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Chapitre 3 : le cadre théorique

3.1 La sociologie du scandale

Il existe aujourd’hui un éventail de recherches sur les scandales. Davantage présentés sous la forme d’étude de cas, ces travaux proviennent de la criminologie, de la sociologie, de la science politique, etc. (De Blic et Lemieux, 2005). Couplé à des bases empiriques suffisantes, ce cadre théorique permet de circonscrire et encadrer les analyses entourant l’objet d’étude qu’est le ‘scandale’, de façon plus générale, la dénonciation publique.

3.1.1 La sociologie du scandale et les éléments conceptuels

À quoi fait-on référence lorsqu’un évènement social est nommé ‘scandale’ ? Ce terme, faisant partie du langage courant, est employé depuis des siècles, et cela dans diverses sociétés, or, des usages imprécis de ce terme peuvent mener à une confusion définitionnelle. Il convient

de citer la définition à laquelle les auteurs de la sociologie du scandale réfèrent lorsqu’ils utilisent le vocable ‘scandale’. Il s’agit « d’une contradiction devenue publique et visible de tous : c’est un fait public, troublant et contradictoire qui met un obstacle à la croyance collective, et qui sème par là même la dissension » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 14-15).

Sous les différentes influences théoriques abordées, le scandale est considéré comme étant un « objet d’étude à part entière » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 11). Il représente un moment de transformation sociale ou encore « ces moments effervescents » auxquels fait allusion Durkheim (1894 ; 1897)74. Sous la citation de De Blic et Lemieux (2005), « il [le scandale] conduit à des

repositionnements, à une redistribution des cartes institutionnelles, voire à des remises en cause brutale des rapports institués. Il donne lieu, souvent à des refontes organisationnelles, à la production de nouveaux dispositifs légaux, à la validation collective de pratiques inédites » (p. 12 ; Gluckman, 1963). Mouvementé et dynamique, l’issu du scandale reste indéterminé, ainsi ce dernier ne peut s’inscrire sous la forme d’un récit linéaire. En vertu de ce moment de réversibilité, il est accordé au scandale la notion d’épreuve sociale, celui-ci « ne laisse jamais les choses en l’état » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 12 ; Boltanski et Chiapello, 1999).

Les fonctions du scandale

En référence à la prémisse sous laquelle l’évènement scandaleux est considéré comme étant ‘normal’ et faisant partie intégrante des sociétés, cette notion de normalité encourage les chercheurs à attribuer des fonctions aux scandales (Dampierre, 1954 ; Gluckman, 1963 ; De Blic et Lemieux, 2005). Dans un premier temps, la dénonciation publique peut être interprétée comme une forme de compétition sociale, autrement dit les divers jugements sociaux, à la suite des révélations, influenceront la « sélection des leaders » (Gluckman, 1963, p. 307) et notamment la notoriété statutaire qu’ils défendent. Dans un second temps, le scandale possède une fonction de contrôle social, au sens où le non-respect des normes engage la peur d’être soi- même le sujet de la dénonciation publique. Rappelant le concept d’outsider de Becker (1985), le scandale détient la fonction d’exclusion sociale lorsque des normes sont attaquées (Gluckman,

74 Au même titre que le crime et le suicide étudié chez Durkheim, « le scandale est à concevoir comme un moment

1963, p. 310). Dans un troisième temps, le scandale risque de menacer la cohésion sociale d’une communauté, et cela en tenant compte que « des valeurs socialement reconnues ne sont, ni absolues, ni respectées par tous, à un égal degré » (Dampierre, 1954, p. 335). Ainsi, le scandale semble venir renforcer ou redessiner les valeurs de la société (De Blic et Lemieux, 2005 ; Boltanski et Claverie, 2007).

L’épreuve sociale et les valeurs transgressées

Dampierre (1954) est l’un des premiers auteurs à proposer l’étude de la dénonciation sociale comme étant un « test de valeurs transgressées ». Il énonce qu’à la suite de cette épreuve de l’attachement aux normes « quelque chose aura changé » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 12). Ce test, c’est-à-dire le jugement collectif envers les valeurs enfreintes sous les actes scandalisés, permet à la société de déterminer si ces mêmes valeurs sont devenues ou non indifférentes à la vie sociale (Dampierre, 1954 ; Gluckman, 1963 ; De Blic et Lemieux, 2005).

