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I NTRODUCTION A L ’ ANALYSE DU CAS DES MONTAGNES DE L ’E UROPE OCCIDENTALE

SYSTEMES URBAINS

4.2. I NTRODUCTION A L ’ ANALYSE DU CAS DES MONTAGNES DE L ’E UROPE OCCIDENTALE

En Occident, l’imagerie collective a fait des zones de montagnes à la fois des « territoires extrêmes »145 et des contrées préservées qui auraient en grande partie échappé aux méfaits du productivisme et du consumérisme spatial. Cette représentation dominante a établi les paysages montagnards comme l’une des manifestations les plus éminentes de la notion de patrimoine naturel.

La montagne, au sens générique, constitue certes pour beaucoup de civilisations un espace initiatique chargé de tout un imaginaire cosmogonique146 mais pour nos sociétés occidentales urbaines elle véhicule une fausse image de nature originelle, de "sauvageté" et de virginité. Ce regard particulier porté sur les espaces montagnards tient d’abord à la place qu’ils ont occupée comme terrains privilégiés d’observation et d’expérimentation pour les sciences de la vie et de la terre mais aussi les sciences sociales depuis le 18ème siècle. L’essor de la villégiature en montagne, qui survint à la même époque, a inauguré une approche esthétique des paysages montagnards, nourrie des réflexions philosophiques et théologiques des auteurs contemporains147. Ces deux pratiques de la montagne, la scientifique et l’esthétique, étaient d’ailleurs souvent effectuées par les mêmes personnes.

142 ALPHANDERY P. & BILLAUD J.-P., 1996, "L’agriculture à l’article de l’environnement", Etudes

Rurales, n° 141/142, p. 9-19.

143 NEVERS J.-Y., 2003, op. cit.

144 Au sens défini par Laurence Barthe dans son travail de doctorat (BARTHE L., 1998, Processus de

différenciation des espaces ruraux et politiques de développement local, Thèse de Développement Rural et Géographie, Université de Toulouse-Le Mirail).

145 CENTRE TECHNIQUE DU GENIE RURAL DES EAUX ET DES FORETS, 1977, La perception de l’espace

montagnard, Etude n° 117, Grenoble, 241 p.

146 DEBARBIEUX B., 1995, Tourisme et Montagne, Economica, Paris, 107 p. ; BOZONNET J.-P., 1992, Des

monts et des mythes, l’imaginaire social de la montagne, Grenoble, Presses Universitaires.

147 BROC N., 1984, "Le milieu montagnard : naissance d’un concept", Revue de Géographie Alpine,

C’est à la croisée des visions populaires de la montagne, nées des croyances mythologiques (les montagnes abritent nombre de lieux magiques et de créatures surnaturelles : forêts, géants, sorcières, nains des mines, et autres grottes, chaos et précipices "diaboliques", sans oublier bien sûr "les cimes éternelles" qui sont les territoires du divin) et des lectures romantique et pré-scientifique des territoires montagnards, que s’est forgée l’image contemporaine de la montagne. Elle se situe à la rencontre de l’incarnation de deux mythes, la ruralité onirique et la naturalité ensauvagée.

4.2.1.CRISE TERRITORIALE ET EVOLUTION DES PATRIMONIALITES DE LA MONTAGNE

La montagne est ainsi devenue en Occident le lieu de projections culturelles et de pratiques sociales diversifiées, qui ont concouru à un aménagement et à une gestion de l’espace de plus en plus fortement induits par des influences exogènes. La longue période des sociétés agropastorales industrieuses148 a progressivement subi des mutations structurelles qui ont touché les réseaux sociaux, l’organisation et la répartition des pouvoirs, les dynamiques des activités productives et la valorisation des actifs territoriaux avec l’apparition de nouveaux systèmes de ressources. Cette mutation des territoires de montagne perpétrée par l'intégration des zones de montagne au système économique dominant, a opéré comme une « révolution silencieuse ».

Elle a provoqué l’éclatement des valeurs et des pratiques traditionnelles149 et, en conséquence, a suscité la redéfinition identitaire de la montagne et l’apparition de nouvelles constructions patrimoniales. S’il est indispensable d’éviter les simplifications tendant à postuler l’uniformité géographique des espaces montagnards, il convient également de rappeler que les caractéristiques physiographiques des montagnes rendent leurs milieux extrêmement sensibles aux usages dont ils font l’objet150 et aux modes de gestion qui sont pratiqués. La majeure partie des espaces montagnards européens peut ainsi être intégrée dans la catégorie des espaces ruraux périphériques. Pour un certain nombre d’experts, il est admis que beaucoup d’espaces montagnards sont dans une situation précaire sur le plan

148 Rappelons que la plupart des montagnes d’Europe occidentale sont anthropisées depuis la fin du

Néolithique (5000 BP).

