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Les usurpateurs : protéger les Gaules

A) De l’arrivée de nouveaux peuples dans l’Empire et les troubles qui en découlent

2) Les usurpateurs : protéger les Gaules

Le sentiment d’abandon ressenti par les Gaulois et les Espagnols ne tarde pas à provoquer des réactions parmi la société civile et certains militaires. Cela se traduit par un phénomène bien connu dans l’Empire romain : l’usurpation du titre impérial d’un Romain aux dépens de l’empereur légitime31. Ce terme renvoie à tout candidat au trône impérial ayant échoué dans sa quête32 et est donc une

28 Mathisen 1992, p. 237. 29 Sidon. Carm., V, 362-374. 30 Bouvier-Ajam, 2000, p. 301.

31 Amon 2012, p. 65 définit cette même usurpation de véritable coup d’état consubstantiel au régime politique impérial lui-même. Une façon pour l’état de toujours trouver le personnage charismatique dont il a besoin pour fonctionner.

32 S’il réussissait, quelle que soit sa légitimité, il serait simplement qualifié d’empereur. Szidat 2010, pp. 30-32 ; Amon 2012, pp.37-38.

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construction forcément a posteriori par l’historiographie moderne. Les auteurs anciens préfèrent le terme de tyran33. D’après les différentes sources, surtout connues grâce aux chroniques, les années 407-413 voient neuf usurpateurs tenter leur chance : Marcus, Gratien, Constantin III, Constant, Maxime, Priscus Attale, Jovinus, Sebastianus et Héraclien. Il faut remonter au IIIème siècle pour retrouver traces d’autant de candidats à l’Empire. Dans tous les cas, l’empereur Honorius est celui qui a connu le plus d’usurpateurs durant son règne. Cinq de ses usurpateurs34

ont « régné » sur tout ou une partie des Gaules et de l’Hispanie. C’est sur eux qu’une lumière est pointée car opérant directement sur le terrain d’étude de cette thèse. Ils sont tous des réponses à l’absence d’une réaction impériale aux maux de l’époque.35.

Il faut rendre à César ce qui est à César et c’est donc par le premier de cette liste, Constantin III, que commencent ces événements liés aux usurpateurs. Constantin est un militaire du rang de Bretagne qui est proclamé empereur par ses troupes en 406. Craignant une invasion germanique et n’ayant plus été payées, les troupes se révoltent et nomment d’abord Marcus puis Gratien imperator avant de les exécuter car ne répondant pas à leurs exigences36. Finalement c’est pour un soldat réputé capable37 que les troupes se décident : il s’agit de Constantin, dont le surnom rappelait celui du grand empereur Constantin Ier. Constantin est nommé empereur par les troupes de Bretagne avant la traversée du Rhin par les peuples barbares mais la non-réaction de l’état romain en Gaule le motive en cette année 407 à débarquer avec ses troupes pour sécuriser la Gaule38 et ainsi s’attirer la

33 Hyd. Chron. II., 411.

34 Constantin III en Bretagne et Gaule, Constant, usurpateur avec son père Constantin III en Bretagne et en Espagne, Maxime en Espagne, Jovinus en Gaule et Sebastianus en Gaule également.

35 Szidat 2010, pp. 30-32 ; Amon 2012, pp. 37-38. Cela confirme les conclusions des deux auteurs : lorsqu’un vide existe dans la décision impériale, les institutions notamment l’armée, cherchent une solution. 36 Zos., VII, 40, 5.

37 Oros. Hist., VII, 40, 4. 38 Delaplace 2015, pp. 132-134.

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sympathie des populations sur place en remportant quelques victoires le long du Rhin.