Les auteurs Boltanski et Claverie (2007) défendent l’idée qu’il existe à l’intérieur d’une société donnée et à un moment donné, « une compétence morale implicite » (p.413) permettant aux membres de déterminer le « sens commun du juste et de l’injuste » (p.413). Lorsqu’une dénonciation expose des comportements attaquants des valeurs établies dans la société, la compétence morale tend à basculer vers un sentiment d’injustice, alors que des individus ou un groupe enfreignent les normes et les lois socialement attendues. Il peut donc s’opérer dans la communauté un « travail [de] la dénonciation publique des injustices » (Boltanski et Claverie, 2007, p.425). Ces auteurs notent également que l’indignation collective, auparavant motivée par sous un sentiment commun d’injustice, « constitue un puissant moteur de mobilisation » (Boltanski et Claverie, 2007, p.425). À l’opposé, dans le cas où une dénonciation publique lève le voile sur un acte, mais ne suscite pas ce ressenti d’injustice, l’investissement des mobilisations semble être limité (Boltanski et Claverie, 2007, p.425).

À vrai dire, l’attachement aux valeurs transgressées ainsi que le niveau commun d’indignation influenceront à savoir pourquoi une révélation publique peut prendre ou ne pas prendre dans une société. Outre ces éléments, il est également possible d’identifier des conditions nécessaires

à l’investissement du scandale dans une société. Les dimensions exposées ci-dessous doivent être interprétées et considérées conjointement (De Blic et Lemieux, 2005).

Les conditions à l’étude de la contradiction publique

Les auteurs de la sociologie du scandale décrivent des conditions à l’identification du passage d’un évènement public vers la scandalisation d’un acte. Ces différents déterminants ont pour but de rendre la démarche de recherche scientifique et rigoureuse. Dans un premier temps, il doit y avoir un public pour « relever une contradiction et la dénoncer » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 15). À vrai dire, sans public, il ne peut y avoir de scandale (Dampierre, 1954 ; De Blic et Lemieux, 2005 ; Boltanski et Claverie, 2007).

Dans un deuxième temps, afin que l’éclatement d’un scandale soit marqué, cela « suppose avant tout une désapprobation visible de la part du public » (Thompson, 2000, p. 20). Les auteurs De Blic et Lemieux (2005) souligneront qu’au deçà de l’effet ‘désapprobateur’, le public ou un membre de celui-ci doit « exprimer publiquement sa désapprobation » (p. 13). À son tour, Thompson (2000) qualifie le scandale comme étant un « acte de langage », au sens où celui-ci peut s’investir socialement lorsque « les révélations sont articulées en public » (Thompson, 2000, p. 20). Sans réponse de la part d’un ensemble d’individus, il ne peut y avoir un scandale (Thompson, 2000 ; De Blic et Lemieux, 2005).

Les enjeux à la qualification de la conduite

Sous les propositions d’auteurs du courant, une attention est accordée aux réactions sociales suscitées par la dénonciation publique d’une conduite ou d’un évènement. La gravité d’un acte rendu public serait jugée en fonction de la « signification [donnée] à la faute dénoncée » (De Blic et Lemieux, 2005, p.16 ; Garrigou, 1993). Au même titre que l’énonce Becker (1985) à son étude sur la déviance, « le caractère déviant ou non d’un acte dépend de la manière dont les autres réagissent » (p. 35). Sous ce constat, il serait ainsi possible d’affirmer que toute violation d’une norme, bien qu’elle soit affichée sur la scène publique, ne peut s’investir d’une manière certaine sous la forme d’un scandale (Garrigou, 1993 : De Blic et Lemieux, 2005). Le jugement collectif indéterminé réfute le calcul de proportionnalité qui

pourrait s’exercer entre le niveau de préjudices constaté et l’ampleur possible du scandale (Garrigou, 1993 ; De Blic et Lemieux, 2005, p. 16).

En reprenant les propos de Boltanski (1993), une dénonciation publique se présente comme étant une « proposition d’engagement à l’indignation collective » (p. 215-219 ; De Blic et Lemieux, 2005 ; Boltanski et Claverie, 2007). Il revient au public, par les réactions sociales, de déterminer « si le scandale dénoncé en est ‘réellement’ un ou non » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 16).

Afin de rappeler les éléments mentionnés ci-haut, appréhender le scandale comme étant un test de « valeurs transgressées », Dampierre (1984) circonscrit le moment incertain où les membres de la société « testent leur adhésion aux valeurs transgressées. Ce sont eux qui vont mettre à l’épreuve leur sens du juste et de l’injuste » (De Blic et Lemieux, 2005, p. 16). En référence à ce verdict, il est possible d’identifier trois destins à la dénonciation publique d’une conduite (De Blic et Lemieux, 2005 ; Boltanski et Claverie, 2007).