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Le chapitre de la recension aborde des éléments importants à la considération des études entourant les déviances et délinquances des individus œuvrant dans la classe supérieure de la société. Dès le XIXe siècle, en référence aux écrits de E. Ferri (1893), celui-ci différencie les classes sociales et relève la propension que chacune entretient envers les transgressions. Les distinctions sont tranchées : la couche sociale la plus élevée est « organiquement honnête » (Ferri, 1893, p.199-200), alors que la classe inférieure se compose d’individus sans éducation et morale qui, s’inscrivant dans les luttes pour leur survie, sont enclins à commettre des crimes. À titre complémentaire et portant ses analyses sur ce même moment historique, M. Foucault (1975) dépeint une triple différenciation entre les strates sociales. À titre de rappel, la refonte judiciaire recouvre une opposition entre les intérêts de classes (la classe populaire et la classe supérieure), une qualification différente des conduites (allant d’une catégorisation pénale nette à non-exclusivement pénale) et un traitement différentiel lors d’accusation (d’un côté, le cheminement ‘traditionnel’ : procès, prison et publicisation, alors que de l’autre côté : juridictions spéciales et discrétion) (Amicelle, 2013, p. 73). Respectivement, ces voiles de nature sociale et pénale contribuent à dissimuler les comportements compromettants de la classe supérieure, alors que le statut social des acteurs influence également la qualification et le traitement des conduites desquelles se saisit le système judiciaire.

En référence à la présentation de ce contexte sociohistorique, les analyses de ces auteurs permettent de comprendre en filigrane les raisons pour lesquelles ce type de transgressions, les crimes commis par la classe supérieure, ont été historiquement voilés ou tolérés. Ainsi, il a fallu attendre un certain moment avant que les déviances et délinquances de la classe supérieure soulèvent des doutes moraux et des réactions d’ampleur. En fait, alors que des précurseurs ont porté l’attention sur les conduites dommageables de cette strate sociale, ce sont davantage les écrits de Sutherland (1939) qui ont suscité un émoi et un intérêt à la considération scientifique des crimes en col blanc (White-Collar crime). Les différentes informations présentées dans la recension des écrits quant à la place des analyses entourant les crimes en col blanc permettent d’appuyer cette affirmation. Bien que depuis le XXe siècle les publications sous ce thème se sont amplifiées, la présence semble toujours être limitée dans la discipline en comparaison à

d’autres sujets de recherche69 (Lynch, et al., 2004 ; Shichor, 2009). Tenant compte de cette place

occupée par les études portant sur les crimes en col blanc en criminologie, celle-ci représente en quelque sorte le point de départ du présent projet de recherche, autrement dit la contribution vise à réaffirmer l’importance des analyses et des conceptualisations envers ces type d’actes et d’acteurs sociaux.

Les différents obstacles précédemment énumérés, notamment les influences politiques et professionnelles, les difficultés d’accès, dont le caractère fermé des milieux dans lesquels œuvrent les individus de la classe supérieure, en plus de l’inversion du rapport de pouvoir entre le chercheur et la population étudiée70 offrent des schèmes explicatifs aux intérêts relatifs que

suscite ce champ de recherche. Par conséquent, une part notable des savoirs entourant les crimes en col blanc sont basés sur des études de cas ou des scandales. Ainsi, les écrits du mémoire s’appuient sur la couverture médiatique importante provoquée suite aux révélations des ‘Panama papers’. De multiples articles de presse couvrant cet épisode portent sur des figures politiques de premier plan ayant participé à des montages financiers offshores compromettants.

S’intéressant particulièrement à la nature de ces révélations et des acteurs sociaux impliqués, la problématique de ce mémoire s’est davantage construite en faisant intervenir différentes ambivalences conceptuelles que suscite la définition de crimes en col blanc (White-collar crime) de Sutherland (1939)71.

Les objets de controverses semblent se structurer autour de deux pôles. Dans un premier temps, ils réfèrent aux critères de la respectabilité et du statut social élevé que doit posséder le déviant ou délinquant en col blanc. Bien que la valeur des positions sociales soit critiquée, ces traits sociaux, en référence aux acteurs listés dans les ‘Panama papers’, permettent de mieux

69Les auteurs donnent les exemples de la « délinquance juvénile, les drogues, les délinquances sexuelles, le

terrorisme, les victimes » (Nagels, 2016).

70 Ce point a été discuté dans les écrits de la recension, la criminologie s’est davantage développée sous l’étude des

crimes commis par la classe inférieure. Dans ce cas, le chercheur possède un statut social et économique plus important que la population sur laquelle portent les analyses. Concernant les criminels en col blanc, les recherches ciblant les individus qui se positionnent sur les échelons les plus élevés de la société, interfère avec les études plus ‘traditionnelles’ en criminologie.

71 À titre de rappel, il s’agit d’un crime « committed by a person of respectability and high social status in the course

circonscrire la population à l’étude. La focalisation sur les comportements compromettants des détenteurs du pouvoir économique et politique se rattache à la notion ‘d’élite délinquante’72

défendue dans l’ouvrage de Lascoumes et Nagels (2014).

