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L ES PREMICES DE LA GESTION CYNEGETIQUE DANS LES P YRENEES ET LES INITIATIVES POUR LA PROTECTION DE LA FAUNE

E NCADRE 2 L E REGIME DE PROTECTION DES SOLS EN MONTAGNE

1.2. E NJEUX AUTOUR DES ESPACES PROTEGES PYRENEENS ET CONFRONTATION AUX OBJECTIFS DE L ’ AMENAGEMENT MONTAGNARD DURANT LES T RENTE G LORIEUSES

1.2.1. L ES PREMICES DE LA GESTION CYNEGETIQUE DANS LES P YRENEES ET LES INITIATIVES POUR LA PROTECTION DE LA FAUNE

Dans les pays latins, le droit relatif à la chasse a longtemps été la seule source juridique faisant référence au statut des espèces faunistiques et, par voie de conséquence, à leur éventuelle protection. Comme le rappellent A. Vourc’h et V. Pélosse « la notion de protection de la faune sauvage en relation avec la chasse n’est pas expressément développée »71 dans les pratiques et les représentations qui

71 VOURC’H A. & PELOSSE V., "Chasseurs et protecteurs : les paradoxes d’une contradiction" in CADORET

ont prévalu jusqu’à l’intégration de la chasse dans les problématiques environnementales au cours des années 1960.

Les débuts de la régulation de la chasse dans les Pyrénées françaises

Dans les Pyrénées françaises, le souci de protection de la faune cynégétique de montagne est surtout apparu après la Deuxième Guerre Mondiale, soit plus tardivement que dans les Alpes72. Rappelons que les réserves de chasse, quel que soit leur statut, relèvent du droit de propriété auquel est associé le droit de chasse. La protection spécifique de la faune sauvage était possible dans des réserves foncières privées depuis la Révolution de 1789. Ces réserves n’ont obtenu un véritable statut ministériel qu’en 195173 ; on parle alors de réserves agréées. Néanmoins depuis 1934 l’administration encourageait à la création de réserves de chasse fédérales, théoriquement subventionnées74.

Les premières réserves de chasse dans le massif pyrénéen sont nées d’initiatives diverses. La première fut la réserve domaniale du Mont Valier en Ariège, créée en 1937 par l’administration des Eaux et Forêts, qui depuis en a toujours assumé la gestion. Cette création intervenait vingt ans après celle des Bauges dans les Alpes, première réserve domaniale de chasse. Elle fut suivie de l’initiative menée par un grand propriétaire terrien, M. Burrhus, dans la haute vallée de l’Oriège. Il y créa en 1943 une réserve qui deviendra plus tard la réserve d’Orlu.

En 1947 fut constituée la première réserve fédérale, celle du Pic du Midi d’Ossau. L’origine de cette réserve permet de mieux saisir la perception de la protection de la nature encore exprimée à notre époque par certains béarnais. Cette réserve a résulté d’une initiative des sociétés de chasse locales, en accord avec les propriétaires des terrains c’est-à-dire les Syndicats pastoraux forestiers du Haut et du Bas Ossau. Cinquante années plus tard, les Ossalois citent volontiers son exemple pour rappeler que les populations locales s’étaient très tôt souciées de protection de la nature en n’hésitant pas à placer 6 000 ha hors des terrains de chasse. Le poids du Conseil supérieur de la Chasse et des associations pyrénéistes fut cependant déterminant, comme le rappelle J. Sermet qui révèle que « l’accord des communes propriétaires n’a été obtenu qu’après bien des difficultés »75.

D’autres réserves fédérales furent constituées, notamment à Cauterets, laquelle fut intégrée plus tard, comme celle d’Ossau, dans le Parc national des Pyrénées Occidentales ainsi qu’aux Bouillouses dans les Pyrénées-Orientales ou dans le massif d’Irati au Pays basque. Au plan local, des réserves partielles, c’est-à-dire

72 MAUZ I., 2002, "Comment est née la conception française des parcs nationaux ?", Revue de Géographie

Alpine, n° 2, p. 33-43.

