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Nicolas Sarkozy met en doute l’ambition de la Région et ouvre un espace pour son

1.2. Créer un espace pour l’action présidentielle

1.2.1. Nicolas Sarkozy met en doute l’ambition de la Région et ouvre un espace pour son

Le discours du 26 juin 2007 se construit notamment sur la mise en parallèle de deux idées : d’une part, un besoin « d’ambition » pour l’Île-de- France, d’autre part le manque d’une « vision coordonnée » de la part des collectivités et en premier lieu de la Région. Par ce procédé rhétorique, le Président de la République tente de décrédibiliser le travail de la Région en se positionnant comme capable d’apporter « l’ambition » et la « vision » dont manquerait la Région. Le mot « ambition » est utilisé neuf fois par Nicolas Sarkozy dans le discours du 26 juin 2007137. Il est employé pour parler de croissance économique, de positionnement par rapport à l’international, mais aussi de l’action de ses prédécesseurs. Ainsi, si cette « ambition » est appliquée à l’espace francilien, elle porte sur des enjeux de croissance économique et de compétitivité. Le territoire de l’Île-de-France apparaît déjà par sa dimension économique que spatiale ou géographique. Il faut également souligner que ce terme n’est pas uniquement utilisé pour parler d’un projet d’aménagement, mais se retrouve souvent rattaché à la personne de Nicolas Sarkozy :

« Il faut une ambition de croissance. Quand j’étais ministre de l’Aménagement du Territoire, je n’ai jamais voulu ménager l’ambition essentielle de créer des métropoles fortes en province, et l’ambition inavouable de provincialiser l’Île-de-France. Il n’y aura pas de France

137 « une ambition extraordinaire », « une ambition de croissance », « une

ambition essentielle », « une ambition inavouable », « une France forte et ambitieuse », « Si elle renonce à son ambition », « projets ambitieux », « un pays qui n’a pas d’ambitions », « cela me semble plus ambitieux ».

forte et ambitieuse si l’Île-de-France se recroqueville sur elle- même. »138

Cet extrait correspond au moment où le terme « ambition » est le plus utilisé, cinq fois dans l’ensemble de l’extrait. Nicolas Sarkozy y lie l’avenir national à l’avenir de la région parisienne. En énonçant le problème en ces termes, l’aménagement francilien est posé comme un enjeu national, appuyant alors l’idée que la Région n’est pas compétente pour le traiter, mais aussi en en faisant un enjeu supérieur aux enjeux locaux. On voit également la manière dont « l’ambition » est directement portée par Nicolas Sarkozy. Cet amalgame entre des actions « ambitieuse[s] » et « l’ambition » du président, est également présent dans le discours du 24 mai 2007 à la Ville de Paris :

« Et l’on ne peut pas avoir une grande ambition pour la France, sans une grande ambition pour la capitale de la France. Paris n’est pas faite pour les petites ambitions, Paris est faite pour les grands projets. »139

Puis, dans le discours du 29 avril 2009 à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, on peut relever :

« Je veux que la France donne l’exemple. C’est cela l’ambition du Grand Paris. »140

À nouveau, la personnification de cette « ambition » nationale portée par le président de la République lui-même et se matérialisant sur le territoire de l’Île-de-France, est perceptible avec la formule « je veux ». Le projet porté est un projet présidentiel plus qu’étatique. L’usage de formules telles que « il faut » ou « on ne peut pas », rend cette « ambition » moralement obligatoire. Cette forte implication du Chef de l’État confère à ces actions une apparence de « fait du prince » qui est justifié en l'enveloppant d'un caractère moral de porter une « ambition » pour le territoire parisien. Ainsi, le destin national est

utilisé comme justification morale pour que l’État s’implique dans un travail mené par la Région depuis 2004.

En contraste, lorsque Nicolas Sarkozy parle des projets en cours en Île-de-France, il utilise un langage différent :

« Mais une fois le périphérique construit, et franchi, cette ambition, perdue, disparaît dans un autre monde. Je crois qu’il faut la retrouver. […] Elles [les villes] ne manquent pas de l’espace nécessaire, mais de volonté politique et d’une vision coordonnée de l’organisation urbaine, appuyée sur les pouvoirs nécessaires pour la mettre en œuvre. »141

Avec ces phrases, la Région est clairement visée. Les critiques formulées à propos du « manque d’ambition » du SDRIF de 2008 sont récurrentes. Dans une lettre de François Fillon (premier ministre de Nicolas Sarkozy) à Jean-Paul Huchon du 11 juillet 2007, le manque « d’ambition » du SDRIF en cours de révision est à nouveau pointé du doigt. Après une explication de celles portées par l’État pour l’Île-de-France, François Fillon conclut : « le projet de SDRIF révisé que vous venez d’approuver, n’est manifestement pas compatible avec une telle ambition »142.

