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L A PROTECTION MUSEOGRAPHIQUE DU PATRIMOINE NATUREL DANS LES P YRENEES ESPAGNOLES

T ABLEAU 1 C LASSIFICATION DES E SPACES NATURELS PROTEGES PYRENEENS

1.1. L’ EMERGENCE DES POLITIQUES DE PROTECTION MUSEOGRAPHIQUE DE LA NATURE ET LEUR APPLICATION DANS LES P YRENEES

1.1.2. L A PROTECTION MUSEOGRAPHIQUE DU PATRIMOINE NATUREL DANS LES P YRENEES ESPAGNOLES

Les premières démarches de protection de la nature en Espagne furent l’œuvre des administrations forestières. C’est à partir de la législation forestière établie dans la décennie 1860 que s’est répandue une sensibilisation croissante de l’idée de protection de la nature, qui aboutit à la loi de 1916. Les premières propositions de création de parcs nationaux en Espagne furent d’ailleurs formulées en 1902, à la fois par des ingénieurs des Montes pour la Sierra de Montserrat et par le Centre excursionista catalan (CEC), lequel proposait également de constituer des parcs à Tibiado et au Montseny22. Ces initiatives intervinrent donc à une époque où le concept commençait à peine à rencontrer un début d’audience dans les pays latins et où n’existait encore aucun parc en Europe.

Les dispositions de la loi de 1916 sur les parcs nationaux

La figure de protection du parc national incarne probablement dans l’imaginaire collectif l’icône majeure de la protection de la nature, à laquelle elle est historiquement associée. Ce concept d’origine nord-américaine a passé les frontières pour devenir un outil référent utilisé partout dans le monde. Il a également inauguré un phénomène socioculturel holistique en contribuant à répandre et à perpétuer auprès de toutes les sociétés, particulièrement européennes et nord-américaines, les imaginaires fantasmagoriques de nature sauvage et d’espaces naturels.

Certes, l’appellation cache une grande diversité d’applications et d’usages. Néanmoins, avant que les sociétés occidentales n’en arrivent à l’âge de maturation de leurs politiques de protection de la nature, l’idée de parc national a constitué une véritable fixation pour les promoteurs de la préservation de "la vie sauvage" et des paysages. Dès la fin du 19ème siècle la création de parcs nationaux est au cœur des débats réunissant, autour des questions de protection de la nature, scientifiques, esthètes, forestiers et parfois quelques hommes politiques visionnaires. La question des parcs nationaux a donc été depuis longtemps débattue en France comme en

22Les membres du CEC, fondé en 1876, se revendiquaient d’un pyrénéisme "scientifique". Sur la pensée

et les référentiels des excursionistas, voir l’article de Jordí Martí-Henneberg (1996, "El excursionismo : entre la ciencia y la estética", Mundo científico, n° 173, p. 962-969.

Espagne mais les cheminements historiques de son application ont été fort différents.

C'est sur le versant espagnol qu’est intervenue la création du premier parc national pyrénéen. Le royaume inaugura sa première loi sur les parcs nationaux dès 1916. Cette loi23 fut essentiellement l’œuvre d’un homme, le sénateur Pedro Pidal, Marquis de Villaviciosa. La notoriété de celui-ci ne doit pourtant pas occulter le fait qu’il ne fut ni le seul ni le premier à s’investir en Espagne pour la création de parcs nationaux. Les rôles des ingénieurs forestiers, des cercles excursionistas ainsi que celui des sociétés savantes furent déterminants.

La démarche de protection de la nature initiée par Pedro Pidal s’était focalisée sur l’outil parc national car elle était fortement inspirée de l’exemple nord- américain et des initiatives alors récentes prises par la Suède (création des premiers parcs nationaux européens en Laponie en 1909) et surtout la Suisse (création du parc national de l’Engadine dans les Grisons en 191424). Influencée par ces modèles, la loi de 1916 présente ainsi des critères d’élection très restrictifs pour l’octroi du statut de parc national :

« Seront considérés [parcs nationaux] les sites ou paysages du territoire national exceptionnellement pittoresques, forestiers ou non exploités ; l’Etat les prend à sa charge avec l’objectif exclusif de favoriser leurs accès par des voies de communication adéquates et de faire en sorte que soit respectées la beauté naturelle de leurs paysages, la richesse de leur flore et de leur faune, ainsi que les particularités hydrologiques et géologiques qu’ils recèlent, en évitant avec la plus grande efficacité tout acte de destruction, de détérioration et de défiguration provoqué par la main de l’Homme. »25

Les deux premiers parcs, créés en 1918, Covadonga dans les Monts Cantabrique et Valle de Ordesa26 dans les Pyrénées aragonaises, situent parfaitement l'approche muséographique de la démarche qu'ils teintent également d'une dimension identitaire en leur qualité de hauts lieux historiques27. Il fait peu de doute que le choix de Covadonga soit lié aux origines asturiennes de Pedro Pidal. Quant à Ordesa,

23 Loi du 07/12/1916 sur les parcs nationaux.

24 Le parc national de l’Engadine constitue un précédent : c’est en effet le premier parc national qui ne

soit pas situé aux limites de l’œkoumène, mais dans un véritable territoire rural, ce qui n’y empêcha pas la mise en place d’un mode de gestion très rigoriste, orienté dans le sens de la libre évolution des milieux.