73 Arrêté ministériel du 02/10/1951 relatif aux réserves de chasse. 74 Décret du 25/08/1934 relatif aux réserves de chasse.

limitée dans la durée, étaient également mises en place dès les années 1950 par des sociétés de chasse.

Toutes ces réserves étaient de superficie relativement importante, plusieurs milliers d’hectares. Elles avaient pour objectif la reconstitution des chevraies d’isards et dans une moindre mesure de grand tétras. Gibier recherché, les populations d’isard souffraient beaucoup de l’amélioration technologique des armes de chasse et d’une pression accrue depuis la fin de la guerre.

Néanmoins, derrière ce tableau éclectique, se profilaient deux modèles de gestion de la chasse :

• Un modèle dirigiste dans les réserves du Mont Valier et d’Orlu dans lesquelles, derrière l’autorité du pouvoir foncier, les pratiques étaient complètement différentes : le Mont Valier était une réserve gardée par une section de gardes forestiers ; Orlu était gérée comme un domaine de chasse privée.

• Un modèle d’autogestion collective dans les réserves fédérales, conduit sous l’influence des pyrénéistes (lesquels étaient bien implantés dans la moitié occidentale de la chaîne) parmi lesquels figuraient des responsables administratifs locaux. Mais ces réserves connaissaient des contraintes liées d’une part à l’assentiment des propriétaires terriens, qui étaient pour la plupart des collectivités, et d’autre part aux moyens financiers pour en assurer le gardiennage. Il fut proposé par exemple proposé que celle de Cauterets, insuffisamment surveillée, soit réduite au massif du Péguère.

La mise en place d’une politique de grandes réserves de chasse en Espagne

A l’instar de la France, la chasse revêt en Espagne une importante dimension identitaire dans le monde rural. Son activité a été très tôt codifiée par l’Etat. Des cotos reales et des cazaderos, réserves de chasse royales, existaient depuis longtemps et nous avons vu que les deux premiers parcs nationaux ont été créés à partir de deux de ces réserves. Dès 1928 fut également créé un Conseil supérieur de la Chasse et de la Pêche. Des réserves de chasse en sus des cazaderos furent mises en place au début des années 1930, notamment dans les Picos de Europa. La Guerre civile puis la difficile décennie 1940 ont cependant repoussé la mise en place d’une réelle politique cynégétique.

Au cours des années 1950, le Ministère de l’Agriculture mit sous régime de contention la pratique de la chasse dans d’autres secteurs de la montagne pyrénéenne. Le massif d’Anayet, entre les vallées de Tena et de Canfranc constitua la première réserve76, installée dans le prolongement de celle d’Ossau. Les réserves de la forêt d’Irati et du massif de Quint en Navarre furent constituées peu après. La

politique de protection cynégétique a réellement fait irruption dans le monde rural en 1966 de manière brutale. Le gouvernement franquiste décida alors la création d’un vaste réseau de réserves nationales de chasse, instauré à l’échelle du pays entier. Cette intervention, aux proportions sans précédent, fut alors justifiée par une pression de chasse considérable qui avait conduit depuis trente ans à un amoindrissement conséquent de certains cheptels de gibiers.

Le dispositif s’appuyait sur trois lois relatives à la chasse, promulguées en 1966, 1970 et 197377. En l’espace de sept ans, trente six réserves nationales de chasse sont ainsi créées, principalement dans les zones de montagne. Elles couvrent plus d’un million et demi d’hectares. Les sept réserves créées dès 1966 dans les Pyrénées recouvrent ainsi pas moins de 320 000 ha78. Toutes les sept avaient pour objectif initial la reconstitution des peuplements de grands gibiers de montagne et de certaines espèces avicoles ; cela concernait prioritairement l’isard, secondairement le sanglier et le grand tétras. L’isard, qui peuplait densément les Pyrénées espagnoles avant 193679, avait beaucoup souffert de la Guerre Civile puis de l’occupation militaire de la haute montagne (mise en place de la linea P) et enfin, comme sur le versant français, de sa vente comme gibier.

