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L’ UTILISATION DE LA LOI DE 1976 DANS LE DEPARTEMENT DES P YRENEES O RIENTALES

E NCADRE 4 L ES STATUTS ADMINISTRATIFS DU DOMAINE FORESTIER EN E SPAGNE

2.3. L’ EMERGENCE DE STRATEGIES LOCALES ET LA VALORISATION DE NOUVEAUX OUTILS EN MATIERE DE PROTECTION

2.3.1. L’ UTILISATION DE LA LOI DE 1976 DANS LE DEPARTEMENT DES P YRENEES O RIENTALES

La loi de 1976 sur la protection de la nature a introduit le principe de déconcentration de gestion des espaces protégés. Les collectivités locales ont ainsi découvert dans le cadre des lois de décentralisation les applications qu’elles pouvaient retirer des outils de protection, plus particulièrement de la réserve naturelle. Le nombre élevé de réserves naturelles dans les Pyrénées-Orientales constitue un fait atypique, au regard de leur faible nombre dans le reste des départements pyrénéens. Cette situation est due à un processus propre à ce département, que nous avons choisi de détailler ici.

231 On peut signaler ainsi à travers les Pyrénées catalanes l’existence de vastes zones de chasse

contrôlée : Pont de Suert (9 904 ha), Val d’Aran (34 350 ha), Sort (16 611 ha) mais aussi de zones plus circonscrites : l’Alt Llobregat (2 867 ha), Monars i can França (1 294 ha), la Muntanya de Fusimanya i Batlló (820 ha).

Du projet de parc national aux "réserves communales" : la construction d’une approche locale de la protection de la nature

A l’exception de la réserve naturelle classée de la Massane, les réserves naturelles de montagne du département des Pyrénées-Orientales ont la spécificité d’avoir une origine commune dont la genèse remonte aux années 1970. En 1972, la DDAF et la DDE établirent un schéma d’aménagement rural pour ce département ; dans ce document d’orientation furent déterminées comme "réserves d’espaces naturels" d’importantes superficies localisées dans la zone de montagne. L’administration, qui avait exclu la possibilité de créer un parc national dans ce secteur, mettait cependant en avant selon une approche fonctionnaliste, le caractère particulier au regard des enjeux de protection d’une grande partie des espaces montagnards, espaces pour lesquels un statut d’affectation restait à inventer.

Au milieu des années 1970, l’Association Charles-Flahault232 effectua avec le soutien des administrations locales un premier bilan relatif à une stratégie départementalisée en matière de protection de la nature, travail destiné à interpeller les niveaux ministériels. Cette étude avait ainsi identifié un ensemble relativement continu de 60 000 ha d’espaces de haute altitude s’étageant de 1 700 à 2 900 m, présentant des intérêts pour la protection de la nature. Le document proposait plusieurs voies possibles : la création d’un parc national du Canigou- Puigmal-Carlit-Madrès, la création d’un parc national réduit au seul ensemble formé par les massifs du Campcardos et du Carlit, la constitution d’un PNR des hauts cantons montagnards ou encore la mise en place d’un système de grandes réserves naturelles de massif233.

C’est cette dernière solution qui reçut le soutien de la DDAF des Pyrénées- Orientales et fut retenue par le Ministère de l’Environnement en 1976. La solution du parc national semblait peu plausible, d’abord pour des raisons budgétaires mais également pour des raisons plus techniques. L’un des principaux inconvénients des propositions de périmètres résidait dans la caractéristique géographique inhérente au département qui rendait le tracé d’un parc national particulièrement inadapté au schéma type de la loi de 1960. Il aurait nécessité en effet une inversion de la conception radiocentrée des parcs nationaux, la zone périphérique regroupant les

232 Fondée en 1943 sous le nom de "Association forestière des Pyrénées-Orientales" à l’initiative

d’administrations, notamment du Ministère de l’Agriculture, afin de favoriser les reboisements. Ses objectifs se sont élargis dans les années 1960 : l’association, devenue "Association agro-sylvo-pastorale et de la vie rurale en montagne des Pyrénées-Orientales", se préoccupe de gestion des milieux et de développement montagnard. Elle se tourne vers les problématiques de protection de l’environnement dans les années 1970.

