• Aucun résultat trouvé

Une « métropolisation » qui produit des opportunités foncières bénéficiant au secteur

1.3. Des usages politiques de la « métropole »

1.3.5. Une « métropolisation » qui produit des opportunités foncières bénéficiant au secteur

La diffusion dans les discours politiques et médiatiques d’une représentation de l’espace francilien comme pris dans une logique de « métropolisation », dont l’issue ne pourrait être qu’un développement économique et immobilier inexorable, s’exprime de manière tout à fait concrète dans l’espace francilien. L’État, à travers la loi sur le « Grand Paris » de 2010, crée une société d’aménagement, la SGP198, qui en plus de concevoir et d’assurer la maîtrise d’ouvrage du réseau de transport à venir, assiste le Préfet de Région dans la rédaction des Contrats de Développements Territoriaux (CDT). Ces documents, dont le cadre légal est également fixé par la loi de 2010 sur le « Grand Paris », servent de support à une action étatique volontariste dans les territoires franciliens. Ils sont élaborés en négociation avec les collectivités mais permettent à l’État d’imposer des objectifs de construction, puisque dans le cas où les collectivités refuseraient de s’engager dans la mise en œuvre des CDT, la SGP obtiendrait la possibilité de se

substituer à l’action des communes dans un rayon de 400 m autour des gares (Gallez, Thébert, 2013). Cette compétence est donnée par l’article 7 de la loi sur le « Grand Paris » 199, qui stipule également que la SGP peut, dans le respect des règles de publicité et de mise en concurrence : « exercer sa mission d'aménagement et de construction par l'intermédiaire de toute personne privée ou publique ayant des compétences en matière

d'aménagement ou de construction. »200. Ces documents agissent de la sorte

comme un moyen de pression pour pousser les communes à densifier leurs territoires, et ouvrent la voie d’une privatisation de ces opérations d’aménagement. Cette dynamique de construction est par ailleurs largement mise en avant dans la communication de la SGP (voir Figure 09) qui insiste, chiffres à l’appui, sur les effets de son action. Cette dernière, en partenariat avec l’APUR et la DRIEA201, lance en 2013 un « Observatoire des Quartiers de Gare » qui analyse non seulement les morphologies de ces quartiers, mais aussi leur capacité de densification et les transformations qu’ils connaissent. Les outils de l’État et l’APUR se mettent ainsi au service d’un développement immobilier dans les communes franciliennes.

Il est nécessaire de comprendre cet élan de densification dans un contexte de privatisation de la fabrication de la Ville en France depuis la fin du XXe siècle (Lorrain, 2013). Cette tendance résulte en une généralisation de l’usage de délégation de concessions d’aménagement à des opérateurs privés202, permettant à des groupes de promotion privés de prendre en charge des opérations d’aménagement de grande ampleur, se substituant alors au rôle traditionnel des Sociétés à Économie Mixte (SEM). En intégrant ainsi des phases d’aménagement, les opérateurs privés peuvent optimiser les bilans d’opérations en nourrissant leurs filiales de promotion, voire de construction lorsqu’elles en possèdent. Les risques supplémentaires qu’elles prennent

199 « Lorsque ces opérations interviennent sur le territoire des communes non

signataires d’un contrat de développement territorial, l’établissement public « Société du Grand Paris » peut, après avis des communes et des établissements publics de coopération intercommunale co mpétents concernés, conduire ces opérations dans un rayon inférieur à 400 mètres autour des gares nouvelles du réseau de transport public du Grand Paris » (loi sur le Grand Paris, art.7 -V).

200 Ibid

201 DRIEA (Direction Régionale et Interdépartementale de l’Équipement et de

l’Aménagement), un service déconcentré du Ministère de l’Environnement.

peuvent ainsi être amortis tout au long de la chaîne de production immobilière (Citron, 2017).

