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L’ EVOLUTION DE LA GESTION CYNEGETIQUE FACE AUX NOUVEAUX ENJEUX DE GESTION DE L ’ ESPACE MONTAGNARD

E NCADRE 4 L ES STATUTS ADMINISTRATIFS DU DOMAINE FORESTIER EN E SPAGNE

2.2.3. L’ EVOLUTION DE LA GESTION CYNEGETIQUE FACE AUX NOUVEAUX ENJEUX DE GESTION DE L ’ ESPACE MONTAGNARD

Nous avons vu dans le chapitre précédent que plusieurs initiatives avaient été prises à partir des années 1930 afin de constituer de vastes réserves de repeuplement dans les Pyrénées. La gestion de la chasse, très administrative en Espagne, compétence partagée en France entre ONC* et fédérations, a évolué au cours de la décennie 1980. D’abord socialement, en se dirigeant vers une plus grande responsabilisation des chasseurs. Ensuite, sur le plan technique, en s’ouvrant à des méthodes et des objectifs scientifiques.

L’ouverture de la gestion cynégétique aux pratiques d’une protection active en France

A la fin des années 1970, l’ONC a lancé des programmes de recherche sur la faune de montagne. Dans les Pyrénées deux projets furent retenus sur les réserves d’Orlu en haute Ariège et du Moudang dans la haute vallée d’Aure. En accord avec le syndicat pastoral et forestier d’Orgeix-Orlu devenu propriétaire de la réserve d’Orlu en 1975, l’ONC a pris en charge la gestion de cette dernière en 1981. En revanche, la mésentente entre l’ONC et la fédération des chasseurs des Hautes-Pyrénées sur le Moudang a abouti à la cession de la gestion de cette réserve aux structures cynégétiques des usagers puis à sa disparition. En 1968, un nouvel arrêté avait prorogé l’existence de la réserve du Mont Valier gérée elle par l’ONF218 et un nouveau statut lui fut affecté en 1975219.

Dès leur requalification, les objectifs de ces réserves ont dépassé le seul cadre cynégétique :

216 « Le maintien et l’amélioration de la gestion des forêts et des montes de Navarre par les organismes

traditionnels d’administration des biens communaux devra privilégier, dans tous les cas, l’intérêt public ou social sur l’intérêt particulier » extrait de la loi forale 9/1996 du 17/06/1996 de espacios naturales du Parlement de Navarre, art. 3.

217 Ces réserves doivent couvrir au moins 1/5 des forêts publiques intégrées dans le parc naturel et sont

destinées à des expérimentations précises : laisser fonctionner naturellement les écosystèmes pour servir de sites témoins ; elles se rapprochent des réserves biologiques intégrales de l’ONF. (art. 27 de la loi de 1996).

218 Arrêté ministériel du 18/11/1968 portant approbation d’une "réserve de chasse".

• Les attributions fixées dans l’arrêté de 1975 créant officiellement la réserve du Valier comme entité et non plus comme simple zone mise en réserve en faisait un outil à vocation de recherche sur la faune de montagne. La gestion de la réserve allait désormais s’effectuer de manière autonome avec la constitution d’un groupe technique spécifique. Cette situation qui a perduré jusqu’en 1999 a cependant complexifié les rapports entre l’ONF et les communes locales car, à l’instar des réserves biologiques domaniales, il n’avait pas été prévu de participation des usagers à la gestion de la réserve. Ce fonctionnement a posé problème dans la mesure où la réserve du Valier s’étend sur une superficie conséquente, notamment après son extension en 1991 et l’intégration de nouvelles parcelles domaniales220.

• Dans le cas de la réserve d’Orlu, un double objectif de recherche scientifique et de développement local a été poursuivi dès sa reclassification en 1981. Les deux communes de la vallée d’Orgeix étaient redevenues propriétaires de leur montagne grâce au soutien du FFN et « ne souhaitaient pas que la réserve se transforme en parc national»221. La réserve d’Orlu fut ainsi dotée dès 1982 d’un comité directeur, structure d’orientation incluant des représentants locaux. Ce comité a posé les objectifs techniques et sociaux de la réserve, lesquels correspondaient à la valorisation d’un tourisme estival de nature.

La création du statut des réserves de chasse et de faune sauvage222 en 1991 a permis à l’ONC de moderniser son réseau d’espaces protégés. Orlu est ainsi devenue une réserve nationale de chasse et de faune sauvage223, classée dans la catégorie "faune de montagne"224.

A côté des actions entreprises par l’ONC, le travail des organismes cynégétiques s’est révélé également très important. Les fédérations de chasse ont développé depuis le milieu des années 1980 une conception plus ouverte et plus dynamique de leur activité. C’est à partir de cette époque qu’intervient la création des premiers GIC*. Depuis 1964, la loi obligeait les structures gestionnaires locales (ACCA et AICA) à favoriser le développement du gibier sauvage225. L’apparition des

220 L’arrêté de 1975 fixait la superficie de la réserve à 8 815 ha. Celui de 1991 qui la transforma en

réserve de faune sauvage a porté sa superficie à 9 037 ha.

