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L A DIFFICILE REQUALIFICATION DES PARCS NATIONAUX ESPAGNOLS APRES 1975 Concurrence et complémentarité avec les enjeux de l’aménagement des espaces

C ARTE 3 L ES PROJETS DE PARC NATIONAL DANS LES PYRÉNÉES OCCIDENTALES

2.1. L ES MUTATIONS DES POLITIQUES ETATIQUES DE PROTECTION FACE AUX NOUVEAUX ENJEUX DU DEVELOPPEMENT MONTAGNARD (1975/1995)

2.1.3. L A DIFFICILE REQUALIFICATION DES PARCS NATIONAUX ESPAGNOLS APRES 1975 Concurrence et complémentarité avec les enjeux de l’aménagement des espaces

montagnards

Lors de l’application des principes de révision de la politique des parcs nationaux contenus dans la loi de 1975, des conflits importants ont surgi entre administrations, collectivités locales et aménageurs. En conséquence, la refonte juridique et administrative et l’objectif d’extension des périmètres avancés dans cette loi ont ainsi été longs à être effectués. Ce n’est d’ailleurs pas un trait propre aux parcs pyrénéens, de vives polémiques apparurent également autour des parcs de Covadonga dans les Asturies et de Doñana en Andalousie.

Dans les Pyrénées, le premier a être reclassé fut celui d’Ordesa qui devint en 1982 le parc d’Ordesa y Monte Perdido à la suite de l’agrandissement conséquent de ses limites puisque sa superficie a été multipliée par cinq. Cette extension était envisagée de longue date, notamment dans le contexte de la création d’un parc national frontalier côté français179. Lors de ses premières enquêtes de terrain en 1976, l’ICONA n’envisageait qu’une extension réduite (2 200 ha), principalement dans le massif du Mont Perdu. Ce projet suscita cependant l’opposition de l’ayuntamiento de Bielsa dont nous exposons les raisons ci-après. Engagé dans une impasse, le dossier de l’extension put cependant tirer profit d’un événement contextuel : la relance des projets d’équipement hydro-électrique prévus en périphérie méridionale du parc.

Depuis 1971 en effet était apparu un projet très polémique : une concession accordée à l’entreprise Hidronito Española concernant la construction d’un barrage et d’une centrale de turbinage aux Saltos de Bellós dans le canyon d’Añisclo. En sus de l’ennoiement de cette vallée karstique reconnue d’une grande qualité paysagère, l’équipement prévu devait permettre d’alimenter une usine de fabrication de manganates et de silicates de fer, produits très toxiques qui auraient provoqué la pollution des eaux du río Bellós et à l’aval celles du río Cinca. Avec la relance de ce projet en 1981, l’extension du parc d’Ordesa se retrouva au cœur de l’un des premiers mouvements environnementalistes qu’ait connu l’Espagne, avec l’organisation de manifestations qui reçurent un soutien important de la part du public. Cette mobilisation s’appuyait sur le regroupement élargi d’intérêts divers : ceux de l’ICONA, des institutions scientifiques, de la plupart des ayuntamientos, des associations de riverains et des associations de protection de la nature.

Ce large rassemblement en faveur de l’intégration du canyon d’Añisclo diffère sensiblement des conditions rencontrées pour l’extension du parc vers le Nord-Est,

179 Elle fut évoquée pour la première fois lors de la session de juin 1957 de la Commission des Pyrénées

sur le massif du Mont Perdu, laquelle a été plus difficile à obtenir. Les enjeux socio- économiques concernés étaient différents : ils n’impliquaient plus cette fois une opposition devenue classique entre partisans d’un équipement et partisans d’une protection de l’espace mais entre projets des collectivités locales et projets des administrations. L’ayuntamiento de Bielsa ainsi que des propriétaires fonciers, cherchaient à conserver la jouissance complète de « leur montagne », la vallée de Pineta.

L’extension du parc contrecarrait les projets de station de sports d’hiver qu’envisageait l’ayuntamiento dans le cirque de Pineta. Elle remettait également en question l’exploitation forestière dans la vallée de Pineta. Cette politique venait alors en contrepoint de celle avancée depuis les années 1960 par les services du Ministère de l’Agriculture qui avait encouragé les municipios à renforcer leur exploitation forestière, notamment en finançant la construction de pistes. Bielsa était entrée dans cette dynamique et a défendu les intérêts de son industrie forestière. En s’arrêtant en bordure du cirque de Pineta le nouveau périmètre du parc ne pénétra pas dans la vallée : Bielsa obtint ainsi le maintien de son potentiel forestier mais dut renoncer à ses projets de station de sports d’hiver dans le massif du Mont Perdu.

L’extension du parc d’Aiguëstortes a été plus compliquée car, à la recherche d’une conciliation des différents enjeux socio-économiques et environnementaux, s’est ajoutée une compétition politico-juridique entre l’autonomie de Catalogne et l’Etat espagnol. L’agrandissement des limites du parc a été une opération difficile car fortement contestée par les décideurs locaux. Dès 1976 ces derniers n’avaient pas hésité à s’opposer à l’administration encore puissante de l’ICONA, laquelle avait préparé à l’instar des autres parcs un premier projet d’extension. Le projet de "parc national d’Aiguas tortas, San Mauricio, Alt Aneu y Montardo" dont le périmètre doublait quasiment la superficie du parc originel (18 809 ha) se serait agrandi dans deux directions : vers le Nord, donc sur le territoire aranais et vers l’Est sur le municipio d’Espot et le Val d’Aneu. Cette proposition présentait le désavantage d’entrer en concurrence d’une part avec les gros exploitants forestiers aranais et d’autre part avec les projets de développement des activités de sports d’hiver dans ce secteur. Elle fut rejetée par la plupart des élus locaux180.