233 Association CHARLES-FLAHAULT & Comité de liaison des associations pour la défense de

l’environnement, 1975, Pour la création d’un parc naturel dans les Pyrénées-Orientales, doc. non paginé.

axes des vallées de la Têt, du Segre et de l’Aude se retrouvant en quelque sorte en position centrale. Les propositions incluaient en outre 13 000 ha sur les départements limitrophes de l’Aude (partie audoise du massif du Madrès) et de l’Ariège (Donezan, haute vallée de l’Oriège et secteur des Bésines en Haute Ariège). Pourtant, si cette situation pouvait présenter des contraintes techniques, elle ne constituait pas un problème de fond ; à la même époque, l’Etat n’a pas hésité à proposer pour le Parc du Mercantour un zonage polynucléaire.

Les projets de parcs furent donc écartés mais l’association Charles-Flahault fut officiellement mandatée par le Ministère de l’Environnement afin d’établir un programme de création de réserves naturelles. Cette étude effectuée en 1977 aboutit à la distinction de trois grands ensembles et à la proposition de constituer trois vastes réserves de plusieurs dizaines de milliers d’hectares, une pour chaque massif234. A l’époque, l’évaluation des implications de la loi de 1976 n’était pas encore possible. La proposition de créer trois réserves de très grande superficie, bien que constituant une innovation méthodologique en métropole, fut validée par le Ministère de l’Environnement et par le CNPN. Mais malgré le soutien du Conseil Général235, ce projet n’a pas pu aboutir.

Deux explications précisent cet écueil. La présentation publique du projet tout d’abord a souligné l’impossibilité de réunir un consensus suffisamment élargi au niveau des communes mais aussi auprès des acteurs socioprofessionnels et administratifs impliqués. Par ailleurs, il s’est produit dans les années 1979 et 1980 une certaine confusion sur les projets : plusieurs structures associatives ont relancé l’idée d’un parc national, notamment vis à vis des aspects financiers. Cette démarche a cependant contrit certains acteurs locaux, opposés aux contraintes d’un parc national, et n’a pas été soutenue par l’administration centrale.

Cette période d’incertitude aurait pu bloquer toute réalisation à l’instar de ce qui s’est produit en Ariège. Or, des projets de réserves naturelles, bien plus restreints sur le plan surfacique, ont été élaborés au cours des années suivantes. Sur la base des travaux de l’étude de 1977, deux premières communes ont en effet sollicité l’association Charles-Flahault pour la création de réserves naturelles communales, suivies peu après par quelques autres. L’étendue géographique des réalisations est bien en deçà des ensembles initialement proposés cependant leur ampleur demeure surprenante : les Pyrénées-Orientales sont aujourd’hui le département français qui abrite le plus grand nombre de réserves naturelles.

Un premier groupe de réserves est localisé dans les massifs frontaliers qui se succèdent du Costabonne au Puigmal. Une vaste réserve naturelle, "Massif de la

234 Association CHARLES-FLAHAULT, 1977, dossiers de création des réserves naturelles du Massif du

Carlit, du Massif du Madrès-Mont Coronat et du Massif de la Carença et vallées adjacentes.

Carença et vallées adjacentes" était prévue sur ce secteur ; elle devait s’étendre sur 23 500 ha et concernait de Prats-de-Mollo à Saillagouse, onze communes. En 1980, les conseils municipaux de Mantet puis de Py prirent le parti de constituer des réserves autonomes, initiant ce processus propre au département des Pyrénées- Orientales que nous avons décrit. A ce jour quatre réserves naturelles, Py, Mantet, Prats-de-Mollo-La Preste (Prats) et Eyne ainsi qu’une réserve naturelle volontaire créée en 1998, Nyer, couvrent un total de 12 600 ha dont un ensemble contigu de 11 480 ha (Prats, Py, Mantet et Nyer)236. Dans le haut bassin de la vallée de la Têt en revanche, les communes n’ont pas été intéressées par la mise en place de réserves.

