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L’ INTERFACE PROTECTION / DEVELOPPEMENT , CARREFOUR DES CRISES ENVIRONNEMENTALE ET SOCIALE DANS LES ZONES RURALES PERIPHERIQUES

4.1.LA PROTECTION DE LA NATURE ET L’EVOLUTION DES ESPACES RURAUX

Dans les pays industrialisés, les espaces protégés sont localisés pour leur plus grande partie dans les zones rurales et plus particulièrement dans les zones rurales périphériques133. Si l’on met à part le cas de parcs naturels périurbains, souvent de taille réduite, créés quelquefois à proximité d’agglomérations importantes (tels les parcs naturels régionaux franciliens ou de la région lyonnaise, quelques petits parcs nationaux en Europe centrale) et celui de petits noyaux de protection forte (type réserve naturelle) insérés dans des ensembles à vocation socioéconomique urbaine de type industriel, commercial ou résidentiel (aux Pays-Bas ou en Suisse notamment), les zonages de protection ont été créés dans des zones faiblement peuplées et les moins fortement marquées par l’artificialisation de l’espace.

La raison principale de cette répartition tient à ce que l’apparition des politiques de protection zonale de la nature a été contemporaine des importants processus de dévitalisation et de déstructuration territoriale qui ont touché un grand nombre d’espaces ruraux européens au cours du 20ème siècle. Cette évolution a concerné en priorité les espaces dont l’intégration dans les dynamiques de

132 COMMISSARIAT GENERAL AU PLAN, JOUVE H. (dir.), 1991, Les espaces naturels, un capital pour

l’avenir, La Documentation française, 351 p.

133 Nous préférons employer ici le terme de zones rurales périphériques plutôt que de parler de "zones

défavorisées", terme trop négativement connoté. Par zones rurales périphériques, nous considérons les territoires appartenant de par leurs caractéristiques géographiques au monde rural mais qui se singularisent par une faible densité de peuplement et du tissu productif, une faible diversité organisationnelle, qui sont situés à l’écart des aires d’attraction polarisées autour des cœurs urbains et se placent ainsi en discontinuité des réseaux socio-économiques dominants (cf. AUBERT F., GUERIN M. & PERRIER-CORNET Ph., "Organisation du territoire : un cadre d’analyse appliqué aux espaces ruraux", Revue d’Economie Régionale et Urbaine, n° 3, 2001, p. 393-414).

compétitivité et de spécialisation de filières a été hasardeuse ou infructueuse, et qui furent désormais marqués par une faible capacité de rentabilité. Les processus de concentration de l’activité, de fonctionnalisation et de spécialisation des espaces, conséquence des choix formulés par les politiques nationales d’aménagement du territoire du troisième quart du 20ème siècle, ont accru volontairement ou non la marginalisation socio-économique d’une partie importante des espaces ruraux européens. Les processus de déstructuration initiés durant le 19ème siècle, comme l’exode, ont ainsi été longtemps favorisés.

En outre, il ne fait aucun doute que pour une partie des zones concernées, les conditions biogéographiques inhérentes à leurs milieux ont généré des dynamiques singulières d’anthropisation, caractérisées par une mise en valeur et une occupation autant sélectives que minutieuses de l’espace, ainsi que la mise en place de systèmes territoriaux originaux, fortement interdépendants des rythmes écologiques. Ces régions sont en outre longtemps demeurées à l’écart des bouleversements structurels consécutifs aux révolutions industrielles. L’aménagement plus sélectif de l’espace y a favorisé le maintien d’une diversité d’habitats plus importante que dans les autres milieux, suggérant ainsi l’idée qu’elles constituent des "zones refuges". Cet état a favorisé l’application des politiques de protection dans ces régions. Les motivations de ces choix ont donc été scientifiques mais également sociales, la marginalité apparente de ces territoires insinuant chez les promoteurs publics ou privés de la protection de la nature, l’idée qu’ils y disposeraient d’une marge de manœuvre plus importante en vue de l’installation d’espaces protégés.

Dans les représentations collectives, beaucoup d’espaces protégés ont ainsi été créés sur des espaces considérés en voie d’abandon. Nonobstant des raisons écologiques réelles, il est ainsi vérifié, qu’au moins en Europe de l’Ouest, les pouvoirs publics ont délibérément choisi les espaces les plus excentrés et les moins compétitifs des filières névralgiques de l’économie, c’est-à-dire ceux qui devenaient l’objet d’un minimum d’enjeux dans l’allocation de l’espace et de ses ressources, pour y situer parcs nationaux et réserves134.

