• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : les analyses

5.1 L’étude de cas : Sigmundur David Gunnlaugsson l’Islande

5.1.2 La place des liens théoriques

En retraçant la couverture médiatique des ‘Panama papers’ qui implique l’ancien premier ministre islandais, il est possible de mettre en lumière des éléments théoriques suivants : des tonalités de discours, des techniques de neutralisation, une cérémonie de dégradation, le contexte politique, etc.

Le ton des discours et les techniques de neutralisation

Dans un premier temps, il est possible d’identifier au moins deux registres discursifs dans lesquels M. Davíd Gunnlaugsson semble inscrire les tonalités de ses prises de parole à l’évolution des ‘Panama papers’. Dès les premiers jours, il nie ses responsabilités et la faute reprochée.

« He maintains that nothing illegal has taken place, that he and his wife have always paid taxes of their assets in the tax haven abroad and that he wants nothing more than to continue to work for the government on the matters at hand ». (IceNews, 6 avril 2016)

L’ancien premier ministre ne semble pas être rejoint par les allégations de fraude ou de participation à l’évasion fiscale, cela même si les réponses sociales et politiques sont péjoratives et unanimes. Ce point peut être appuyé par la réaction lorsqu’il perd la majorité et est évincé de son parti : « Gunnlaugsson was reportedly disappointed at this ‘unexpected’ outcome but declined to comment further […] »129.

Dans un deuxième temps, il est possible d’identifier un déplacement du registre des arguments. Lors des premières semaines, M. Davíd Gunnlaugsson accuse les médias d’atteinte à la vie privée (argument offensif), et il réplique en arguant que les demandes répétées à la divulgation de ses états financiers sont intrusives - « The prime minister and his wife then rushed out separate public statements in Icelandic condemning reporters’ intrusions into their private business matters »130. Toutefois, lors du mois de mai 2016, celui-ci publie ses états financiers

129 IceNews. (13 septembre 2016). 130 IceNews. (5 juin 2016).

(argument défensif), une technique qui semble appeler à la démonstration de la transparence (Lascoumes et Nagels, 2014).

Autre registre défensif, M. David Gunnlaugsson fait intervenir les arguments de complexité fiscale entourant le compte offshore possédé : les opérations de vente (2007-2009) entre sa conjointe et lui, les investissements à l’étranger et le rôle joué par Wintris. Inc. dans la crise islandaise en 2008. Il est possible de croire que les différents tons des discours et les techniques mobilisées avaient comme but de tenir à distance ou tenter d’effacer la figure de ‘fraudeur’/‘déviant’ (Sykes et Matza, 1954 ; Benson, 1985).

La cérémonie/rituel de dégradation

Sous l’analyse du cas de M. David Gunnlaugsson, la semaine suivant la publication des ‘Panama papers’ a mené à la démission de l’ancien premier ministre. L’indignation persistante de la part du public islandais aurait engagé l’ancien premier ministre sous une cérémonie de dégradation statutaire (status degradation ceremony ; Garfinkel, 1956). Il est possible de relever trois temps à l’étude de la dégradation.

Le premier temps : les manifestations citoyennes en date du 4 avril 2016 et le ‘vote of no confidence’ ont fait pression dès le début pour que l’ancien premier ministre se retire de sa fonction politique. À ce moment, alors qu’il démissionne M. David Gunnlaugsson expose sa volonté de conserver ses autres postes : député et président du parti. Le deuxième temps : les semaines suivantes, les Islandais demandent la dissolution complète du Progressive Party, et il est à noter que M. David Gunnlaugsson n’est plus la figure publique du parti, mais il y reste associé. Le troisième temps : sous les fragilisations de la crédibilité de l’ancien élu et de son parti, il perd le vote de la majorité au sein de ce dernier, conséquemment il est alors remplacé par un autre ministre.

Le contexte politique et économique suite à la crise de 2008

En 2008, l’Islande est marquée par la crise financière, causant la faillite de banques, l’augmentation d’inégalités sociales, etc. Au moment de désigner les responsables de l’évènement, l’attention est axée sur les comportements d’élites politiques et économiques, ceux-ci ont été associés à « de graves manquements politiques et techniques internes » (Cordier, 2017 p. 2 ; Ingmundarson, Urfalino et Erligsdottir, 2016). Sous cette affirmation, la responsabilité de la crise revient, non pas à un individu, mais davantage à une classe sociale. Depuis 2008, le climat et les échanges entre les strates sociales sont plus tendus, étant illustrés par les manifestations citoyennes quotidiennes devant le parlement islandais, l’endroit représentatif des ‘élites’ politiques et économiques.

« Icelanders have not forgotten the 2009-2011 protests, also referred to as the Kitchenware Revolution which occurred in the wake of the Icelandic financial crisis. There had been weekly protests since October 2008 against the Icelandic government’s handling of the financial crisis. The protests intensified on 20 January 2009 with thousands of people showing up to protest on Austurvöllur ». (IceNews, 4 avril 2016)

À vrai dire, les révélations de corruption et les scandales politiques ont été nombreux en Islande avant les révélations des ‘Panama papers’. Ainsi, un questionnement est soulevé : pourquoi les révélations entourant l’ancien premier ministre ont-elles pris des proportions significatives dans le territoire islandais, allant jusqu’à provoquer des changements politiques ? (Briquet. 2009, p. 285). Les révélations des ‘Panama papers’ réexposent les conduites compromettantes, toujours présentes, de figures respectées en Islande.

Différentes conditions semblent s’inscrire en concomitance avec le processus de délégitimation politique défendu par Briquet (2009), sous le présent cas, il pourrait s’agir de M. David Gunnlaugsson et du Progressive Party.

