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L A LENTE MUTATION DE LA POLITIQUE DES PARCS NATIONAUX SOUS LE REGIME FRANQUISTE

E NCADRE 2 L E REGIME DE PROTECTION DES SOLS EN MONTAGNE

1.2. E NJEUX AUTOUR DES ESPACES PROTEGES PYRENEENS ET CONFRONTATION AUX OBJECTIFS DE L ’ AMENAGEMENT MONTAGNARD DURANT LES T RENTE G LORIEUSES

1.2.2. L A LENTE MUTATION DE LA POLITIQUE DES PARCS NATIONAUX SOUS LE REGIME FRANQUISTE

En 1957, le statut juridique des parcs nationaux fut légèrement rectifié dans la Ley de Montes laquelle constitua la nouvelle base de gestion de l’espace rural. Deux petits articles furent consacrés aux parcs nationaux. A leur lecture on constate que les caractères d’une approche muséographique et esthétique y étaient tout d’abord réaffirmés avec vigueur :

« Un parc national est un territoire doté d’extraordinaires beautés naturelles, que l’Etat, en vue de son intérêt supérieur, a protégé et soumis à une réglementation spéciale dans le but de le transformer en sanctuaire de sa flore et de sa faune. Il l’a déclaré inaliénable à perpétuité, dans le but de le transmettre

aux générations futures dans son état originel, afin que subsiste un contact direct avec la Nature, au bénéfice de la santé, de la culture et du plaisir de la population. »82

Notons les termes utilisés notamment ceux de "sanctuaire", "inaliénable à perpétuité" et "état originel" ; ils expriment une vision de la protection qui demeure profondément conservatoire, approche qui fait chorus avec la conception de la gestion des ressources naturelles alors dominante chez les administrations de l’espace rural.

Cette loi n’abandonna pas l’autre dimension paradigmique de la politique de protection de la nature constituée par l’approche paysagère, en créant l’outil du monumento natural de interés nacional :

« Peuvent être déclarés comme tels les éléments ou curiosités du paysage au caractère particulièrement pittoresque et d’une beauté ou d’une rareté extraordinaires, comme les rochers, les chaos, les arbres géants, les cascades, les grottes, les défilés, etc. »83

Cet outil ne fut cependant pas utilisé avant les années 1970 lorsque les services forestiers établirent de nouveaux inventaires concernant les "paysages pittoresques".

82 Loi du 08/06/1957 dite “Ley de Montes”, art. 78 et 79 (souligné par nous). 83Loi du 08/06/1957 dite “Ley de Montes”, art. 189.3.

• Peu de contacts avec les scientifiques, hormis le Conseil Supérieur de la Recherche

• Pas de contact avec les quelques sociétés naturalistes existantes mais présence de certaines associations d’usagers (chasseurs, pêcheurs, propriétaires) dans les juntas. •

Dirección General de Montes, Caza y Pesca

Comisaría de Parques nacionales

Ministerio de Agricultura

Servicio nacional de pesca fluvial y caza

Juntas de parques

• Nette prépondérance de l’administration des services forestiers dans le fonctionnement des juntas de parques

• Représentation civile strictement limitée aux maires qui sont alors nommés par les représentants de l’Etat

FIG 6 - SYSTEME INSTITUTIONNEL DE PROTECTION DE LA NATURE

La loi de 1957 avait en outre renforcé le pouvoir de coercition de l’Etat sur le domaine forestier privé. La déclaration de forêts privées comme montes protectores constituait un sujet difficile, source de crispation avec les propriétaires et les collectivités locales, y compris pendant la période franquiste. Par les servitudes qu’elles imposent, le classement de forêts comme montes catalogados ou montes protectores induisait des régimes spéciaux de gestion, entraînant une véritable tutelle de l’Etat sur la propriété municipale, notamment les montes communales. Ces dispositions s’étaient confrontées un peu partout en Espagne à la propriété privée, notamment la propriété privée collective des montes de vecinales en mano común84. La mise en tutelle de la gestion forestière a été fortement critiquée, y compris lorsqu’elle avait pour objet le maintien de montes catalogados ou de montes protectores dont la fonction de protection s’avérait indéniable. L’administration a en fait toujours été mise en porte à faux entre d’une part l’impossibilité d’acquérir, en dépit de régimes d’expropriation avantageux, la majeure partie des forêts concernées85 et d’autre part la prédominance d’un type de gestion forestière essentiellement orientée vers la politique de reboisement, au détriment des autres fonctions sociales, écologiques et économiques des forêts.

