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Les utilisateurs des paradis fiscaux et l’intérêt des montages financiers offshores

Chapitre 1 : la revue de littérature

1.7 Les paradis fiscaux

1.7.3 Les utilisateurs des paradis fiscaux et l’intérêt des montages financiers offshores

Il existe plusieurs ‘clients’ des paradis fiscaux, ceux-ci peuvent être regroupés sous trois grandes catégories : les organisations (banques61 et multinationales62), les pays et les individus.

En référence au thème du mémoire, un type d’utilisateur mérite d’être davantage souligné : les riches, a priori ces individus œuvrant dans la classe supérieure et dominante.

61 L’utilisation des paradis fiscaux permet aux institutions bancaires de « faire fonctionner aussi bien les aspects

licites que les aspects illicites de la globalisation financière » (Chavagneux et Palan, 2012, p. 61).

62 Les montages financiers ainsi que la relocalisation de l’entreprise dans un paradis fiscal permettent aux firmes

de « réduire leur imposition, mais aussi […] d’échapper à des contraintes réglementaires ou dissimuler un niveau élevé d’endettement et présenter des comptes supposés sains » (Chavagneux et Palan, 2012, p. 56). Selon le principe de résidence, les organisations sont taxées à l’endroit où elles sont enregistrées, laissant « la porte à des stratégies de [re]localisation pour raisons fiscales » (Chavagneux et Palan, 2012, p. 56).

Les ‘individus fortunés’, ‘les élites’ et les ‘grandes fortunes’ sont tous des qualificatifs qui permettent l’identification d’une strate sociale spécifique ayant accès à ce type d’illégalisme fiscal. En effet, cette distinction entre les ressources financières et l’accès aux illégalismes de fiscaux a notamment été soulignée sous l’étude de Spire (2009)63, relevant une certaine

démocratisation de ceux-ci64. Or, les montages financiers à l’offshore semblent être une forme

plus mobilisée par les individus fortunés puisque ceux-ci possèdent les ressources monétaires afin de ‘jouer’ avec les frontières fiscales internationales. L’offre de services à l’offshore n’est qu’ainsi offerte qu’à un nombre limité d’individus (Chavagneux et al., 2010, p. 7). Dans ce sens, il serait possible de référer à un prix d’entrée ou alors à un critère de participation à l’évasion fiscale via les paradis fiscaux : posséder une somme d’argent importante.

Comme le souligne Spire (2011), « l’enrichissement des plus riches dépend en effet de leur capacité à ‘domestiquer’ l’impôt »65 (Amicelle et Bérard, 2017, p. 3). En faisant partie prégnante

de la société contemporaine, les paradis fiscaux influencent la structure réelle de la courbe des taux d’imposition, celle-ci renvoie à « la forme en cloche […], les taux baissent à la fois en bas et en haut de la pyramide des revenus (Landais et al., 2011 ; Amicelle et Bérard, 2017). Dans ce sens, « la financiarisation croissante de l’économie66 » (Van der Zwan, 2014 ; Aitken, 2011,

Lanfley, 2008) se serait donc « accompagnée d’une concentration accrue des richesses au sommet de la pyramide des revenus et des patrimoines » (Amicelle et Bérard, 2017, p. 3). Depuis les années 1980, la présence des places offshores et notamment leurs utilisations par ces individus fortunés, a eu pour conséquence d’accentuer l’écart entre ceux-ci et les classes non possédantes (Duménil et Lévy, 2004). De façon plus concrète, « 80 % des richesses détenues

63 « À chaque impôt, ses transgressions » (Spire, 2009).

64 À titre de rappel, « we can find examples of people taking advantage of collective goods for private pleasure at

every level of the society, of course, from the poorest to the richest » (Chavagneux et al., 2010, p. 7).

65 Premièrement, il peut s’agir de devenir résident d’un autre pays ou territoire présentant des taux de taxation plus

faibles. Selon le vocabulaire fiscal, l’expression « touristes permanents » désigne ces endroits spécialisés dans l’offre de résidences ‘temporaires’ permettant aux clients de se déplacer dans l’économie offshore (Maurer, 1998, p. 105). La deuxième stratégie est de créer une société à écran enregistrée dans un paradis fiscal. Sous cette méthode, le salaire des individus à haut revenu est versé à la société offshore, qui elle, à son tour, transférera « qu’une rémunération symbolique [rapatriée] dans le pays » (Chavagneux et Palan, 2012, p. 55). Le troisième stratagème consiste à générer davantage de revenus provenant des sociétés à l’offshore, cette dernière stratégie fait davantage intervenir les notions de prête-noms, d’opacité et du secret bancaire puisque sous les différents montages financiers, il semble impossible d’identifier le ‘réel’ propriétaire des entreprises.

