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L A NOTION DE DURABILITE DU DEVELOPPEMENT ET LA PROTECTION DE LA NATURE La notion de développement durable permet de réinscrire les stratégies des

3. L A PROTECTION DE LA NATURE COMME INSTRUMENT DE LA CONSTRUCTION DU DEVELOPPEMENT TERRITORIAL

3.5. L A NOTION DE DURABILITE DU DEVELOPPEMENT ET LA PROTECTION DE LA NATURE La notion de développement durable permet de réinscrire les stratégies des

acteurs dans l’interface entre problématiques environnementales et problématiques du développement112. Nous savons que cette notion est à l’aune de toutes les publications et de tous les discours sur la relation environnement-société. Il n’est pas question d’en rechercher ici des dispositifs opérationnels dont on sait les difficultés pour y parvenir113. En effet il n’existe certainement pas d’interprétation unanime du développement durable114 mais on peut considérer comme usuellement partagée, la définition basée sur le principe de précaution qui en a été formulée dans le rapport Brundtland en 1987, puis à Rio en 1992 lors de l’établissement du compromis entre pays du Nord et du Sud.

Nous insistons d’abord sur le fait qu’il s’agit véritablement d’une notion plastique. Elle sert en pratique de nouveau support de communication à la négociation compétitive entre les agents économiques dominants. L’acception de la notion de durabilité dans les rouages institutionnels et les appareils catégoriels est d’ailleurs loin d’être accomplie115. Enfin et surtout, l’efficience de la notion et la construction d’une méthodologie d’action et d’évaluation s’y rattachant sont tributaires de l’échelle à laquelle elles sont formulées et de la nature des acteurs qui la mobilisent : le développement durable est une notion spatialement et

111 Nous pensons notamment aux réserves de biosphère et aux sites du Patrimoine Mondial de l’UNESCO

ou encore aux zones désignées au titre de l’application de la Convention Ramsar.

112 Ce qui est l’objet même du "développement durable" comme le rappelle Simon Dresner (DRESNER S.,

2002, The principles of sustainbility, Earthscan, Londres, 200 p).

113 SALLES J.-M., 1997, "Le développement durable : origines, définitions et perspectives politiques",

Revue d’Economie Méridionale, vol. 46, n° 179, p. 341-357.

114 D’ailleurs il n’existe pas d’acception unanime du terme, la qualification française de l’idée de

sustainable development étant déjà réductionniste sur le plan sémantique.

115 Y compris au sein des disciplines scientifiques, notamment la géographie. Voir à ce sujet : ROBIC M.-

C. & MATHIEU N., "Géographie et durabilité : redéployer une expérience et mobiliser de nouveaux savoir-faire" in JOLLIVET M. (sous la dir.), 2002, Le développement durable, de l’utopie au concept – De nouveaux chantiers pour la recherche, Elsevier, NSS, Collection Environnement, 288 p.

temporellement contingente116. En conséquence, le développement durable doit être d’abord considéré comme une métanorme qui constitue un nouveau rouage du référentiel dominant, c’est-à-dire le système de globalisation de l’économie de marché. Emmanuel Torres décrit la combinaison de ces normes économiques, scientifiques et socio-éthiques117.

La notion de durabilité ne constitue pas non plus un axiome scientifique même si certains auteurs ambitionnent d’en faire un nouveau paradigme. Plusieurs approches ont été étudiées. Les économistes de l’environnement notamment ont beaucoup travaillé sur la notion car l’approche globale et l’éclairage multidimensionnel118 invitent à voir dans le développement durable une nouvelle théorie de l’optimum de répartition. Certains ont imaginé sur cette base des typologies de la notion de durabilité.

Parmi les constructions préalables à la notion de développement durable, le modèle théorique proposé par les théoriciens de l’écodéveloppement119, bien que déjà ancien mais dont les principes ont été repris dans la Déclaration de Rio120, nous paraît suffisant pour instruire les éléments de cadrage de notre réflexion. Il repose sur quatre principes :

• la durabilité écologique conçue comme l'état biophysique de l'environnement à préserver ;

• la viabilité économique assurée par la mise en place de systèmes fondés sur une productivité sous-tendue, garantissant des critères de compétitivité et de rémunération satisfaisants ainsi que la garantie de préservation de capacités productives pour les sociétés humaines ;

• l’acceptation sociale déterminée par l'objectivation de facteurs sociaux (tels la garantie du pouvoir d'achat, la présence d'institutions sociales, l’amélioration de l’accès aux richesses) et de facteurs culturels (tels l’identification territoriale, la pérennité des patrimoines collectifs, le souci de reproductibilité sociale, le développement culturel) ;

• en veillant à ce que soit assurée l’interdépendance et évitée l’absorption de l’une des parties par l’autre, chacune étant irréductible.