L’apparition d’un autre parc dans un contexte d’affirmation du modèle de gestion fonctionnaliste de la montagne

Le choix de classer comme parc national le massif des Encantats a suscité de nombreuses interrogations. Certes cette montagne constituait l’un des sites mythiques du pyrénéisme catalan et le Plan Macià de 1932 y situait le parc national de l’Alt Pirineu. Cependant depuis le début du 20ème siècle et plus particulièrement depuis la décennie 1940, ce massif avait fait l’objet d’aménagements hydroélectriques importants.

Le projet de parc de l’Alt Pirineu n’a donc pas de lien direct avec la création du Parc national d'Aiguas tortas y Lago de San Mauricio qui intervint en 195586. Bien que cette initiative soit intervenue dans un contexte de relance de la politique des parcs nationaux87, plusieurs auteurs espagnols confirment la thèse selon laquelle la création de ce parc est d’abord le fruit d’un concours de circonstances88.

84 Il s’agit de formes de propriétés collectives fort anciennes, généralement mises en place avec la

Reconquista et qui prévoyaient l’organisation de l’exploitation commune de la forêt à l’échelle locale. Ce sont des bien indivis, appartenant aux habitants et non aux collectivités locales elles-mêmes (les habitants d’un ayuntaminento par exemple) ; les montes de vecinales en mano común sont inaliénables et bénéficient de régimes fiscaux particuliers.

85 ALVAREZ VAQUERIZO C., 1989, op. cit.

86 Décret du 21/10/1955 du Ministère de l’Agriculture portant création du Parc national d’Aiguas tortas y

Lago de San Maurcio. Par commodité, nous désignerons ce parc par son nom catalan "Aiguëstortes i estany de Sant Maurici" ou plus simplement Parc national d’Aiguëstortes.

87 Création des petits parcs nationaux canariens d’El Teide et de la Caldera de Taburiente en 1954. 88 FERNANDEZ J. & PRADAS REGEL R., 1996, op. cit.

Le parc est en fait né sur l’intervention directe du Général Franco, amateur des paysages de la région et visiteur régulier de la station thermale du Balneario de Caldes dans la vallée de Boí. Sa décision de créer un parc national a été influencée par le président de l’ENHER*, l’une des puissantes compagnies parapubliques d’hydroélectricité, afin d’affaiblir les exploitants forestiers privés du massif avec lesquels l’ENHER était en conflit89. Quoiqu’il en soit, le classement du parc d’Aiguëstortes s’effectua de manière expéditive à l’automne 1955.

Cette origine arbitraire démontre l’affaiblissement considérable de la politique des parcs. La création du parc d’Aiguëstortes révèle que les parcs pouvaient être réduits à de simples outils de maîtrise foncière manipulés par les promoteurs industriels afin de renforcer leur pouvoir sur l’espace montagnard. La puissance financière dont disposaient alors les entreprises de production hydroélectrique et leur place cruciale dans la stratégie de développement national promue par le gouvernement franquiste les plaçaient de facto à l’abri d’une restriction de leurs activités.

Assez rapidement cependant les lacunes qui avaient accompagné la création de ce parc se révélèrent et durent être reconnues y compris par l’Etat. Le premier document technique réalisé sur les parcs nationaux espagnols, œuvre d’un ingénieur des Montes en 196290, signalait tout d’abord un manque de « cohérence biogéographique » du parc parce qu’il était réparti sur deux vallées et deux comarcas, cette situation empêchant vraisemblablement une gestion cohérente du périmètre. Il dénonçait également les pressions et les impacts excessifs que continuaient à subir les milieux par l’existence d’activités d’exploitation des ressources relativement agressives, sylvicoles et hydroélectriques (installations de l’ENHER pour le versant ribagorçan, le secteur occidental et d’Hidroeléctrica de Cataluña pour le versant du Pallars, le secteur oriental).

En 1976 un rapport du service provincial de l’ICONA* de Lerida revenait sur ces lacunes : « [la décision de ce classement] fut effectuée avec une improvisation précipitée en raison du manque d’études sérieuses et de l’absence de protection réelle des différentes richesses naturelles représentatives. »91. Il est fait ici allusion au maintien de l’exploitation forestière à l’intérieur du parc et aux importantes infrastructures hydroélectriques qui y ont été installées. Aux aménagements

89 V. Muñoz de Oms alors président de l’ENHER, par représailles envers une société privée d’exploitation

forestière avec laquelle il était en conflit au sujet de ventes de parcelles et de lots de bois d’œuvre, aurait suggéré au chef de l’Etat l’idée de créer un parc national dans ce secteur.

90 MUÑOZ GOYANES G., 1962, Parques nacionales españoles – Dirección General de Montes, Caza y Pesca

fluvial, Madrid, 189 p.

