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Chapitre 3 : le cadre théorique

3.2 Les significations ou les destins du scandale

De Blic et Lemieux (2005), en s’inspirant de propositions énoncées par E. Claverie, identifient une première signification : le ‘scandale avéré’. Ce destin est caractérisé par une réponse unanime de la part du public. Autrement dit la faute est collectivement reconnue et l’individu, le groupe ou l’institution faisant l’objet des révélations doit être ‘châtié’. Cette notion d’unanimité est non négligeable, car aucune personne ne se présente sur la scène publique afin de défendre l’accusé face aux actes reprochés (De Blic et Lemieux, 2005). Lorsqu’un scandale prend la forme ‘avérée’, la valeur qui a été transgressée, bien que réaffirmée, est toujours considérée comme étant déterminante à la vie sociale (Boltanski et Claverie, 2007, p.398). Deuxièmement, il se retrouve à l’opposé sur le schème des destins le ‘non-scandale’. Celui-ci se distingue par une « relativisation généralisée de la faute dénoncée » (De Blic et Lemieux, 2005, p.17). En d’autres mots, le scandale ne prend pas dans l’espace social, le public ne semble pas démontrer un sentiment d’indignation, alors que le test de l’attachement à la valeur non respectée laisse présager un détachement.

Comme il est souligné, les significations du ‘scandale avéré’ et du ‘non-scandale’ représentent les pôles, au milieu desquels se situe le troisième destin, soit ‘l’affaire’. Il est à noter que cette forme n’est envisageable que lorsqu’un scandale a préalablement éclaté. (De Blic et Lemieux, 2005 ; Boltanski et Claverie, 2007 ; Lemieux, 2007). À ce point, Lemieux (2007) affirme que « tout scandale est analysable comme la séquence d’ouverture d’une affaire, et cela quand bien même s’il ne donne pas lieu, effectivement, à une affaire » (p.369). La forme ‘affaire’ s’identifie à la suite d’un retournement d’accusations vers le dénonciateur. Le concept d’unanimité qualifiant le ‘scandale avéré’ laisse maintenant place à une division de « deux camps, le camp des accusateurs de l’accusé et celui des accusateurs de l’accusation qui le frappe » (De Blic et Lemieux, 2005, p.17 ; Lemieux, 2007, p.369). Les échanges argumentaires et les prises de position rendent la forme ‘affaire’ « particulièrement agitée et réversible » (De Blic et Lemieux, 2005, p.17).

L’opacité de la limite située entre les deux camps joue un rôle important sur l’ampleur d’une ‘affaire’. Dans le cas où la délimitation est nette, c’est-à-dire que les membres du public ont arrêté leur choix concernant la partie à défendre, cela a pour conséquence de restreindre la portée de l’affaire, car « les opinions se [trouvent] immédiatement polarisées » (Boltanski et Claverie, 2007, p.424). Or, lorsqu’une part considérable de la population est dans l’incertitude à savoir quel camp choisir, ‘l’affaire’ est susceptible de s’amplifier, et ce en référence au climat de tension et d’instabilité (Boltanski et Claverie, 2007).

Malgré la réversibilité de cette signification, les auteurs Boltanski et Claverie (2007) sont parvenus à déceler des similarités redondantes entre les différentes ‘affaires’. Ces moments de transformations se présentent sous « des accusations, des justifications, des critiques, le déroulement de preuves, le développement d’une pluralité de récits incompatibles, le dévoilement de motifs cachés et bas, un effort de montée en généralité, un appel au jugement de l’opinion publique, une quête fébrile de soutiens et d’appuis pour faire connaître et pour dévoiler ‘aux yeux de tous’ l’injustice dont une personne – individuelle ou collective – a été victime » (p.404). Les variables énumérées sous-entendent qu’il existe des ‘manœuvres’ stratégiques qui feront « grandir, grossir » ou « dégonfler, étouffer » une ‘affaire’ (Boltanski, 1990 ; Lascoumes, 2016).

Les pistes de recherche en référence aux destins possibles

Sous les éventuelles finalités de la dénonciation publique : le ‘scandale avéré’, le ‘non- scandale’ et ‘l’affaire’, il est possible de joindre plusieurs « programmes de recherche » (De Bic et Lemieux, 2005, p. 19). Une première piste des analyses pourrait se concentrer sur le moment de la transformation du scandale vers l’affaire, c’est-à-dire le passage de l’unanimité collective à la division sociale (De Bic et Lemieux, 2005). Dans un deuxième temps, il est pertinent de s’interroger à savoir pourquoi « des scandales ne se transforment pas en affaires » (De Bic et Lemieux, 2005, p. 20). Une troisième orientation analytique consiste à enquêter sur les déterminants faisant qu’une dénonciation publique ne prend pas, autrement dit, qu’elle ne s’investit pas sous la forme du scandale (De Bic et Lemieux, 2005, p. 20).

Les formes idéales des destins du scandale

Cela dit, les auteurs partisans de la sociologie du scandale avertissent du schéma ‘idéaltypique’ décrivant les destins du scandale. Lorsque considéré comme objets d’étude, le chercheur doit être conscient que « ces formes [l’affaire et le scandale,] ne se rencontrent jamais aussi ‘purement’ » (De Bic et Lemieux, 2005, p.20). Les significations s’inscrivent davantage sur un continuum permettant l’étude des récits de la dénonciation publique, ainsi la direction que prend ou ne prend pas un destin peut être interprétée comme un indicateur de la tension sociale ou un opérateur de changements (Boltanski et Claverie, 2007).

La dénonciation publique touchant les individus haut placés et respectés

Sous le chapitre abordant les conceptualisations du scandale et de l’affaire, Boltanski et Claverie (2007) notent que « la dénonciation du scandale trouve son plein accomplissement quand celui qui est tenu responsable de l’abus est un personnage d’une certaine importance sociale » (p. 421). Les auteurs défendent que la société, en général, « ne s’étonne pas » (Boltanski et Claverie, 2007, p.421) lorsqu’une transgression est commise par un membre des classes prolétaires, de même qu’elle alloue les tâches de la dénonciation et de la punition aux membres de la couche supérieure (Boltanski et Claverie, 2007, p.421). À l’opposé, dans les cas où ce sont des individus de la strate supérieure qui ont engagé l’acte reproché, les réactions sociales se façonnent différemment dans l’espace social. Un premier levier de l’indignation

collective peut renvoyer à l’impunité accordée à ces individus, et cela en raison au statut social important qu’ils possèdent (Boltanski et Claverie, 2007). Deuxièmement, lorsque des responsables du pouvoir économique et politique transgressent, un climat de tension risque d’être davantage ressenti, car leurs actions « mettent en péril l’ordre moral et social dans son ensemble » (Boltanski et Claverie, 2007, p.421).

Bien qu’une dénonciation publique puisse lever le voile sur des conduites compromettantes ou illégales d’individus des classes sociales, rappelant un déterminant de l’investissement du scandale, un public doit être disponible afin de recevoir et interpréter les faits. Or, une variante substantielle pouvant être ajoutée à cette condition est la taille du public. Comme l’énonce Dampierre (1954), « l’extension du scandale semble dépendre de la taille de son public » (p.332). À l’instant où un scandale est ‘médiatisé’, cela peut expliquer pourquoi ce dernier, auparavant local, atteint maintenant une plateforme internationale. Les paragraphes suivants soulignent « la force déstabilisatrice » que possèdent les médias, et a priori tout instrument de communication, dans les sociétés modernes (De Blic et Lemieux, 2005, p. 32).