221 Entretien Maire d’Orlu, 2002.

222 Décret du 23/09/1991 relatif aux réserves de chasse et faune sauvage.

223 Pour l’obtention du statut national (créé en 1968), la réserve d’Orlu a ainsi souscrit au critère de

"gestion des populations et de recherche scientifique et technique" (sur l’isard) et à celui de "préservation d’espèces menacées" (avifaune de montagne, essentiellement des galliformes et certains rapaces).

224 II n’en existe que deux autres en France : celle des Bauges en Savoie et celle du massif de Caroux-

Espinouse aux confins de l’Héraut et du Tarn, qui fut d’ailleurs pressentie comme site de projet de parc national dans les années 1950.

225 10 % au moins du territoire des ACCA et des AICA doit être classé en réserve de chasse ; ces réserves

sont communément appelées "réserves des sociétés" et sont instituées pour une durée de six années renouvelables.

GIC a cependant permis d’ouvrir des perspectives d’évolution de la chasse, dans le milieu des chasseurs lui-même, mais également dans l’intégration des autres usages de l’espace naturel.

Le nombre de réserves fédérales a varié selon les époques. Celles du Moudang et de Gazost dans les Hautes-Pyrénées et de l’Embizon en Ariège ont par exemple été fermées après quelques années et les pratiques cynégétiques y ont repris. Les réserves fédérales sont nombreuses dans les Pyrénées-Orientales où on en compte six dans la zone de montagne. Il faut y ajouter les réserves d’Espezel et de Montnaie- Gravas dans l’Aude, celle d’Esbach et Turmech dans le Luchonnais et le système de réserves du GIC Montagne dans le Haut-Béarn. Il existe également quelques réserves ministérielles, c’est-à-dire des réserves foncières, nées sur l’initiative de propriétaires privés. Elles peuvent recouper d’autres zonages de protection comme celle de la Rotja dans les Pyrénées-Orientales, située à l’intérieur de la réserve naturelle de Py.

Ces deux types de réserves de chasse ne peuvent pas réellement être identifiés comme espaces naturels protégés ; ce sont avant tout des instruments de régulation et de gestion de l’activité cynégétique, n’induisant aucune servitude autre que pour les pratiquants de la chasse, ni de réglementation particulière dans l’utilisation de l’espace. Néanmoins, on assiste depuis quelques années à une utilisation plus ouverte des réserves administratives et fédérales, allant dans le sens d’une action plus marquée en direction des enjeux locaux de conservation du patrimoine naturel en étant plus seulement focalisée sur l’activité cynégétique. C’est par exemple le cas d’une réserve d’ACCA installée sur le Grand Quié dans le Val d’Ariège qui s’articule parfaitement avec la présence d’un APB destiné à la protection des biotopes de rapaces. On peut également citer, bien qu’il soit controversé, le système des réserves tournantes mis en place dans le Haut Béarn par la Fédération des Pyrénées Atlantiques afin de mieux prendre en compte l’habitat de l’ours brun.

Deux réserves de chasse et de faune sauvage occupent donc depuis cette période une place particulière de par leur longévité et les actions qui ont été conduites en matière de protection : celles du Mont Valier et d’Orlu. Dans ces réserves, gérées par des administrations d’Etat, il a été possible de mettre en place une réglementation dépassant le strict cadre des activités cynégétiques avec des servitudes particulières indiquées dans l’arrêté de classement ou appliquées dans les usages de gestion du site.

Les réserves espagnoles entre objectif de reconstitution des peuplements et valorisation socio-économique de la chasse

Les pratiques de gestion des réserves nationales de chasse ont enclenché une lente mutation à partir de la fin des années 1980. Partant du constat que la reconstitution des populations d’espèces cynégétiques menacées, spécialement l’isard et le mouflon, était assurée, une phase de gestion plus active des dynamiques d’espèces a été initiée.

Outre le développement des méthodes de suivi, avec l’intégration de nouvelles activités (réalisation de comptages réguliers, conduite d’études sanitaires, équipement et utilisation du pistage radiotélémétrique, évaluation de la qualité des habitats d’espèces), la gestion des réserves évolue progressivement de la quasi absence de chasse limitée à la vente de quelques permis, à une chasse dont la méthode demeure sélective mais la pratique régulière. L’objectif de régulation des peuplements, présenté comme "scientifique", n’est pas la seule raison qui ait conduit à cette évolution. La satisfaction des revendications des populations locales et l’évolution du système de la "chasse scientifique", étaient devenues inéluctables.

La place institutionnelle de la gestion de la chasse a en effet changé. A la fin de l’époque franquiste et dans les premières années de la nouvelle monarchie constitutionnelle, la gestion des réserves était théoriquement une compétence de l’ICONA. Cependant, à l’image de ce qui avait été initié avec les patronatos des parcs nationaux, des comités de gestion (juntas directoras) intégrant des représentants des sociétés locales (élus et propriétaires) ont été mis en place. Cette ouverture a d’abord été effectuée dans un souci d’efficacité. Compte tenu du fait que les équipes de gardiennage étaient réduites, le relais avec les autorités locales est apparu indispensable afin d’encadrer et d’organiser l’activité cynégétique sur des périmètres établis à l’échelle de massifs entiers.