La loi de 1970 créa également les cotos nacionales de caza, petites réserves uniquement installées en propriété domaniale, gérées par les services de garderie de l’administration rurale. L’objectif de ces réserves portait sur la chasse au sanglier et au petit gibier compte tenu de leur localisation, généralement en zones de basse montagne et de plaine. Le statut de protection qui y fut affecté était cependant moins rigide que dans les réserves nationales : la chasse y était totalement ou partiellement interdite mais rarement de manière prolongée.

La gestion des réserves nationales pratiquée durant les quinze premières années était de type conservatoire puisque la chasse y était interdite. Les espèces qui étaient considérées en voie d’extinction bénéficiaient alors d’une protection quasi totale dans ces réserves. Toutefois des tirs de régulation étaient effectués. Dans sa thèse de doctorat, Gabriel Chapeau80 présente ce système de gestion cynégétique et le concept de "chasses scientifiques" qui a été développé dans ces réserves de chasse.

Nonobstant cette pratique, il ne faut pas oublier que dès l’origine, l’administration espagnole avait projeté dans ces réserves la conduite d’une exploitation cynégétique à des fins lucratives. La vente des permis, tout comme dans

77 Loi 37/1966 du 31/05/1966 relative à la création des réserves nationales de chasse; Loi 1/1970 du

04/04/1970 sur la chasse; Loi du 17/03/1973 sur la chasse.

78 Ce qui en fait, et de loin, le type d’espace protégé le plus représenté sur l’ensemble du massif. 79 MANAUD M., 1956, "Observation sur l’Izard dans les Pyrénées centrales", Annales de la Fédération

Pyrénéenne d’Economie Montagnarde, t. XXII, p. 85-90.

80 CHAPEAU G., 1985, Le tourisme et la mise en valeur des Pyrénées-Orientales espagnoles et

les réserves de pêche, était censée générer des ressources fiscales importantes. L’ampleur du réseau installé dans les Pyrénées espagnoles s’explique ainsi puisqu’il s’inscrivait dans l’optique du Plan Pyrénées, programme de développement touristique de la chaîne lancé dans les années 1960.

« Dans ces réserves, une fois qu’auront été atteints les niveaux de densité biologiques adéquats, le moment sera venu de gérer l’exploitation de cette richesse, qui devrait générer vers les comarcas aliénées un flux financier important, lequel permettra d’améliorer substantiellement les conditions économiques et sociales, pour le bénéfice de toutes les personnes concernées.

Avec la création de ces réserves débute en Espagne un important programme de protection et de conservation de la faune, par lequel il sera possible de garantir l’utilisation rationnelle de ces ressources, contribuant ainsi à assurer le maximum de satisfaction sociale, économique et récréative que la Nature et les êtres qui la peuplent peuvent procurer à une communauté. »81

En dépit de la singularité de cette approche qui tranche avec la gestion conservationniste technicienne pratiquée dans le parc d’Ordesa et relève à la fois d’un dispositif de protection d’espèce que d’un dispositif de gestion de rente, il convient de relativiser les ambitions présentées par cette méthode de gestion. La protection de la faune est essentiellement une protection de principe dans les vedados de caza car les réserves disposent de peu de personnel : 145 gardes étaient en service pour toutes les réserves espagnoles en 1974 ; il n’y avait ainsi au maximum qu’une dizaine de personnes par réserve, pour des superficies dépassant parfois les 50 000 ha, soit une proportion nettement inférieure à celle des garderies françaises.

1.2.2. LA LENTE MUTATION DE LA POLITIQUE DES PARCS NATIONAUX SOUS LE REGIME

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