149 DESPIN L.,"Les mutations des territoires valléens pyrénéens : crises sociales et environnement", Sud

Ouest Européen, n°3, p. 67-78.

150 BRUN J.-J. & PERRIN Th., 2001, "Les montagnes : laboratoire pour la science ou laboratoire pour la

socioéconomique et préoccupante sur le plan environnemental, conséquence de la domination du référentiel déprédateur dans la construction des ressources151.

La déprise agricole a marqué les paysages mais les espaces délaissés ont été depuis lors partiellement réinvestis par des usages récréatifs et quelquefois aussi par les activités agropastorales. L’urbanisation nouvelle de certains bourgs et le processus de rurbanisation, trait caractéristique des nouveaux profils de population vivant en zone de montagne, sont aujourd’hui des traits significatifs de cette évolution. Néanmoins, le départ des jeunes, la dépréciation des pays montagnards comme zones de production de biens manufacturés, l’affirmation de leur non- compétitivité, la notion de contrainte physique et de handicap naturel, la précarité de nombreuses activités économiques liées à leur saisonnalité, constituent toujours le quotidien de nombreuses vallées.

Historiquement les montagnes européennes sont des régions où se sont rencontrées des perceptions différentes de la valorisation et de la gestion de l’espace. Des conflits nombreux y ont surgi autour de l’occupation de l’espace152. La question de l’accompagnement environnemental du développement y a pris une acuité toute particulière. Dans ce contexte, la notion de développement de la montagne a été dominée par deux représentations exogènes aux valeurs traditionnelles de la montagne : une vision macro-économique d’une part, considérant les régions de montagne comme des espaces défavorisés, dont la fonction productive était réduite à la dynamique de quelques filières déterminées et une vision culturelle d’autre part, bâtie autour de l’idéalisation de la montagne, nourrie par la mystification des attributs de la naturalité et de la ruralité. Mais ce cadre dominant ne doit pas masquer l’existence d’ambitions propres aux sociétés montagnardes, qui se sont affirmées en revendiquant leur prétention à une certaine autonomie locale153. Cependant, dans les montagnes européennes, la compétition spatiale constitue une thématique centrale des jeux d’acteurs, objet de conflits de pouvoir et de revendication. La restructuration territoriale demeure un souci constant face au risque de cloisonnement sectoriel154.

Aussi, dans les processus de recomposition des nouvelles sociétés montagnardes, s’opèrent conjointement une redéfinition des rapports des populations locales avec le milieu, et en conséquence une redéfinition de la notion de ressource155. La valeur patrimoniale de la montagne156 est devenue plurielle,

151 RIEDER P. & WYDER J., 1999, " Cadre économique et politique d’un développement durable des

régions montagneuses", in MESSERLI B. & IVES J.-D., 1999, p. 83-96, op. cit.

152 GERBAUX FR., 2001, "La montagne entre nature, histoire et sociétés", Revue de Géographie Alpine,

n° 2, p. 21-27.

153 BOZONNET J.-P., 1992, op. cit.

154 VERON F., 1989, "Eléments de réflexion sur la spécificité des systèmes spatiaux montagnards et leur

gestion", Revue de Géographie Alpine, n° 1-2-3, p. 211-226.

l’espace montagnard ayant recouvré des enjeux différents entre le dessein de mettre en place des dynamiques de développement local et les objectifs de la protection de la nature, enjeux qui s’inscrivent dans un contexte global où l’opinion publique identifie d’abord la montagne comme un espace naturel préservé157 mais aussi comme un espace de loisirs.

4.2.2.DEVELOPPEMENT MONTAGNARD ET PROTECTION DE LA NATURE

En Europe occidentale, la réflexion sur le développement montagnard remonte aux premiers travaux initiés au début du 20ème siècle dans les Alpes par les forestiers sociologues158. Plus près de notre époque, on peut rappeler les efforts conjoints d’universitaires, de techniciens et de professionnels agricoles pour la promotion des systèmes d’élevage extensifs dans les années 1970. Les expériences d’auto-développement de la montagne ont suscité un vif intérêt chez les chercheurs car elles ont posé la question de la multifonctionnalité de l’espace montagnard et des possibilités de complémentarité intercatégorielle ; le cas de la haute vallée de l’Adige dans les Alpes italiennes ou des montagnes bavaroises en sont des exemples bien connus159.