De surcroît, l’importance accordée à la valeur du statut social dans ce mémoire permet de problématiser la relation singulière que la strate supérieure entretient avec la légalité et surtout l’illégalité. Ce rapport délié et spécifique aux normes (Salle, 2014 ; Amicelle et Nagels, 2018) souligne les capacités des élites à tenir à distance ou alors résister à la stigmatisation (Mills, 1969).

Dans un deuxième temps, les ambiguïtés soulevées par la définition des crimes en col blanc de Sutherland (1939) portent sur l’utilisation de la terminologie ‘crime’ afin de qualifier des comportements de nature différente (civile, administrative) qui peuvent s’inscrire en marge de la pénalité (Amicelle et Nagels, 2018). Dans ce sens, les écrits de ce document s’éloignent du débat entourant les conduites préjudiciables à inclure sous le vocable ‘crime’. L’intérêt à analyser les comportements reprochés en termes d’illégalismes est souligné, considérant que les conduites fiscales révélées par les ‘Panama papers’ ne s’inscrivent pas clairement, au regard des informations disponibles, dans l’illégalité.

Bien que les illégalismes fiscaux soient plus accessibles à l’ensemble des classes sociales, l’évasion fiscale via les paradis fiscaux est toutefois un type d’illégalisme mobilisé par les individus de la classe supérieure puisque ceux-ci possèdent notamment les ressources financières afin de ‘jouer’ avec les frontières fiscales internationales. Les montages financiers à l’offshore représentent une forme stratégique de domestication de l’impôt, alors qu’un nombre limité d’individus peuvent y avoir recours (Spire, 2009 ; Chavagneux et al., 2010 ; Spire, 2012). Afin de rattacher les éléments exposés ci-haut, la considération des acteurs sociaux identifiés sous le concept ‘d’élite délinquante’ et le jeu d’évitement, la propension à échapper à l’impôt via les paradis fiscaux, les révélations sous les ‘Panama papers’ apparaissent comme étant un objet d’étude pertinent et justifié. Le point de mire à l’exposition de ces conduites fiscales

72 Voir à ce sujet la Sociologie des élites (Sutherland, 1949 ; Acosta, 1988 ; Lascoumes et Nagels, 2014, Amicelle,

compromettantes de la part d’acteurs politiques légitimes réside sous le « jeu constant d’interprétation » (Amicelle, 2013, p. 4). Les comportements exposés se glissent dans une zone grise de la fiscalité, alors qu’il est difficile pour le public et les autorités de tracer une ligne entre les stratégies d’évitement légales et illégales (Spire, 2009, 2012 ; Amicelle, 2013).

Les révélations des ‘Panama papers’ ont suscité des réactions sociales différentes et à des niveaux d’intensité variés. La présente problématique s’interroge à savoir pourquoi les ‘Panama papers’ ont pris dans des pays, en référence à la couverture médiatique importante provoquée, alors qu’à d’autres endroits, ces annonces ont été davantage passées sous silence. Dans quelle mesure des révélations publiques massives donnent lieu à un scandale, à une affaire ou alors à un non-scandale et comment saisir les variations nationales ?

Afin de rendre compte de ces finalités possibles de la dénonciation publique, les écrits du présent mémoire ciblent trois acteurs politiques, de pays différents qui ont été mis en cause à la suite des révélations des ‘Panama papers’. Il s’agit du cas de Malcom Turnbull, alors premier ministre de l’Australie, David Cameron, alors premier ministre britannique et Sigmundur David Gunnlaugsson, à son tour, premier ministre de l’Islande au moment des révélations. Sous la forme d’études de cas, les écrits visent à « dégager deux niveaux d’analyses » (Amicelle et Bérard, 2017, p. 4). Dans un premier temps, détailler et distinguer les couvertures médiatiques ayant pris forme dans la presse écrite, et ce respectivement dans les pays ciblés. Autrement dit, de quelle façon les médias écrits ont rapporté les révélations touchant les figures politiques, de même que les réactions sociales auxquelles a donné lieu l’exposition de conduites fiscales compromettantes. Dans un deuxième temps, discerner la manière dont les individus nommés ont défendu leur l’utilisation de comptes offshores.

Ainsi, les écrits du mémoire s’inscrivent dans la lignée des études portant sur « la résistance du stigmate des élites délinquantes » (Lascoumes, 2013 ; Amicelle et Bérard, 2017). En s’intéressant aux révélations des ‘Panama papers’, les analyses du mémoire font intervenir les concepts de rituels de dégradation (Benson, 1985) et de restauration (Lascoumes, 2013), les différentes techniques de neutralisation (Sykes et Matza, 1957 ; Pershing, 2012 ; Stadler et Benson, 2012) ainsi que les discours défensifs (Amicelle et Bérard, 2017) auxquels ont accès ces individus afin de protéger leur image politique et publique.

Pour faire suite à la présente problématique du projet, le chapitre suivant porte sur le cadre théorique. Ces différents postulats de base et de référence ont notamment circonscrit l’avènement et la conduite de la recherche. Le cadre théorique, c’est-à-dire la sociologie du scandale, est concomitant à l’objet de la problématique.