Ce manque « d’ambition » du SDRIF de 2008 est également évoqué dans un article de François Ascher143, qui sera longuement repris par le rapport du sénateur Dallier du 08 avril 2008144. Cette critique devient petit à petit un lieu commun et se diffuse hors des discours politiques. Quatre années plus tard, dans l’ouvrage de Jean-Pierre Orfeuil et Marc Wiel – respectivement chercheur et professionnel de l’aménagement, et non pas des politiques – de 2012, le SDRIF de 2008 est décrit comme « un projet sérieux, validé par une concertation scrupuleuse », mais « manquant d’ambition »,

141 Discours de Nicolas Sarkozy du 26 juin 2007 à Roissy.

142 Lettre de François Fillon à Jean -Paul Huchon du 11 juillet 2007.

143 Les non-choix du SDRIF en font un catalogue, mais pas un projet

stratégique, François Ascher in « Pouvoirs locaux », n° 73, II/2007.

144 Rapport d'information n° 262 (2007-2008) de M. Philippe Dallier, fait au

nom de l'observatoire de la décentralisation, déposé le 8 avril 2008, « Le Grand Paris : un vrai projet pour un enjeu capital ».

sans « strorytelling145 », « manquant de capacité à être le support de nouveaux rêves », à l’« ambition introuvable », et « sans panache ».146

Avec le terme « d’ambition », Nicolas Sarkozy fait référence au développement économique francilien considéré comme une locomotive de l’économie nationale. En insistant sur le fait que le destin de la France est lié à celui de l’Île-de-France et avec l’affirmation de son « ambition » personnelle pour la région parisienne, Nicolas Sarkozy dégage un espace d’action pour l’État. Cette « ambition » est à la fois personnifiée par le Président de la République et fondée par une obligation d’ordre moral, justifiée par l’intérêt national que le Président prête à son intervention. Par la même occasion, Nicolas Sarkozy critique les actions de la Région, alors dirigée par un parti d’opposition, qui selon lui ne répondent pas aux objectifs pour maintenir l’Île-de-France dans la compétition internationale. Avec cette rhétorique de « l’ambition », Nicolas Sarkozy se positionne en homme providentiel capable de donner un cap à l’agglomération parisienne et tout le pays.

1.2.2. Se positionner dans la continuité historique de ses

prédécesseurs

Le discours du 26 juin 2007 fait référence à deux périodes historiques, les années 1960 et le SDAU de Delouvrier, ainsi que les années 1860 et le Paris haussmannien. Chacune de ces références est employée pour parler de l’action de ces personnages sur l’aménagement francilien :

« Nous vivons encore aujourd’hui en 2007 sous l’impulsion du Général de Gaulle et de Paul Delouvrier, qui ont structuré de manière très profonde cette région. Mais la meilleure manière d’être fidèle à cet

héritage doit être de penser à notre tour à ce que doit être l’aménagement de l’Île-de-France pour répondre à d’autres défis. »

« Je crois qu’il faut la retrouver [en parlant de l’ambition]. Retrouver l’esprit du préfet Haussmann dans le Paris de 1860 ».147

La mobilisation de figures historiques est courante dans les discours politiques français, notamment avec pour objectif de conforter une cohésion nationale (Hazareesingh, 2017). Celle de de Gaulle est parmi les plus utilisées par les hommes politiques de tous bords, et notamment par Nicolas Sarkozy (De Cock, 2008). Ce dernier y a recours pour faire écho aux réalisations prestigieuses du premier Président de la Ve République et s’identifier à ce personnage qui a marqué l'histoire de France148. Le même procédé est à l’œuvre dans le discours du 26 juin 2007. Nicolas Sarkozy positionne son action dans la continuité de celle de de Gaulle et Delouvrier. La même allusion est faite le 17 septembre 2007. :

« Mais regardez ce qui s'est passé de grand il y a cinquante ou soixante ans. Ils n'ont pas eu peur d'envisager l'avenir. La question pour nous n'est pas de penser les six mois qui viennent mais le siècle qui s'ouvre. »149

L’action de de Gaulle et Delouvrier dans les années soixante est présentée comme exemplaire, comme un modèle à imiter. Cette période est marquée par une centralisation forte des pouvoirs et une identification des projets aux personnes de de Gaulle et Delouvrier. En y faisant référence, le Président de la République tente de bénéficier de l’aura de son prédécesseur. Il se positionne ainsi à la fois en rupture avec l’action de la Région et dans la continuité d'une tradition française qui fait de la région parisienne un espace

147 Discours de Nicolas Sarkozy du 26 juin 2007 à Roissy.

148 L’usage de l’histoire par Nicolas Sarkozy lors de sa première campagne

présidentielle a fait l’objet d’un ouvrage collectif, De Cock Laurence et al., Comment Nicolas Sarkozy écrit l'histoire de France , 2008, 208p. Par ailleurs, Inès Depay fait l’analyse similaire dans un article : Depay Inès, « Quand l’orateur Nicolas Sarkozise de Gaulle, quelle utilité en retire -t-il ? » in Cahier Mémoire Politique n° 1, La science politique et les études sur la mémoire, 2013, p. 29-40.

149 Discours de Nicolas Sarkozy du 1 7 septembre 2007 à la Cité de

où le pouvoir reste centralisé malgré la décentralisation des années quatre- vingt. À nouveau, la figure de l’homme providentiel est mobilisée, cette fois par le biais de figures historiques. Cette figure est avant tout mobilisée à partir des actions menées par ces hommes historiques. Ainsi, dans les années 2007 et 2009, l’enjeu communicationnel est double pour le Président : montrer qu’il agit sur l’espace, et être clairement identifié comme l’instigateur des changements à venir.