L’État, en développant un projet de transport et en organisant la densification autour des nouvelles gares, produit des opportunités foncières nouvelles pour le secteur de la promotion et du BTP203 en Île-de-France. La rhétorique de la « métropolisation » contribue à rendre acceptable, voire moralement justifiée, une densification qui s’impose à certaines communes par le biais de la loi de 2010 sur le « Grand Paris » et les CDT. Il semble bien que le projet présidentiel pour l’Île-de-France, s’il prend publiquement l’aspect d’une consultation visant à penser l’agglomération parisienne dans un contexte « l’après Kyoto »204, résulte en premier lieu en la création de valeurs foncières, qui dans un contexte de privatisation de la production de la Ville, est susceptible de bénéficier principalement aux grands groupes de promotion et de construction. Par ailleurs, l’usage du développement d’un réseau de transport pour justifier de la création de nouveaux quartiers, s’avère être une pratique courante dans le contexte nord-américain. Les études de ces pratiques, réunies sous le nom de Transit Oriented Development, montrent qu’elles peuvent répondre à plusieurs objectifs parfois affichés, tel que limiter l’usage du transport automobile, ou le désenclavement de quartiers urbains, mais qu’elles servent également des intérêts privés souvent moins affirmés publiquement et questionnant alors la capacité de ces opérations à bénéficier à l’intérêt général dans un contexte néolibéral de production de la Ville (Douay, Roy-Baillargeon, 2015).

203 BTP (Bâtiments et Travaux Publics).

204 L’appel d’offre de 2008 demande notamment aux équipes sélectionn ées de

penser à ce que devrait être une métropole dans le contexte de l’application du protocole sur le climat signé en 1997 à Kyoto. A ppel d’offre « Le grand pari

Figure 12 : Les dynamiques immobilières dans « les quartiers de gare ». Source : Société du Grand Paris

Le mot de « métropole » se généralise à partir des années 2000 dans les discours des élus franciliens. Employé pour parler d’enjeux de gouvernances, ce mot valise contribue à masquer certains conflits politiques, notamment sur la question du périmètre de compétence en matière d’aménagement urbain. Plus encore, la dimension de développement économique qu’il véhicule ne se trouve pas remise en question. Se produit une dissociation entre les sujets débattus avec ce terme et les représentations de l’espace francilien pris dans une compétition entre les « villes mondes » qu’il porte également. Le fait que l’aménagement de l’espace francilien doive avant tout servir la compétitivité économique parisienne et nationale n’est plus questionné. Ce double usage du terme de « métropole », fait perdre la lisibilité des enjeux du projet présidentiel pour le « Grand Paris » en rendant l’opposition plus ardue. L’État produit un contexte favorable à un développement immobilier en Île-de-France qui répond certes à un besoin de construction de logement, mais fournit également une opportunité économique pour le secteur privé de la promotion et du BTP. Enfin, la généralisation de ce mot contribue à positionner le débat au-delà des compétences communales, voire régionales, favorisant une réorganisation de la gouvernance en Île-de-France.

Conclusion du chapitre 1

À partir de 2007, le Président Nicolas Sarkozy entame une campagne de communication visant à rendre légitime son action en Île-de-France, malgré un contexte de décentralisation des compétences. Il y mobilise l’Histoire et la compétition internationale entre les « villes mondes ». L’ambition forte qu’il exprime, participe à une stratégie de communication pour le « Grand Paris », mais aussi pour sa propre personne. Cette campagne communicationnelle passe notamment par une remise en question des travaux sur le SDRIF, à partir d’un manque d’ambition supposé de la part de la Région, alors dirigée par le parti socialiste. Nicolas Sarkozy, qui a débuté sa carrière politique à droite en Île-de-France, continue à entretenir des liens avec des élus locaux issus de sa famille politique, notamment dans les Hauts- de-Seine. Sa stratégie de communication cherche également à imposer un certain nombre de valeurs censées guider l’aménagement francilien pour les prochaines années : la mondialisation et le modèle de la performance dans une logique de marché, ou bien « l’action » comme principe de gouvernance nécessairement positif205. Par la diffusion de ces valeurs, l’intervention de l’État semble non seulement légitime, mais devient nécessaire, voire moralement fondée. Ces années voient les relations entre l’État et les collectivités franciliennes se transformer en profondeur, avec le Secrétariat d’État et la Région menant des réflexions sur le devenir du territoire francilien dans des calendriers parallèles et concurrents. Néanmoins, l’action présidentielle, notamment avec la consultation de 2008, occupe une grande partie de l’espace médiatique, notamment en organisant une mise en scène spectaculaire de la préparation de son action (Pagès, 2010). Cette tension entre les autorités nationales et régionales atteint son paroxysme avec la promulgation de la loi sur le Grand Paris de 2010, rendant caduc le travail sur le SDRIF engagé depuis 2004.

205 Cette valeur est largement partagée par les politiques . Boutinet, Jean Pierre,

2. La consultation de 2008 : rendre visibles des