L’opposition des grandes entreprises hydroélectriques parapubliques qui exploitaient le massif des Encantats depuis les années 1940 et envisageaient de nouveaux équipements a également joué une force d’opposition considérable. Elles ont défendu avec ténacité et ingéniosité leurs prérogatives :

 en ne s’opposant pas directement au projet d’extension.

 en revendiquant le nécessaire maintien de leurs activités, eu égard aux dispositions du Plan Eléctrico Nacional et du Plan national de développement socio-économique.

 en se ralliant aux arguments défendus par les ayuntamientos concernant le respect de la propriété privée, conformément aux engagements de la loi de 1975.

Par la suite l’ICONA a essayé d’exploiter la voie de la maîtrise foncière, recommandée par la loi de 1975. Il acquit en 1982 une importante propriété privée sur laquelle il souhaitait étendre le parc. Un agrandissement de 5 240 ha fut alors envisagé mais ce fut l’occasion d’une nouvelle levée de boucliers.

La question de la rectification des limites ne s’est, en définitive, débloquée que très progressivement. Une première extension limitée à 379 ha est approuvée en 1988 par la Generalitat lors de l’établissement de la loi catalane de reclassification du parc. Sa superficie passe alors de 9 851 ha à 10 230 ha. A cette occasion est également mise en place une première zone périphérique de protection (ZPP). Cet accord a provoqué cependant l’hostilité des décideurs locaux, lesquels n’avaient pas été intégrés aux négociations de mise en place de cette ZPP et ne souhaitaient pas hypothéquer des projets d’aménagement pouvant intéresser le développement local. Ils réclament alors l’exclusion de 6 300 ha inclus dans la ZPP et une plus grande participation au patronato du parc. Cette évolution dans le jeu de négociation a incité les associations de protection de l’environnement, notamment la DEPANA* qui est la plus importante des associations catalanes, à entrer en confrontation avec les revendications des ayuntamientos et des propriétaires privés.

Afin de concilier les différentes parties, une loi du gouvernement autonome catalan procède en 1990 à une rectification de la ZPP181 : un agrandissement de 5 000 ha de la ZPP est concédé par les ayuntamientos contre la rétrocession de 2 500 ha inclus dans le périmètre existant, situés dans des secteurs qu’intéressent les activités sylvicoles et les domaines skiables (Super-Espot). Cet accord ne rencontra cependant pas l’accord de l’ensemble des protagonistes locaux, les élus aranais notamment, bien que soient restituées des parcelles potentiellement concernées par l’extension de leurs domaines skiables.

En 1994 est avancé un nouveau projet d’agrandissement du parc lui-même. Après deux nouvelles enquêtes, l’une publique, l’autre administrative, et malgré l’hostilité persistante des élus aranais à la présence du parc national sur leur territoire, le nouveau périmètre du parc est définitivement approuvé en 1996182 ; sa superficie actuelle est de 14 119 ha hors sa ZPP.

181 Loi 22/1990 du 28/12/1990 relative à la modification partielle des limites de la zone périphérique de

protection du Parc national d’Aiguëstortes.

Les désaccords entre les acteurs socio-économiques locaux et les administrations de l’environnement ne portèrent pas tant sur les limites des parcs que sur l’établissement des ZPP. Dans le parc d’Ordesa aussi, la ZPP a été très restreinte dans les trois nouveaux secteurs du parc et n’existe parfois pas sur certains tronçons du périmètre du parc.

Cette défiance des acteurs locaux vis à vis de la définition des ZPP était doublement justifiée car l’objectif qui leur est fixé (réduire les impacts paysagers et les impacts sur le fonctionnement des écosystèmes provoqués par les activités humaines dans les secteurs situés en continuité territoriale avec les parcs nationaux) implique deux éléments importants.

Sur la forme d’abord, les ZPP imposent des servitudes. On peut se référer par exemple à la loi de requalification du parc d’Aiguëstortes de 1988 :

« Il est délimité [autour du parc] une zone de protection extérieure continue et périphérique, ayant pour finalité de garantir une complète protection des ressources naturelles ayant justifié le classement du parc, et éviter les éventuels impacts écologiques et paysagers en provenance de l’extérieur. […] Sont seuls autorisés les usages et activités traditionnels compatibles avec les objectifs de protection et de conservation du parc. »183

Dans les ZPP, l’utilisation du sol et des ressources naturelles est réglementée dans le cadre des dispositions fixées par le PRUG* du parc. Les lois de reclassification des deux parcs pyrénéens garantissent dans les ZPP l’attribution du régime de "sol non urbanisable de protection spéciale", statut foncier les préservant de quasiment toute possibilité d’aménagement urbanistique. En outre n’y sont autorisées que les activités considérées comme traditionnelles ainsi que les activités de pédagogie à l’environnement et de tourisme doux ; toute activité est soumise à un régime de régulation et d’autorisation préalable.

Sur le fond ensuite :

 Les ZPP font juridiquement partie des parcs dont elles constituent des extensions. Juridiquement, ce sont des zones de transition où sont également mis en place des dispositifs de protection supervisés par les structures de gestion des parcs ainsi qu’une réglementation précise et un zonage. Elles peuvent donc toujours être qualifiées d’espaces naturels protégés.

 Elles sont perçues comme des zones d’agrandissement futur des limites proprement dites des parcs. L’agrandissement des limites du Parc d’Aiguëstortes effectué en 1996 a ainsi porté sur un secteur de la zone périphérique du parc.

183 Loi 7-1988 du 30/03/1988 du Parlement de Catalogne portant requalification du Parc national

ENCADRE 3 - METHODOLOGIE DU ZONAGE DES PARCS NATIONAUX ESPAGNOLS

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