La Vallée d’Eyne fut la dernière des réserves naturelles classées qui fut créée dans le département. Ce fait illustre la volonté des administrations de laisser aux acteurs locaux la maîtrise de la décision, alors même que dès le début des années 1960 des naturalistes avaient demandé la mise en place d’un statut de protection, notamment au titre des sites naturels. Cette méthodologie a cependant restreint la réserve à la seule vallée d’Eyne, faute de l’accord des communes adjacentes. A l’origine la réserve devait être plus étendue et intégrer des territoires situés sur les communes de Llo à l’Ouest et de Planès à l’Est, dont les vallées présentent des qualités stationnelles presque aussi bonnes que celle d’Eyne et donc une bonne richesse spécifique.

Pour le massif du Madrès-Coronat, au Nord de la vallée de la Têt, l’association Charles-Flahault avait retenu un espace de 13 780 hectares s’étalant sur dix-sept communes, et concernant pour 3 200 hectares les départements mitoyens de l’Aude et de l’Ariège. Trois réserves naturelles contiguës y ont été créées en 1986. Cet ensemble couvre 3 157 ha au total237. Une quatrième réserve, située dans la partie audoise du massif qui avait pourtant bénéficié de l’avis favorable des trois communes concernées238 ne fut jamais constituée.

L’ensemble contigu des massifs de Campcardos, Carlit et du Camporells représentait le projet le plus étendu avec 41 000 hectares. Ce secteur était celui pour lequel les naturalistes de l’Association Charles-Flahault accordaient le plus d’intérêt écologique mais paradoxalement c’est celui sur lequel aucun projet de réserve ne s’est réalisé. Deux réserves étaient prévues, de part et d’autre de la vallée du Carol : le Campcardos (6 000 ha) et un vaste groupe Carlit-Camporells- Donezan (35 000 ha). Le projet s’étalait sur treize communes des Pyrénées- Orientales, de Porte-Puymorens à la frontière andorrane jusqu’à Fontrabiouse dans le

236 Les réserves naturelles de Py et Mantet ont été créées en 1984, celle de Prat de Mollo en 1986, celle

d’Eyne en 1993 et la réserve naturelle volontaire de Nyer en 1998.

237 Nohèdes, Conat et Jujols en 1986.

238 Escouloubre, Le Bousquet et Counozouls, auxquelles s’était adjoint plus tardivement Roquefort de

Capcir, et sur neuf communes ariégeoises, intégrant notamment le Quérigut, la haute vallée de l’Oriège et une partie de la haute Ariège.

Il n’y a pas eu de réalisation sur ce secteur. Le fait que l’Etat et le Conseil général possèdent une superficie conséquente des massifs du Carlit et des Camporrells n’a pas aidé à la concrétisation des projets de réserves. Les administrations ont privilégié ici la poursuite du classement des espaces de haute altitude au titre de la législation sur les sites, procédures moins contraignantes, ce qui n’a pas empêché l’existence de conflits. Cette tactique est à rapprocher de ce qui fut effectué sur le massif du Canigou. Celui-ci n’avait pas été négligé par les naturalistes de Charles-Flahault mais il était déjà l’objet d’une procédure d’extension du site classé et d’une gestion solitaire de l’ONF ; il n’avait donc pas été considéré dans le cadre de l’étude de préfiguration.

En outre, les communes de Cerdagne et du Capcir n’ont jamais été intéressées par une démarche de création de réserves communales comme cela avait été le cas dans les deux secteurs précédents. Ces communes étaient alors essentiellement préoccupées par l’équipement de la montagne pour la pratique des sports d’hiver. La multiplication des sites d’équipement et les stratégies individuelles conduites par les communes ont rendu impossible la conciliation éventuelle entre la mise en place de réserves et l’aménagement des domaines skiables dans des communes relativement élevées en altitude. Il n’a réellement existé qu’un seul projet de réserve dans ce secteur, celui du Val de Galbe dans le Capcir, obtenue à titre de "compensation d’équipement" ; ce projet n’a toujours pas été concrétisé en dépit de l’engagement du conseil municipal et d’une décision administrative.

Les motivations locales de la création des réserves

Ainsi les réserves naturelles constituées dans le département des Pyrénées- Orientales présentent l’originalité d’épouser en grande partie le maillage administratif des communes, phénomène peu fréquent qui traduit l’utilisation particulière qui a été faite de ce dispositif. Le rôle des collectivités locales a été déterminant, soit par l’apport d’une partie du foncier soit sur le plan administratif.