Honorius et Stilicon ne peuvent laisser cela impuni. Le général d’origine vandale envoie son fidèle bras droit Sarus en 408 combattre Constantin III39, personne n’en sort vainqueur car le généralissime est exécuté la même année, ce qui laisse, pour un temps, l’usurpateur seul maître en Gaule40. Constantin III tente de reprendre en main la situation pendant que l’Italie se débat face à Alaric. Il nomme son fils Constant, un moine, Auguste en 409 afin de convaincre l’Espagne, fief de Théodose et fidèle à ses fils, de ne pas se ranger derrière l’empereur légitime41. Si l’attaque italienne de Sarus est un échec, les usurpateurs doivent eux-mêmes faire face à une révolte et l’usurpation en Espagne de Maxime à Tarragone, porté à l’Empire par Gerontius, un ancien soutien de Constantin III42 qui craint d’être remplacé43. Maxime n’est visiblement pas un général mais plutôt la marionnette de Gerontius puisque c’est ce dernier qui mène les opérations militaires, ne laissant que peu de place à ce dernier. Lorsque Gerontius voit ses troupes rejoindre le futur Constance III, envoyé par Honorius à Arles, il se suicide44, laissant Maxime s’enfuir pour « rejoindre les barbares »45 sur les terres espagnoles.

En 410, six empereurs sont à référencer en Occident, ce qui ne facilite pas le combat contre les barbares, qui entre temps, ont réussi à poursuivre leur migration en Espagne46. Cette situation chaotique continue en 410 à la mort d’Alaric. Le roi wisigoth a pillé Rome et a laissé à son successeur Athaulf, un usurpateur, le

39 Zos., VII, 40, 5.

40 Delaplace 2015, pp. 132-134. 41 Oros. Hist., VII, 40, 4. 42 Delaplace 2015, pp. 135-138. 43 Kulikowski 2000, p. 124. 44 Delaplace 2015, p. 138. 45 Oros. Hist., VII, 42. 5. 46 Hyd. Chron. II., 409.

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sénateur Attale47, et la sœur de l’empereur Galla Placidia. La mort de leur roi pousse les Wisigoths à quitter l’Italie et à se répandre en Gaule pour supporter un autre usurpateur Jovinus, qu’ils abandonnent rapidement48. Pendant ce temps, Honorius, débarrassé des Goths, peut enfin envoyer des troupes reprendre la Gaule aux différents usurpateurs : troupes dirigées par Ulfila et Constance49.

Un nouvel usurpateur apparaît à ce moment : Jovinus. Cité par Sidoine Apollinaire50 et Grégoire de Tours51, il s’agit d’un aristocrate de Mayence qui en 411 décide de prendre le pouvoir en ralliant des troupes de Burgondes et d’Alains afin de ramener la paix en Gaule, ce que ni Honorius, ni Constantin III n’ont réussi à faire52. Il est rejoint par des aristocrates romains de Gaule déçus par la politique de Ravenne53. Concluant un foedus avec les Burgondes leur offrant Worms54, créant ainsi le premier royaume burgonde, il nomme empereur avec lui son frère Sebastianus. Cette tentative de reprise en main par l’aristocratie locale de Gaule s’avère être un échec puisque Jovinus est trahi par Athaulf à Valence en 413 qui le remet à Constance, détenteur de l’autorité impériale en Gaule55. Les usurpations de la Gaule prennent fin et la lutte face aux barbares peut reprendre.

Il apparaît clairement que le manque de répondant de Ravenne à la crise de 406 est le déclencheur principal des usurpations. Dans tous les cas, les troubles ainsi créés provoquent un chaos encore plus grand avec pas moins de six empereurs simultanément. Le cas de Jovinus est particulièrement intéressant pour deux

47 Delaplace 2015, p. 153. 48 Wolfram 1979, p. 192. 49 Delaplace 2015, p. 153.

50 Sidon. Epist., V, 9, 1. Cela démontre le poids qu’a eu cet usurpateur en Gaule pour qu’un auteur quelques soixante années plus tard, parle de lui dans une lettre.

51 Greg. Tur. Franc., II, 9. 52 Olymp. Hist., 17.

53 Delaplace 2015 pp. 152-153. C’est cet aspect du règne de Jovinus qui intéressa Sidoine Apollinaire dans sa lettre. Le grand père de ce dernier apporta son soutien à Jovinus.

54 Scharf 1993, pp. 11-13. 55 Delaplace 2015, p. 154.