En fait, des conditions semblent être réunies : 1) les dysfonctionnements du système politique - depuis la crise de 2008, bien que le système économique et politique de l’Islande soit plus ‘stable’, il n’en reste pas moins que des conduites discutables persistent. Au terme des six moins

étudiés dans la recherche, six figures politiques islandaises ont démissionné après leur apparition dans les ‘Panama papers’131.

2) La mise à jour des manquements en période d’un climat favorable à une croisade morale - l’addition de révélations d’évasion fiscale via un paradis fiscal de la part de l’ancien premier ministre, membre de la classe supérieure, semble ajouter à l’intolérance sociale plus relevée depuis 2008. Ce qui pourrait également avoir ajouté au ressenti d’indignation, est que M. David Gunnlaugsson a fait campagne politique en 2009 en luttant « contre le remboursement des créanciers internationaux »132, or les ‘Panama papers’ exposent qu’il a également été créancier

via le compte offshore Wintris Inc. Le double rôle lui a valu de fortes critiques entourant l’éthique de son travail.

« Gunnlaugsson was ‘very proud’ of his success resurrecting Iceland’s economy after the 2008 financial crisis, the statement said, and ‘especially proud of his government’s handling of… the creditors of the failed Icelandic banks ». (Iceland Monitor, 29 avril 2016)

3) La compétition politique - les opposants politiques ont présenté de forts discours contre l’évasion fiscale, des promesses politiques qui semblent être notamment recherchées par les citoyens-électeurs islandais. Les partis de l’opposition désignent The Progressive Party, dont était le premier ministre M. David Gunnlaugsson comme étant ‘The Panama parties’133.

L’étiquette renvoie aux nombreuses figures politiques en poste nommées dans les ‘Panama papers’.

Ces conditions semblent avoir accompagné la disqualification statutaire de l’ancien premier ministre. Le moment d’incertitude lié à la qualification des conduites, dont il est mention aux pages précédentes, a été bref, la population répond de façon unanime : la démission. Cela peut s’appuyer par le contexte sociétal agité depuis 2008.

131 IceNews. (29 avril 2016). 132 Le Monde. (8 avril 2016). 133 Iceland Monitor. (3 mai 2016).

La finalité de la dénonciation publique

L’enchainement des histoires de corruption, les scandales politiques, le contexte politique suite à la crise financière de 2008 et le taux d’inégalités sociales pourraient expliquer pourquoi les révélations ont ‘pris’ sur le territoire islandais. Les citoyens ont exprimé leur indignation, alors qu’ils semblent être maintenant impatients et intolérants face à ce type de déviances mettant en cause les responsables politiques et économiques.

Dans un même ordre d’idées, ces éléments pourraient également avoir freiné la division sociale, c’est-à-dire des échanges entre différentes positions sociales ou des prises de défense. L’engagement à l’indignation sociale semble être plus soutenu et marqué, ainsi le concept d’unanimité, qui est notamment possible d’observer sous ce cas d’étude, est non négligeable, celui-ci détermine le passage de la forme ‘scandale’ vers ‘affaire’. Par conséquent, la valeur transgressée par l’acteur politique islandais, M. David Gunnlaugsson, serait toujours déterminante, particulièrement réaffirmée suite aux révélations des ‘Panama papers’.

Tout au long des six mois sur lesquels portent les analyses, aucun individu, ni un autre élu politique, ni un citoyen-électeur ne s’est présenté sur la scène publique pour défendre les comportements reprochés à l’ancien premier ministre. Bien au contraire, la réponse sociale a tendu vers une position unanime avec des appels à la démission134. Ainsi il n’y a eu aucune

contre-accusation envers les individus et les plateformes qui ont fait acte de dénonciation publique contre l’ancien premier ministre. À titre de rappel, Sigmundur David Gunnlaugsson a été jugé coupable d’une faute, au minimum, éthique reliée à un conflit d’intérêts lors de son entrée en politique, cela toujours en lien avec la non-déclaration publique de la compagnie Wintris Inc. Il n’a pas été jugé coupable à des accusations criminelle ou pénale.

« No one is saying he used his position as prime minister to help his offshore company, but the fact is you shouldn’t leave yourself open to a conflict of interest. And not, should you keep it secret » – Ministre des Finances de l’Islande ; Steingrimur Sigfusson. (Iceland Review, 8 avril 2016)

134 Non seulement envers M. David Gunnlaugsson, mais également toutes les figures politiques listées dans les

À titre de rappel, la couverture médiatique qui cible l’ancien élu politique de l’Islande, M. David Gunnlaugsson, représente une part significative (60,7 %) de l’ensemble des articles collectés sur les sites de références islandaises. Comme De Blic et Lemieux (2005) défendent, la forme du ‘scandale-avéré’ est caractérisée par une réponse unanime à une demande de châtiment. Lors de cette étude de cas, bien qu’aucune accusation pénale et civile n’ait été formulée, ce ‘châtiment’ pourrait davantage référer à la délégitimation politique et statutaire de l’ancien premier ministre. Ici, il serait plus d’ordre social, alors que la perte de deux titres politiques est considérable.

Suite à la mobilisation de valeurs quantitatives et qualitatives, il est possible d’affirmer que la finalité de la dénonciation publique qui met en cause l’ancien premier ministre islandais s’apparente à la forme et aux conceptualisations du ‘scandale-avéré’ défendue par les auteurs de la sociologie du scandale (De Blic et Lemieux, 2005 ; Boltanski et Claverie, 2007).