Depuis 1984, la gestion des réserves est passée aux mains des services afférents des autonomies. On note que la chasse et la gestion des réserves sont restées dans un premier temps de la compétence des ministères autonomes de l’agriculture, comme c’était le cas auparavant puisque l’ICONA dépendait du Ministère central de l’Agriculture. Il n’y a donc pas eu directement de transfert au bénéfice des nouvelles administrations autonomes de l’environnement désormais en charge de la protection de la nature226.

Les trois autonomies pyrénéennes ont poursuivi la politique de gestion régulée initiée au début des années 1980, avec le souci de développer la valorisation économique de l’activité cynégétique dans les réserves. La gestion de ces réserves

226 Les trois autonomies ont établi leurs propres lois relative à la pratique de la chasse : Loi 12/1992 du

10/12/1992 sur la chasse en Aragon, loi 2/1993 du 05/03/1993 relative à la protection et la gestion de la faune sylvestre et de ses habitats en Navarre et loi de 1985 sur les espaces naturels en Catalogne.

est donc orientée essentiellement sur le volet de la maîtrise de l’activité cynégétique et secondairement sur celui de la connaissance de la faune227. La chasse est désormais pratiquée dans ces réserves, sous licence, et intégrée comme l’une des méthodes de gestion de certaines populations d’espèces par l’entremise de plans de chasse annuels.

C’est surtout le volet socio-économique qu’il est intéressant de développer. Un double revenu est tiré de la pratique de la chasse accompagnée sous licence : le produit des permis et celui des trophées. Les frais de la gestion technique des réserves sont largement couverts par les gains et les bénéfices sont reversés aux propriétaires. Ce fonctionnement constitue ainsi une source de revenus pour les collectivités locales, lesquelles sont les principales propriétaires des territoires mis en réserve. Cela explique le maintien de ces réserves en dépit de leur vaste superficie. Les comités de gestion des réserves, dans lesquels siègent des élus locaux, des chasseurs et des associations de protection228, sont consacrés à la préparation des plans cynégétiques annuels qui fixent le nombre des permis délivrés et la répartition des bénéfices retirés des ventes de licences.

Pour preuve de la bonne intégration de ces outils, l’administration catalane a d’ailleurs pu créer elle-même de nouvelles réserves de chasse de statut national comme celle de la Sierra de Boumort dans les sierras extérieures en 1991 ou bien en agrandir d’autres à l’image de celle du Cadí229. En Aragon, la vieille réserve d’Anayet fut supprimée en 1990 et ses terrains répartis entre les réserves voisines de Viñamala et de Los Circos. Des réserves ont été également créées par l’administration autonome dans des secteurs jadis achetés et reboisés par le PFE. La réserve de moyenne montagne de la Garcipollera, située dans une vallée latérale de la basse vallée de Canfranc est ainsi venue s’ajouter à l’ensemble des cinq réserves de chasse de la zone pyrénéenne. Le coto social de la Solana de Burgasé230 dans les Prépyrénées, consacré à la sauvegarde du cerf, a été constitué en 1991. Reprenant la figure du coto nacional de caza, la logique de gestion de cette réserve est plus conservatoire que les réserves nationales car la chasse y est réservée aux seuls Aragonais.

D’autres outils ont également été utilisés. En Catalogne ont été mises en place de vastes zones de chasse contrôlée, généralement établies pour une durée

227 La gestion des refuges nationaux de chasse, dans lesquels la chasse est totalement prohibée, est

fondée sur des méthodes scientifiques ainsi que sur des objectifs pédagogiques. Ils sont établis en vue de la préservation d’espèces déterminées. Ils sont désormais mis en place par les ministères des autonomies chargés de la chasse. En Aragon existent également des "refuges pour la faune sylvestre" qui sont en général des zones humides où la chasse est interdite à des fins de reconstitution des populations d’espèces. Mais ces outils n’ont pas été appliqués dans les Pyrénées.

228 GENERALITAT DE CATALUNYA, DIRECCIO de AGRICULTURA, RAMADERIA i PESCA, 1998, Vade-mecum

des réserves de chasse et bilan de leurs activités, doc. non publié.

229 Ordonnance du 26/09/2000 relatif à l’agrandissement de la réserve nationale de chasse du Cadí. 230 Réserve de "modeste" dimension (6 327 ha) comparée aux réserves nationales de chasse.

moyenne de dix ans231. Cet outil, prévu dès la loi de 1973, a été réemployé par la DGMA* qui cherche à implanter territorialement ses prérogatives, contractant ainsi une convention de partenariat avec la Fédération régionale des chasseurs. Ainsi en Catalogne existent deux types de réserves cynégétiques : les réserves nationales, dépendant du Ministère de l’Agriculture et les zones de chasse contrôlées, dépendant du Ministère de l’Environnement.

* * *

2.3.

L’

EMERGENCE DE STRATEGIES LOCALES ET LA VALORISATION DE NOUVEAUX

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