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Le contexte historique et le processus de stigmatisation des endroits offshores

Chapitre 1 : la revue de littérature

1.7 Les paradis fiscaux

1.7.2 Le contexte historique et le processus de stigmatisation des endroits offshores

Les territoires sous-réglementés existent depuis longtemps, selon des lieux, des époques et sous des tailles différentes51. La première tentative préventive remonte au début des

années 1920, alors que la Société des Nations52 alarme des préjudices que cause la présence

d’endroits sous-régulés, notamment les risques à la fragilisation du système financier mondial53

(Chavagneux et al., 2010). Des années 1945 à 1970, suite à la Seconde Guerre, ce sont les comportements d’évasion fiscale qui retiennent l’attention politique et sociale en raison des possibilités à « échapper aux prélèvements publics » (Godefroy et Lascoumes, 2004, p. 10). Au cours des années 1990 et davantage à l’aube de l’an 2000, l’association entre les ‘paradis fiscaux’ et les techniques fiscales illégales est quasi systématique, provoquant une réelle

50 À ce point, voir également l’annexe III où se retrouve le tableau synthèse des cycles de l’attention politique

envers les places offshores (Lascoumes et Godefroy, 2010).

51 Dès l’époque de l’Empire Romain et chez les Grecs, il est possible de référer « à la dissimulation d’actifs

financiers dans l’objectif de les faire échapper à l’impôt » (Doggart, 1997). Au Moyen-Âge, les prêteurs usaient de mécanismes de camouflage afin « de se faire payer des intérêts dans un environnement religieux qui ne le permettait pas » (Chavagneux et Palan, 2012, p. 27).

52 La SDN (Société des Nations) était une organisation internationale, introduite en 1919 à la fin de la Première

Guerre mondiale et dissoute en 1946. L’organisme avait pour but « de maintenir la paix au moyen de l’arbitrage des conflits internationaux. Elle est remplacée par l’Organisation des Nations Unies après la Deuxième Guerre mondiale » (Veatch, 2015).

53 Il y a « émergence de la notion de ‘havre fiscal’, [elle] est ainsi concomitante à la mise en place de nouvelles

médiatisation du sujet54. À ce même moment et presque de façon simultanée, l’OCDE55, le

GAFI56 et le FSF de Bâle57 publient les listes ‘noires’ où figure le nom de territoires à considérer

comme ‘paradis fiscal’58. Les années suivantes s’ensuit une certaine « comédie des listes »

(Lascoumes et Godefroy, 2004), alors que des places sous-régulées y entrent et d’autres en ressortent. Bien que cette mesure donne l’impression « d’une régulation possible » (Amicelle et Bérard, 2017, p. 12), la création de listes sépare, en quelque sorte, les ‘bons’ des ‘méchants’, les pays coopératifs et ceux appelant à une ingérence internationale59.

Depuis les évènements du 11 septembre 2001, les paradis fiscaux sont, en raison des possibilités d’y blanchir de l’argent, également soupçonnés de complicité au financement d’activités terroristes. L’attention du FMI60 et du GAFI est davantage tournée vers la « lutte contre le

terrorisme et ses circuits de financement » (Godefroy et Lascoumes, 2010, p. 33).

La crise financière de 2008 et l’enchainement de multiples scandales politico-financiers relancent le débat entourant la présence des centres sous-régulés et leur rôle joué dans la crise fiscale. Lors du G8/G20 de Londres en 2009, l’OCDE « fait de la lutte contre les paradis fiscaux sa priorité » (Godefroy et Lascoumes, 2010, p. 34), l’organisation publie un nouveau document de couleur blanc, gris et noir où sont listés trente-huit pays et territoires non signataires de l’échange d’information fiscale. La mesure de blacklistage semble toutefois soulever une limite

54 « Le nombre d’articles de presse est multiplié par dix en 2000 et par vingt en 2001 » (Godefroy et Lascoumes,

2004, p. 12).

55 Il s’agit d’une organisation internationale ayant comme objectifs : « la prospérité, l’égalité des chances et le bien-

être pour tous » (OCDE). L’organisation travaille « en étroite collaboration avec les pouvoirs publics, les acteurs économiques et sociaux » (https://www.oecd.org/fr/).

56 Organisme intergouvernemental, « les objectifs du GAFI sont l’élaboration des normes et la promotion de

l’efficacité d’application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées à l’intégrité du système financier international » (https://www.fatf-gafi.org/fr/).

57 Le regroupement international est constitué d’autorités financières, d’organisations internationales et des pays

membres du G7 et G20. À titre de mandat, « the FSB promotes international financial stability, work toward developing strong regulatory, supervisory and other financial sector policies » (https://www.fsb.org).

58 « Via une stratégie de ‘naming and shaming’ » (Amicelle et Bérard, 2017, p. 12).

59 Il s’agit du raisonnement et un des arguments majeurs des défenseurs de ces endroits pour répondre à la

stigmatisation (Godefroy et Lascoumes, 2010).

60 Il s’agit d’une organisation internationale qui regroupe 189 pays, son but est de « promouvoir la coopération

monétaire internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internationaux, contribuer à un niveau élevé d’emploi et à la stabilité économique » (https://www.imf.org/external/french/index.htm).

normative, alors qu’une majorité des places citées dans ce document y figurait déjà en 2000. Malgré des apparitions récurrentes et périodiques à l’agenda international, la question de ces centres sous-réglementés « n’a jamais constitué une politique de moralisation du capitalisme » (Fararel-Garrigues, Godefroy, Lascoumes, 2005, p. 106 ; Amicelle et Bérard, 2017).

La lutte contre les paradis fiscaux s’est davantage construite et accentuée en raison de l’usage suspectée de ces endroits à la « lutte contre les trafiquants de la drogue, puis contre le crime organisé » (Favarel-Garringues, Godefroy, Lascoumes, 2005, p. 103). Autrement dit, les perceptions sociales envers les accusés de fraude fiscale se sont déplacées de ‘malin de la fiscalité’ dans les années 1945-1975 à, depuis les années 1990, un trafiquant ou un blanchisseur d’argent. Ce schème interprétatif s’est d’ailleurs réaffirmé en raison des évènements terroristes des dernières années et des opérations à la détection d’argent sale que peut héberger ce type d’endroit (Favarel-Garringues, Godefroy et Lascoumes, 2005, p. 105). Toutefois, la surreprésentation de ces associations, plus particulièrement dans la sphère publique, limite les connaissances et l’identification des autres types d’acteurs usant des endroits offshores sous- régulés. En effet, des acteurs politiques ou économiques légitimes « ont [également] intégré dans leur stratégie d’action l’usage des ressources offertes par ces lieux » (Godefroy et Lascoumes, 2004, p. 14).