La phase de création des réserves communales s’est étalée sur une décennie, de 1984 à 1993. Toutes les communes qui souhaitaient créer une réserve s’y sont engagées avant 1987. La période d’émulation a donc été courte. Nous remarquons que ce processus initié avec les communes de Mantet et de Py a précédé les premières lois de décentralisation. Les nouvelles compétences en matière de gestion de l’occupation du sol que les lois Defferre de 1982 et 1983 donnèrent aux municipalités ont placé les conseils municipaux face à un dilemme : elles ont pu percevoir dans les procédures de création en réserve naturelle à la fois une menace

sur leur pouvoir (la confusion avec la procédure parc national étant très courante) mais aussi un potentiel de renforcement de leur propre pouvoir d’intervention sur le territoire communal.

Ces réserves ont pour la plupart été installées sur les vastes espaces interstitiels identifiés par le SAR* de la DDE en 1972, c’est-à-dire là où il n’y avait pas de grands projets d’équipement. Cela ne signifie pas qu’il n’ait pas existé de conflits d’intérêts car ces zones n’étaient pas exemptes d’enjeux. Les élus d’un petit nombre de communes rurales montagnardes ont rapidement saisi les avantages que pouvait leur offrir la création de réserves naturelles, placées dans une orbite de gestion communale. Le renforcement de la maîtrise foncière et du contrôle de la gestion de l’espace communal qu’elles détiendraient par l’entremise du décret de mise en réserve, ont retenu l’attention des municipalités. L’engagement de ces dernières était conditionné au fait que le fonctionnement des réserves relèverait de leur compétence.

Ces éléments sont indispensables pour comprendre l’état d’esprit des communes et expliquent que ces réserves occupent généralement une grande partie de communes dont elles portent d’ailleurs le nom, indice de leur inféodation à une affirmation territoriale de la part des municipalités. Elles expliquent aussi que toutes les réserves naturelles aient été créées de manière consensuelle, c’est-à-dire selon la procédure simple de classement via décret ministériel, fait suffisamment rare pour être relevé.

Cette vague de création de "réserves communales", qui débuta avec les communes conflanaises de Mantet et de Py, a été clairement soutenue par les administrations locales, notamment la DDE et surtout la DDAF. C’est d’ailleurs sur l’initiative du directeur de cette dernière que plusieurs maires des Pyrénées- Orientales firent un voyage en Haute-Savoie afin de visiter le système de fonctionnement des réserves naturelles gérées par l’ASTER. L’implication des collectivités locales de rang supérieur, le Conseil Général des Pyrénées-Orientales et le Conseil Régional de Languedoc-Roussillon a été plus tardive mais s’est révélée indispensable, grâce à leur apport financier, à la viabilité des structures gestionnaires de ces réserves. Le rôle de l’Association Charles-Flahault enfin, organisme d’interface et fortement intégré dans les réseaux notabilitaires du département239 a été un facteur déterminant de ce processus.

Le morcellement des projets initiaux fut en revanche plus difficile à faire admettre au niveau national, particulièrement au sein du CNPN qui l’accepta difficilement ainsi que certaines dispositions des décrets de réserve jugés trop

239 De nombreux hauts fonctionnaires (préfets, DDE, DDAF) ainsi que des présidents du Conseil Général

conciliants avec les activités productives. Cependant deux ensembles de réserves contiguës ont pu être constitués, Py-Mantet en 1984 (auquel s’adjoint Prats-de-Mollo deux ans plus tard) et les trois réserves du Coronat en 1986, gageant ainsi d’une certaine cohérence par rapport aux projets initiaux des grandes réserves. Les réserves créées ne sont en outre pas dépourvues de fondements scientifiques. Nohèdes pour l’entomofaune, la Massane pour les milieux forestiers supraméditerranéens et la vallée d’Eyne pour les associations de plantes à fleurs étaient déjà des sites connus des naturalistes.

2.3.2.L’UTILISATION RESTREINTE DES AUTRES DISPOSITIFS DE PROTECTION DANS LE MASSIF

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