116 ROSSI G., 2003, "Questions d’incertitude" in RODARY E., CASTELLANET Ch. & ROSSI G. (sous la dir.),

2003, Conservation de la nature et développement – L’intégration impossible ?, Ed. GRET – KARTHALA, 308 p.

117 TORRES E., 2000, "Adapter localement la problématique du développement durable : rationalité

procédurale et démarche qualité" in ZUINDEAU B. (Ed.), 2000, Développement durable et territoire, Presses universitaires du Septentrion, 289 p.

118 PASSET R., 1996, L’Economique et le Vivant, Economica, réed., 291 p.

119 Nous nous reposons ici sur les approches développées par Ignacy Sachs (SACHS I., 1993,

L’écodéveloppement, Syros, Paris, 120 p.) et Bernhard Glaeser (GLAESER B., 1997, Environnement et Agriculture – L’écologie humaine pour un développement durable, L’Harmattan, Paris, 218 p.).

120 CNUED, 1993, Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement,

Quoique plus technicisées, les approches développées depuis n’ont dans le fond qu’assez peu varié sur le plan de la réflexion. Pour Emmanuel Torres par exemple, le développement durable est bien « une trajectoire de développement qui permet la « coévolution » des systèmes économiques, sociaux et écologiques »121.

La première idée que nous retirons de ce support théorique consiste à poser comme principe que la durabilité est une notion réflexive, dont l’opérationnalité est fonction des caractéristiques du territoire envisagé122. Il n’y a donc pas de processus de durabilité prédéterminé à l’échelle locale. La notion de durabilité s’interprète au contraire à travers une démarche pouvant se définir comme un ensemble coordonné de processus participatifs permettant de progresser en permanence dans les domaines de l’analyse, du débat, du renforcement des capacités, de la planification et de la mobilisation des ressources, en conciliant les objectifs économiques, sociaux et environnementaux de la société, et en procédant le cas échéant à des arbitrages123.

La deuxième idée est de considérer que le développement durable doit déterminer les conditions de garantie de la reproductibilité de ce que l’école de la "soutenabilité conservationniste" définit comme le capital naturel critique. Le capital naturel critique comprend les catégories de ressources naturelles dont la disparition entraînerait des dysfonctionnements économiques, sociaux et écologiques importants. La distorsion, jugée nulle ou évolutive entre le capital naturel critique et ce que l’on considère comme capital naturel substituable, reflète des positions théoriques différentes sur la notion de durabilité.

La troisième idée est qu’en pratique, le développement durable peut être assimilé à une notion territorialisée puisqu’il est imaginé comme « un outil de régulation des rapports sociaux et d’organisation des mutations des sociétés contemporaines dans leurs rapports au territoire »124, qu’il prône une intégration des problématiques environnementales, sociales et économiques et qu’il est donc résolument multiacteurs. Il renvoie donc à un principe d’organisation de l’action. Pour certains économistes, l’approche territoriale est justement un moyen de spatialiser la réflexion sur le développement durable et de confronter le développement à la dimension identitaire, matérielle et organisationnelle du

121 TORRES E., 2000, op. cit.

122 ZUINDEAU B., 2000, "La « durabilité » : essai de positionnement épistémologique du concept" in

ZUINDEAU B. (Ed.), 2000, Développement durable et territoire, Presses universitaires du Septentrion, 289 p.

123 OCDE, 2001, Guide pratique pour les stratégies de développement durable, 75 p. 124 BARRUE-PASTOR M. (Ed.), 2004, op. cit.

territoire, en insistant notamment sur l’idée d’interdépendance territoriale, d’élargissement de l’espace125, l’articulation du global et du local.

La quatrième réflexion que nous retirons est que la manière dont sont mobilisées les composantes sociales du développement ne pose pas de rupture avec les modèles précédents, ni d’innovations majeures par rapport aux méthodologies déjà contenues par exemple dans la notion de développement local. Ainsi les principes de participation et de solidarité que mobilise la notion ou le fait qu’elle désigne la dimension territoriale comme l’échelon pertinent du développement ne constituent pas des nouveautés.

Cependant, elle présente certains mérites. Son émergence a permis de dépasser le traditionnel débat antagoniste entre préservation et exploitation. Les principes exposés dans le développement se réclamant du référentiel de développement durable126 encouragent à l’effacement de la séparation, autant conceptuelle que matérielle, entre espaces de protection et espaces de développement.