25 Extrait de la loi de 1916 sur les parcs nationaux.

26 Décret du 16/08/1918 instituant el Parque nacional del valle de Ordesa. Le parc fut installé

concrètement en 1920.

27 En 718, Covadonga fut le théâtre de la première bataille remportée par les héritiers du royaume

wisigoth de Tolède sur les troupes maures et berbères, assurant la survie du petit royaume des Asturies. Les Pyrénées aragonaises ont constitué un autre lieu de retraite des chrétiens, autour du petit royaume de Jaca (embryon du futur Royaume d'Aragon), replié sur les hautes vallées de la Jacetania et du Sobrarbe. Le souvenir de la lutte contre les Maures est toujours célébré dans le Haut Aragon au cours de la Morisma, événement bisannuel marquant le souvenir de la bataille de l’Ainsa (début du IXème s).

le site bénéficiait déjà d’une renommée internationale dans les milieux intellectuels, ses beautés naturelles ayant été relatées par de nombreux écrivains et pyrénéistes (Ramond de Carbonnières, le Comte Henry Russel ou encore Franz Schrader pour ne citer que les plus illustres). L’explorateur pyrénéen Lucien Briet28, qui parcourut plusieurs fois les montagnes du haut Aragon entre 1890 et 1909, notamment à la demande de la Société Royale de Géographie d’Espagne, avait suggéré l’idée de créer sur le site d’Ordesa un parc national « à l’image de celui du Yellowstone ». Chasseur et pyrénéiste, Pidal connaissait très bien les qualités que ce site pouvait présenter pour ses projets de parcs nationaux. Un projet de valorisation hydro- électrique sur le río Ara, accordé à l’été 1918, précipita la décision de classement.

La protection du patrimoine paysager hors des parcs nationaux

On trouve trace très tôt en Espagne d'un souci d’inventaire et de conservation de sites paysagers naturels, notamment au sein de l’administration forestière. Bien que semblable dans le cheminement, l’émergence institutionnelle de la notion de "monument naturel" s’est opérée en Espagne selon une approche différente de ce qui s’est déroulé en France. Ainsi, l’outil du sitio natural a été créé dans la continuité de la loi de 1916 ; cet outil était donc à l’origine destiné à être utilisé comme complément de celui du parc national, les conditions de classement comme parc national étant, nous l’avons vu, très restrictives. Cette initiative est à attribuer à la Société espagnole d’histoire naturelle qui convainquit Pedro Pidal de l’utilité d’un dispositif complémentaire permettant de protéger d’autres "monuments naturels" que les seuls parcs.

Cet outil n’a pourtant été que très peu employé, du fait des imprécisions sur les critères de classement et du manque de temps et de motivation des services des Montes chargés de son application29. Ce sont en effet les services des Montes qui avaient été chargés30 de l’établissement des inventaires des sitios naturales par la loi de 1916. Le corps des forestiers de la Dirección General de Montes fut donc mobilisé autour des projets de création des parcs nationaux ainsi que dans la constitution des inventaires des hauts sites patrimoniaux.

C’est d’ailleurs dans les Pyrénées que fut classé l’unique sitio nacional version 1916. Il s’agit du Bosque de San Juan de la Peña, dans les Prépyrénées oscenses,

28 Lucien Briet (1860-1921) réalisa un important travail de description ethnographique et géographique

des Pyrénées aragonaises, associé à un colossal travail de prises de vues (1 600 clichés, conservés au Musée Pyrénéen de Lourdes). Une partie de son œuvre fut publiée en 1913 sous le titre Bellezas del Alto Aragón, ouvrage qui eu un retentissement non négligeable dans les milieux pyrénéistes et des intellectuels s'intéressant à la montagne. Voir notamment à ce sujet : BERGER-VERDANAL M.-G., 1997, "Briet et la parc national de Ordesa", Pyrénées, n° 191, p. 213-220.

29 MUÑOZ GOYANES G., 1962, op. cit. La loi de 1916 ne donna que quatre mois aux services forestiers

pour établir différents types de listes de sites naturels dans leurs districts respectifs.

30 Décret royal du 23/02/1917 relatif à l’établissement des listes d’inventaires des sitios naturales de

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