66 Il s’agit d’un processus s’inscrivant dans l’histoire du capitalisme, l’économie étant de plus en plus centrée sur

dans les paradis fiscaux le sont par les 0,1 % les plus riches » (Alstadsaeter et al., 2007 ; Amicelle et Bérard, 2017, p. 3).

Exposant ce cas de figure, c’est-à-dire des fuites de capitaux via un ‘paradis fiscal’, l’épisode des ‘Panama papers’ (avril 2016) révèle des conduites fiscales compromettantes de la part d’élites.

1.7.4 Les ‘Panama papers’ (avril 2016)

En date du 3 avril 2016, il y a éclatement des premières révélations des ‘Panama papers’ causées par une fuite d’informations (11,2 millions de fichiers) de la firme Mossack Fonseca67,

un cabinet expert dans la domiciliation de sociétés offshores, ainsi des conduites d’évasion fiscale via le territoire panamien ont été mises à jour. Les ‘Panama papers’ listent plus de 214 000 sociétés offshores créées entre 1977 et 2015, en plus d’exposer les actionnaires et propriétaires des compagnies à écrans. « Émanant d’un collectif de journalistes (The

International Consortium of Investigative Journalists – ICIJ), ces révélations ont donné le signal

de départ au scandale » (Amicelle et Bérard, 2017, p. 1).

Au pic de l’épisode des ‘Panama papers’ (2016), notamment au cours des premières semaines suivant les révélations, l’espace public de plus de 60 pays est marqué par l’identification d’individus possédant, étant bénéficiaires ou ayant joué un rôle dans une compagnie domiciliée au Panama. En chiffre, les ‘Panama papers’ représentent plus de 202 pays et territoires listés, 511 banques ayant des rapports directs avec la firme panamienne, 15 500 entreprises, près de 14 200 individus, notamment 140 politiciens dans plus de 50 pays, dont 15 hauts responsables politiques68 (voir les tableaux synthèses réalisés en annexe I). Au déroulement des ‘Panama

papers’, plus de 150 enquêtes et audits ont été conduits « dans 79 pays avec plus de 6 500 personnes mises sous enquête » (Amicelle et Bérard, 2017, p. 2).

67 L’entreprise résulte de la fusion entre l’avocat J. Mossack et R. Fonseca. Celle-ci est notamment en cause dans

d’autres révélations, ayant notamment joué un rôle dans le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. La firme possédait alors près de 48 bureaux et elle est toujours spécialisée dans les services fiduciaires, le droit commercial international et les conseils de placement (https://www.icij.org/investigations/panama-papers/).

Au moment post-scandale, le collectif de journalistes demeure toujours actif, il maintient ses activités quant à la découverte et à l’exposition d’informations en lien avec les ‘Panama papers’. Toutefois, les dernières publications sur le site abordent davantage l’avancement des poursuites, les politiques fiscales mises en place ou alors les sommes recouvertes suite à l’exposition des montages illégaux.

Les motivations à l’étude des ‘Panama papers’

Alors que l’épisode des ‘Panama papers’ (2016) date maintenant de quelques années, les révélations s’inscrivent dans la séquence des scandales politico-financiers et « dans l’histoire du traitement des élites délinquantes » (Lascoumes et Nagels, 2014 ; Amicelle et Bérard, 2017, p. 2). L’intérêt à l’analyse du cas des ‘Panama papers’, outre la considération de l’envergure internationale des révélations de nature économique et financière, est qu’il expose les comportements fiscaux compromettants d’acteurs politiques légitimes. Autrement dit, l’épisode ne traite pas de la propension à échapper à l’impôt de la part de la classe moyenne ou inférieure. Les ‘Panama papers’ s’inscrivent en concomitance aux notions connues à l’étude des crimes en col blanc (White-Collar crime) : la classe supérieure participe également à des comportements transgressifs, les modes d’opération sont peu visibles, un nombre limité d’individus s’estiment victime, alors que ces conduites causent des préjudices réels et importants (Hill, 1872 ; Bonger, 1905 ; Ross, 1907 ; Morris, 1935 ; Sutherland, 1939 ; Foucault, 1975 ; Acosta, 1988 ; McBarnet, 1991 ; Amicelle, 2014, et autres).