91 Cité par FERNANDEZ J. & PRADAS REGEL R., 1996, op. cit. Le décret du 21/10/1955 portant création

du Parque nacional de Aiguas Tortas y Lago de San Mauricio est effectivement bien succinct (4 articles, 40 lignes !), se bornant à constater la création du parc, ses limites et la composition de son comité d’administration.

préexistants au parc, d’autres furent ajoutées, notamment à la fin des années 1950, pour augmenter le potentiel hydroélectrique du massif et jusqu’au milieu des années 1980, les méthodes de gestion sylvicole impliquaient régulièrement des coupes rases à l’intérieur même du parc.

Les activités sylvicoles et énergétiques eurent un impact certain sur les milieux et furent considérées comme très néfastes pour la pérennité des écosystèmes et des paysages92. A l’exception de l’interdiction de la chasse, la législation de la Ley de Montes ne fut donc pas appliquée à ce parc. Aussi l’UICN refusa t-elle dès 1963 et pendant plusieurs décennies, de le classer dans la catégorie II de sa classification des espaces protégés. Ce n’est pas un cas isolé en Espagne puisque pendant leurs vingt premières années d’existence, les parcs nationaux canariens d’El Teide et de la Caldera de Taburiente ne furent pas reconnus non plus par l’UICN en raison de l’absence de moyens de gestion spécifiques.

Les limites matérielles de la gestion des parcs

Le manque de moyens de gestion a été durant toute la période fonctionnaliste un mal chronique pour les parcs nationaux espagnols. A l’instar des autres parcs nationaux du pays, les parcs pyrénéens n’ont ainsi eu que des équipes techniques réduites jusqu’au milieu des années 1980. L’équipe du parc des Aiguëstortes était très restreinte : elle n’était composée dans les années 1960 que de deux gardes (un par vallée !) et d'un ingénieur des Montes détaché au parc sur une partie seulement de son service. Cette équipe ne pouvait donc intervenir que de manière très lâche sur l'ensemble de la superficie protégée (10 500 ha). En 1986, l’équipe est passée à huit gardes supervisés par un directeur.

Le parc d’Ordesa, bien qu’antérieur de trente-cinq ans, n’était guère mieux loti. Deux gardes y étaient certes affectés dès 1920 ; en 1969 seul un ingénieur des Montes était venu étoffer l’équipe et faisait office de directeur, comme à Aiguëstortes. Deux gardes supplémentaires furent adjoints au début des années 1970. Cette situation d’effectif limité a donc perduré longtemps, y compris après l’agrandissement du parc dont la superficie fut multipliée par six en 1982.

En raison de leur capacité réduite en moyens de fonctionnement et de compétences, la mission de ces équipes a longtemps consisté principalement à n’assurer qu’un service de surveillance et de police, faisant ainsi perdurer une conception du travail fondée d’abord sur le souci d’application du règlement des interdits d’usage. Le suivi scientifique des parcs était quant à lui dès l’origine réservé aux universités, qui se sont acquittées de cette tâche avec plus ou moins de

rigueur selon les époques et les affinités, par l’entremise notamment de missions estivales (depuis Barcelone pour les Aiguëstortes et Saragosse pour Ordesa).

Ces insuffisances en moyens matériels, qui rappellent celles des réserves nationales de chasse, sont révélatrices de la faible place de cette politique dans l’ensemble de l’appareil franquiste du génie rural. L’essor du tourisme estival montagnard puis des formes nouvelles du tourisme de nature à partir des années 1960 a cependant incité progressivement les autorités à rechercher une rentabilisation des parcs et donc à augmenter leurs moyens. En 1965, les deux parcs pyrénéens recevaient alors, selon les estimations, entre 25 et 30 000 visiteurs annuels.

La fin de la période franquiste a été cependant marquée par l’émergence d’une théorie du « conservationnisme utile »93. Le Ministère du Tourisme fait désormais partie intégrante de la Commission nationale des Parcs nationaux. Au début de la décennie 1960, le Plan Pyrénées94 a défini les objectifs de construction d’un produit touristique pyrénéen, centré principalement sur la mise en place de stations de sports d’hiver dans la partie occidentale de la chaîne mais qui abordait aussi l’exploitation d’autres ressources touristiques, notamment la chasse au grand gibier et la villégiature de montagne95. Ce changement de perspective a contribué à la révision de la politique des parcs car il nécessitait un partenariat plus actif les populations locales. Nous aborderons cette évolution dans le chapitre suivant.

1.2.3. LES PARCS NATIONAUX FRANÇAIS DE LA LOI DE 1960 AU CARREFOUR DES POLITIQUES

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