Il faut se garder cependant d’une vulgarisation sémantique à travers laquelle le développement durable est couramment présenté comme une notion dyadique. Développement et durabilité ne se complètent pas car le social et le naturel ne sont pas deux entités phénoménologiques associables. Les approches de la notion qui ont été proposées maintiennent souvent la dichotomie écologie-économie127 et c’est surtout de démarches de "développement économique durable", prenant en compte les aspects environnementaux dont il est question aujourd’hui dans les discours. Posé comme référentiel, le développement durable n’est donc pas une affaire de compromis d’intérêts mais de conciliation.

La pleine consécration du développement durable comme un nouveau référentiel de développement est censée conduire les acteurs à reconnaître la multidimensionnalité de la notion de développement. C’est finalement le plus grand apport de cette notion : elle implique qu’il n’y ait plus une logique dominante présidant à l’organisation et à la régulation de l’action. Elle suggère donc l’idée que toute action de développement doit se construire sur la négociation entre les acteurs128.

125 LAGANIER R., VILLALBA B., ZUINDEAU B., 2002, "Le développement durable face au territoire :

éléments pour une recherche disciplinaire", Développement Durable & Territoires, n°1, www.revue- ddt.org.

126 Entendu dans son sens premier : un développement qui peut se maintenir.

127 LEA S. & BRODHAG Ch., 2004, "A la recherche de la dimension sociale du développement durable”,

Développement Durable & Territoires, mars 2004, www.revue-ddt.org.

Les politiques de protection de la nature sont présentées comme l’un des outils pouvant participer à la construction de la durabilité du développement129. Quelles sont les interrogations principales que pose la mise en corrélation entre protection de la nature et durabilité ?

Tout d’abord, l’approche patrimoniale que nous privilégions comme notion d’interface entre les notions de protection et de développement territorial, implique la double prise en compte des objectifs de transmission intergénérationnelle du patrimoine naturel et de sa reproductibilité. Aussi doit se poser la question de la signification d’une démarche de "mise en protection" dans un contexte d’état des connaissances techniques et scientifiques où l’on sait que certains processus écologiques tolèrent des substitutions130, ce qui peut remettre partiellement en cause l’association de la notion de criticité du capital naturel à l’idée de maintien de la biodiversité. La biologie de la conservation et l’écologie du paysage participent ainsi à l’élaboration de techniques de recréation de la nature par intervention de l’homme. La notion d’enjeux de protection, la question de leur hiérarchisation selon des niveaux d’échelle précis est en conséquence fondamentale.

Néanmoins, l’interface durabilité/protection ne doit pas être seulement associée à l’idée de gestion d’enjeux écologiques. La protection de la nature doit être mise en perspective avec celle d’ethnodiversité et de multifonctionnalité de l’espace. La formulation sociale de la nature se caractérise par le poids différencié des catégories sociales qui l’expriment, fonction des différents contextes dans lesquels s’inscrit la construction des ressources131. Les divergences des représentations et des relations à la nature nourrissent des situations conflictuelles relatives aux choix d’affectation et d’utilisation de la nature. Aussi, l’implication de la protection dans la construction et l’évolution des modes et des pratiques de mise en valeur de l’espace doit être étudiée.

Notre dernière hypothèse est que la protection de la nature peut être le support de processus de mutation des conceptions de la valorisation de l’espace, en incitant ses gestionnaires et ses usagers à intégrer les éléments forts de la notion de durabilité que sont la négociation, la conscientisation des interactions relationnelles et la prospective.

Intégrée depuis plus d’un siècle dans les représentations collectives des sociétés et dans les espaces de vie des sociétés, la protection de la nature participe

129 Ce principe, énoncé par le PNUED lors de la préparation de la Convention sur la Diversité Biologique

(1988) a été rappelé dans la Déclaration de Rio (1992) : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément. » (extrait de l’art. 4, souligné par nous).

130 IFEN, 2001, Développement durable et capital naturel critique, Etudes et Travaux n° 32, 115 p. 131 THIEBAUT L., "Une demande en quête d’acteurs : la demande sociale des biens de nature" in

aux dynamiques du développement territorial. En dépit des problèmes multiples qu’elles soulève et de sa complexité, cette interaction est désormais clairement constatée et reconnue comme en témoigne en France la position du Commissariat général au plan qui dès le début des années 1990 attribuait à la protection de la nature un rôle sociétal essentiel de par son caractère modulable et par l’avantage qu’elle présente d’assurer sur le long terme une gestion patrimoniale avec des moyens adaptés aux spécificités de chaque territoire132. Afin de confronter à l’analyse le raisonnement théorique que nous avons exposé ci-dessus, nous allons maintenant dégager les éléments de cadrage du contexte géographique dans lequel s’inscrit notre étude.

4. L’INTERFACE PROTECTION/DEVELOPPEMENT, CARREFOUR DES CRISES ENVIRONNEMENTALE

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