Dans des territoires dont la spécificité est reconnue par la plupart des états d’Europe occidentale160, il est patent de remarquer la mobilisation de nombreux acteurs locaux161, qu’il s’agisse des socioprofessionnels, des usagers ou de la classe politique, autour de projets innovants. Tout comme on peut observer le souci affiché par les pouvoirs publics d’apporter des réponses aux difficultés et aux interrogations sociales qui se posent dans ces régions162. La question du développement des zones

156 FISCHESSER B., 1995, "La valeur patrimoniale de la montagne", in BARRUET J. (coord.), 1995,

Montagne, laboratoire de la diversité, CEMAGREF, 293 p.

157 Le terme "préservé" étant entendu ici non pas au sens juridique de la protection du patrimoine

naturel mais au sens symboliste de la représentation collective.

158 GERBAUX F., 1994, op. cit.

159 FRESCHI L., 1993, "La politique d’aménagement de la montagne au Tyrol du Sud : un modèle

d’autodéveloppement ?", Revue de Géographie alpine, n° 2, p. 31-49.

160 Rappelons que la plupart des pays d’Europe occidentale ont élaboré au cours du 20ème siècle des

politiques de la montagne dont la chronologie révèle des stratégies d’interventions sectorielles successives (dans le domaine de la prévention des risques, de l’agriculture, du tourisme et de l’équipement, de la préservation de l’environnement), progressivement désectorisées, ayant abouti dans certains cas à de véritables programmes publics d’aménagement, de développement et de préservation des territoires montagnards. La particularité montagnarde est même reconnue constitutionnellement en Italie et en Espagne.

161 BOZONNET J.-P., 1992, op. cit.

162 Des dispositifs propres aux territoires montagnards ont été mis en place en France à partir des

années 1960, notamment avec des orientations particulières de la politique agricole, le soutien au développement touristique et surtout à partir de 1967 dans le cadre de la politique de la montagne ; des initiatives semblables existent dans d’autres pays membres de l’Union Européenne (l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne dans une certaine mesure) ou des pays non membres (la Suisse en particulier).

de montagne passe par un questionnement sur la diversification de ses formes de valorisation. Elle se rapporte en outre à certaines problématiques actuelles, telles la reconversion industrielle des derniers bassins productifs locaux, la compétitivité des filières du secteur primaire et la viabilité des exploitations ou encore les implications de la monofonctionnalisation des processus touristiques observée dans certains secteurs. On note à cet égard que l’expérimentation et la recherche de l’innovation en matière de modèles de développement dits "alternatifs", fondés sur les potentialités endogènes et les compétences présentes dans les systèmes territoriaux locaux, ont tenu une place non négligeable dans l’histoire récente de certaines régions de montagne.

La préservation du patrimoine naturel en zone de montagne constitue un objet d’importance pour les pouvoirs publics. La place des montagnes est reconnue comme essentielle dans les mécanismes structurants de la biodiversité163 et les potentialités biophysiques offertes par la diversité des faciès bioécologiques ont été favorables à l’installation, l’épanouissement et l’évolution endémique de nombreuses espèces. Le rôle des milieux montagnards dans la constitution et la régulation des bassins-versants, notamment vis à vis des phénomènes d’érosion est primordial pour les régions de plaine. Les montagnes européennes sont, nous l’avons rappelé, de très anciennes régions de peuplement humain ; leurs écosystèmes et leurs paysages sont en grande partie le fruit d’une longue anthropisation des milieux. Les caractères géohistoriques des territoires montagnards y ont favorisé la constitution d’une ethnodiversité importante, caractérisée par une interaction étroite des sociétés traditionnelles avec leur environnement naturel. Aujourd’hui fortement amoindrie notamment par les processus sociohistoriques de l’acculturation urbaine, cette ethnodiversité reste néanmoins un facteur nécessaire au maintien d’une partie des fonctions écologiques des espaces montagnards.

Les zones de montagne sont très tôt apparues comme des contrées privilégiées pour y appliquer les politiques de protection. C’est ainsi que de nombreux espaces protégés se rencontrent dans les montagnes et les hauts plateaux164. A travers le monde, plus du tiers des surfaces qui bénéficient d'un statut de protection sont situées en montagne165. Les zones de montagne abritent plus de la moitié des parcs nationaux d’Europe. Pour ne prendre que l’exemple français, cinq parcs nationaux sur les six établis en métropole sont situés dans des milieux de moyenne ou de haute montagne. De même, parmi le réseau métropolitain des réserves naturelles, quarante d’entre elles incluent des milieux spécifiquement

163 Rappelons que le phénomène d’étagement favorise de multiples combinaisons des facteurs

écologiques.

164 MESSERLI B. & IVES J.-D., 1999, op. cit. 165 Selon les critères de recensement de l’UICN.

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