rédaction des CDT. La seconde se trouve confinée dans un rôle communicationnel, déjà inscrit dans la consultation de 2008. Les tentatives de certains individus d’éviter que leurs travaux ne servent de caution à des actions étatiques, semblent alors peu efficaces. Pour autant, l’AIGP va rester jusqu’à sa dissolution, un espace de

349 Appel d’offres « Le grand pari de l’agglomération parisienne, consultation

internationale pour l’avenir du Paris métropolitain » de 2008.

350 Cette expression revient souvent dans les entretiens.

consécration, procurant aux membres du « Conseil Scientifique » une aura particulière.