Ce choix n’a pourtant pas toujours été exempt de conflits comme nous l’avons déjà fait remarquer. En outre, l’apparition au cours des années 1960 d’un nouveau registre de la thématique du développement, en direction des zones rurales marginalisées et des zones dites "défavorisées", a complexifié ce processus. Dans les pays occidentaux, une nouvelle génération de politiques publiques a émergé, revêtant de multiples formes, comme l’illustre l’exemple français. Il a d’abord s’agi des politiques de "rénovation rurale" initiées dans notre pays dans les années 1960, dont les interventions, centrées sur le domaine agricole et le contrôle de l’expansion

des aires urbaines, ont progressivement défini comme horizons successifs la diversification de l’aménagement rural puis "le développement intégré des territoires en crise".

Les démarches locales initiées autour de groupes de leaders politiques et socioprofessionnels ont constitué un autre ensemble d’initiatives, souvent focalisées sur un secteur d’action privilégié tels le développement entrepreneurial ou bien la valorisation de produits touristiques ou agricoles spécifiques. Ces stratégies ont pu localement être assimilées à des tentatives de développement dit autocentré. A partir de la fin de la décennie 1960 apparaissent donc des dynamiques de recomposition dans les territoires ruraux amoindris par les mécanismes de concentration de l’activité et des populations. Elles s’organisent autour de deux pôles : la restructuration des filières d’activité et les nouvelles fonctions qui sont privilégiées dans l’organisation systémique des territoires, notamment la place grandissante des usages non agricoles de l’espace rural.

C’est à cette époque qu’a réellement débuté une cristallisation des antagonismes entre des démarches de protection du patrimoine naturel et des stratégies de développement. La problématique en a été fort bien mentionnée dans une étude sur le programme de création des réserves naturelles en France135 à propos desquelles il a été relevé que si la mise en réserve de territoires isolés et impropres à toute utilisation économique ou commerciale n’est guère susceptible d’entraîner des conflits d’intérêts (ce qui n’invalide pas la possibilité de conflits idéologiques), ailleurs la procédure a souvent été mal acceptée. C’est notamment le cas lorsqu’elle concerne des zones rurales en difficulté dans lesquelles la diversification ou l’intensification de certaines activités peuvent être facteurs de redressement de la démographie et de l’économie locale.

Par ailleurs, à côté d’une démarche politico-administrative qui relève de choix stratégiques quant à l’aménagement des territoires, se pose depuis plusieurs décennies pour un nombre croissant d’individus (citadins comme ruraux) la question de leur relation propre avec la nature. Nous ne sommes plus dans une situation où les pratiques s’inscrivent en rupture avec la philosophie du monde rural car depuis vingt ans s’opère la recomposition des systèmes territoriaux ruraux. Les comportements socioculturels contemporains recherchent une intégration des valeurs nouvelles de la nature à leurs modes de vie, ce qui détermine de nouvelles attentes supposant le développement de nouveaux usages de l’espace rural.

Dans l’Europe occidentale contemporaine, l’urbain et le rural ne sont plus deux mondes sociologiquement et économiquement différents mais les sous-

135 Pour rester dans le contexte français, on peut citer le cas de la réserve naturelle de Véréon dans les

Hautes Alpes qui ne fut jamais acceptée par la population locale et pour laquelle l’administration fut contrainte de mettre en œuvre une procédure de déclassement (BONTRON J.-C. & BROCHOT A., 1989).

ensembles du même système de société évoluant dans des espaces organisés de manière distincte136. C’est un truisme de rappeler que l’organisation du travail, des loisirs, des modes de vie et de consommation dans les "territoires ruraux" dépendent de nos jours d’institutions et de modèles urbains. Aujourd’hui la notion d’espace rural s’est diversifiée et se construit tant autour d’une architecture socioéconomique particulière – caractérisée par la combinaison de fonctions de production et de fonctions de récréation - que sur des considérations d’aménagement du territoire, relevant de dynamiques de valorisation des potentiels de ressources dans laquelle les valeurs paysannes ne sont qu’une composante parmi d’autres.

Depuis deux décennies, l’espace rural est redevenu attractif, à la fois comme espace de consommation mais aussi comme espace de vie et de travail. Les zones autrefois considérées comme reculées ont bénéficié de transferts financiers ayant permis l’amélioration des infrastructures et des équipements, et le développement de nouvelles filières socioéconomiques, lesquels ont en retour fait émerger un avantage différenciatif dans l’offre de cadre et de qualité de vie. Les espaces ruraux

136 ASCHER F. & alii, 1993, Les territoires du futur, DATAR - Éd. de l'Aube, coll. Monde en cours, 182 p. ;

HERVIEU B. & VIARD J., 1996, Au bonheur des campagnes, Ed. de l’Aube, 155 p.

FIG.3 - MODELE THEORIQUE SIMPLIFIE DE LA PERIPHERISATION DES ESPACES RURAUX

SYSTEMES

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